L’éducation à l’épreuve du coronavirus

Hall du collège du Val de Moder (Pfaffenhoffen).

Hall du collège du Val de Moder (Pfaffenhoffen).

Distanciation physique, gestes barrières, port du masque, limitation du brassage des élèves…Des mesures encore renforcées au début du mois de novembre dans les écoles primaires et les collèges. C'est toute l'éducation des enfants qui est chamboulée. Des problèmes de compréhension à la difficulté de concentration, les contraintes sont importantes… Même si dans l'ensemble les élèves paraissent s'être adaptés à la situation.
Immersion dans l'école publique de Saint-Didier, en Ille-et-Vilaine, et au Collège du Val de Moder, dans le Bas-Rhin.

«On ne peut plus jouer au loup comme avant.» Assis en rond, masque sur le visage, à un mètre les uns des autres, les élèves de CE1 de l’école publique de Saint-Didier (Ille-et-Vilaine) expriment leurs tracas. Ils sont unanimes. Le protocole sanitaire les empêche de jouer au fameux jeu de poursuite qui anime les cours de récréation.

Depuis le 2 novembre, les écoles et les collèges doivent respecter un certain nombre de règles supplémentaires, afin de limiter la propagation du coronavirus. Le masque doit être porté toute la journée. Une nouvelle organisation spatiale est également de mise. Pour maintenir la distanciation physique, les élèves sont éloignés les uns des autres. Dans la mesure du possible, un élève, une table. Les croisements entre des élèves de différentes classes sont limités au maximum. Et enfin, le lavage des mains est primordial, plusieurs fois par jour, sous l’œil  attentif des enseignants. Autant de mesures qui viennent perturber le fonctionnement normal d’une éducation bien rodée.

« J’ai besoin que ma bouche, elle prenne l’air. »

Table d'un.e élève d'une classe de CE1 de l'école publique de Saint-Didier.

Table d'un.e élève d'une classe de CE1 de l'école publique de Saint-Didier.

Depuis le début du mois, plus aucun sourire devant les écoles primaires. Du moins pas visible. Raison de ce triste changement, le port du masque, devenu obligatoire dès le CP avec le renforcement du protocole sanitaire. Une nouvelle habitude difficile à prendre les premiers jours pour les jeunes enfants. Alors que les collégiens sont habitués à le porter depuis la fin de l’année scolaire passée, des premiers constats apparaissent. Régine Grosse, professeure de technologie au collège du Val de Moder à Pfaffenhoffen (Bas-Rhin), parle d’un «mur virtuel», qui se crée entre les élèves et les professeurs.

La compréhension et l’expression sont les principales victimes de cette mesure. Les enfants doivent redoubler d’effort pour se faire entendre. Les professeurs sont, quant à eux, en permanence obligés de tendre l’oreille.
Selon Patricia Garouste, psychologue scolaire dans les Bouches-du-Rhône et membre de l’Association Française des Psychologues de l’Education Nationale, le masque peut entraîner des difficultés pour les élèves «immatures dans la gestion de leur relation aux autres». Les sourires et les expressions du visage ne sont plus perceptibles. Compliquant, pour certains, les relations sociales à l’école. Pour les professeurs, il est plus difficile d’appréhender les émotions de leurs élèves. «Pour les sixièmes qu’on ne connaît pas, on ne peut pas savoir via leur expression s’ils sont perdus ou s’ils comprennent bien le cours», explique Jean-Michel Mauler, professeur en charge de la classe Ulis, unité localisée pour l’inclusion scolaire, au collège de Pfaffenhoffen.

Malgré ces désagréments, les enfants semblent s’être habitués au masque. La gêne du premier jour s’est dissipée dans la semaine, à en croire les réponses assurées des principaux intéressés.
Des élèves se plaignent, tout de même, de la chaleur engendrée par son port. Surtout lors de la récréation. Ainsi, que de l’apparition de maux de tête. «J'ai besoin que ma bouche, elle prenne l’air», déclare innocemment Lola*, élève de CE1. Le masque jaune recouvrant son visage se mêle à la blondeur de ces cheveux.

Classe de CM1 de l'école publique de Saint-Didier. Pour maintenir la distanciation physique, les tables sont séparées.

Classe de CM1 de l'école publique de Saint-Didier. Pour maintenir la distanciation physique, les tables sont séparées.

Patricia Garouste, psychologue de l'Education nationale, apporte son éclairage sur le port du masque par les enfants et l'impact sur leur ressenti à l'école.

A l’école, les professeurs font preuve de pédagogie afin de rappeler les élèves à l’ordre dès lors qu’ils enlèvent leur masque. «On essaye de ne pas toujours être sur leur dos et de leur crier dessus dès qu’ils touchent ou jouent avec leur masque», explique Estelle Saligaut, enseignante en classe de CM1 à l’école publique de Saint-Didier. Au même moment en classe de CE1, un doigt se lève. «Maîtresse, j’ai cassé mon masque.» Arthur*, 7 ans, tient l’élastique de son masque du bout des doigts. Un sourire gêné recouvre son visage. Mais au collège, le ton se durcit. «On se fait gronder dès qu’on l’enlève», se plaint Tom*, en troisième au collège du Val de Moder.

"Au total, on perd 80 minutes de cours."

Lavabo d'une classe de CE1 de l'école publique de Saint-Didier. La poubelle, pleine à rabord, témoigne des nombreux passages des élèves.

Lavabo d'une classe de CE1 de l'école publique de Saint-Didier. La poubelle, pleine à rabord, témoigne des nombreux passages des élèves.

Chez les petits, les professeurs doivent aussi veiller au bon lavage des mains de leurs élèves. Cette mesure, imposée par le protocole sanitaire renforcé, empiète sur le temps de classe. Les écoliers rentrent de récréation. Ils connaissent le rituel. Alignés les uns derrière les autres, ils attendent sagement leur tour pour se laver les mains. 

Les matières que l’on pourrait qualifier de «secondaires» doivent parfois être mises de côté.

Un ensemble de contraintes qui pèsent autant, si ce n'est plus, sur les enseignants que sur les élèves. Beaucoup parmis les adultes se disent éreintés par le protocole sanitaire. 

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Les apprentissages se voient aussi légèrement modifiés. Distanciation physique oblige, les travaux de groupes sont évités ou du moins réduits. Arnaud Peter, professeur d’histoire-géographie à Pfaffenhoffen dans l’Académie de Strasbourg, observe une meilleure appropriation du cours lorsque les élèves participent ensemble à sa conception. Les échanges entre pairs permettent une entraide dans la compréhension du cours. La séparation physique et le masque engendrerait un travail plus individualiste qui nuit à la transmission du savoir. 

La manipulation de matériel est aussi restreinte. Les élèves de CE1 se plaignent de ne plus pouvoir effectuer les «responsabilités» qui semblent leur tenir à coeur. «On ne distribue plus les feuilles, on ne peut plus trier la bibliothèque, effacer les tableaux ou mettre la date, on ne fait plus. Et ça nous embête parce que les responsabilités c’était bien», bougonne Manon*. Mais comme l’explique Estelle Saligaut, l’apprentissage des fractions, par exemple, est beaucoup plus efficace en manipulant. Les enfants ont besoin de matériel pour plier, pour comprendre par eux-mêmes.

L’organisation spatiale de la classe a dû elle aussi être modifiée. Les élèves doivent désormais être seuls à leur table, séparée de un mètre de celle de son voisin, si l’agencement de la classe le permet. Estelle Saligaut évoque «un enseignement plus frontal». La maîtresse est devant et fait cours. Les élèves, eux, écoutent. Au collège aussi, les professeurs évoquent quelques changements. Arnaud Peter explique que lors de ses cours d’histoire, il ne se déplace plus comme avant entre les rangs. Problématique. Hormis avec les sixièmes, il ne part plus à la chasse aux fautes d'orthographe qui gambadent librement dans les cahiers de ses élèves. Dans les salles de classe, une «modification de la posture enseignante est perceptible», selon Patricia Garouste.

"Ils ont perdu leur posture d’élèves."

Élèves de 6ème en cours de physique-chimie au collège du Val de Moder.

Élèves de 6ème en cours de physique-chimie au collège du Val de Moder.

Une autre inquiétude gagne la salle des profs depuis quelques semaines, la «baisse de concentration et de l’attention générale» des élèves. C’est le cas de la primaire au collège, même si les causes semblent bien différentes. 

Pour les plus jeunes enfants, c’est le protocole sanitaire qui pèse davantage. La diminution des exercices en groupes et de la mobilité dans la classe les empêchent de se défouler et de canaliser leur attention. «Ils ont besoin de se déplacer, alterner entre position assise et regroupement. Aujourd’hui, on leur demande de rester assis toute la journée, c’est plus difficile en termes de concentration», explique Carole Guérin. Ses élèves le confirment. Ils ont l’impression de moins se défouler. Les mesures mises en place dans la cour de récréation n’aident pas. «Avec les zones, on ne peut plus courir comme avant parce qu’il y a un tout petit espace et nous on veut jouer avec des grands espaces», affirme Léo*. Dans la cour de l’école de Saint-Didier, les classes se sont vues attribuer un espace délimité. Des zones plus ou moins grandes, en fonction du besoin des élèves. Mais un inconvénient ressort de la bouche des enfants: il n’est plus possible de jouer avec «les copains des autres classes»

Pour leurs ainés, c’est le confinement du printemps dernier et ses conséquences qui sont encore et toujours pointées du doigt.

«Les élèves bloquent sur des questions basiques qui servent à gagner des points facilement ; c’est un manque d’attention», s’émeut Arnaud Peter quelques minutes après avoir corrigé ses copies. 

Car s’ils ne l’avouent pas devant leurs enseignants, dans les couloirs du collège comme de l’école, les langues se délient. Pour beaucoup d’élèves, le temps personnel a primé sur le scolaire durant le confinement, «je travaillais pendant le confinement, mais je faisais vite mes devoirs pour me dégager plus de loisirs», avoue Mathieu*, élève de troisième. 

Et le retour au rythme de travail d’une scolarité traditionnelle, sans aide des parents, génère d’après eux une forme de démotivation face à l’enseignement ou un désengagement vis-à-vis du système scolaire. Un problème d’intégration et d’usage des connaissances de plus en plus marqué, souligné par plusieurs études de l’OCDE, qui fait craindre au corps enseignant des conséquences à long terme sur les capacités des élèves.

La psychologue Patricia Garouste confirme, «ils ont perdu leur posture d’élève». Mais, elle préfère, elle, rester plus optimiste : il faudrait un mois, en fonction des établissements et de l’origine sociale des élèves, pour voir revenir habitudes de travail et concentration.

"Les retards et les lacunes commencent à peser."

Du gel hydroalcoolique est placé sur chaque table d'une salle de physique-chimie du collège du Val de Moder.

Du gel hydroalcoolique est placé sur chaque table d'une salle de physique-chimie du collège du Val de Moder.

 Deux mois d’instruction perdus, c’est ce qu’estime l’une des études de l’OCDE. Si le ministère de l’Education nationale ne chiffre pas ce retard dans l’enseignement, il reconnait, dans un communiqué, que les améliorations enregistrées ces dernières années dans le primaire ont été «effacées» en ce début d’année. 

Si elle ne partage pas ce constat pour sa classe, Estelle Saligaut n'est pas étonnée, «pendant le confinement, je n’ai pas fait d’apprentissage, mais des révisions. C’est seulement au retour que l’on a repris l’apprentissage». 

En cause, Toutatice, un outil d'échange numérique plus complexe à exploiter pour les élèves de primaire que pour ceux du collège, dans l'Académie de Rennes. Car c'est celui utilisé dans le secondaire qui a été déployé dans l'urgence auprès des écoliers et de leurs enseignants, en mars. Du coté de l'Académie de Strasbourg, la plateforme n'a même pas été élargie aux écoles. Aux enseignants alsaciens d'innover par leurs propres moyens. Des situations différentes de part et d'autre de l'Hexagone, qui ont très largement compliqué le maintien de la continuité pédagogique. Et c'est donc autant de «fondamentaux» en français ou en mathématiques, que doivent rattraper la plupart des classes durant ce premier trimestre. Alors même que le protocole sanitaire ralentit le rythme de travail. 

Pour la principale du collège du Val de Moder, Madame Nassira Kaschte, ce sont ces mêmes fondamentaux qui manquent aux élèves de sixième, qui sont «issus du primaire, et qui pâtissent de fait des difficultés observées pour ce cycle». «Ils ont vraiment souffert», conclue-t-elle. En revanche, elle note pour son établissement que les difficultés et le retard scolaire sont moins importants chez les adolescents des niveaux supérieurs.

Plusieurs dispositifs ont malgré tout été mis en place pour identifier et pallier les retards au collège. La cheffe d’établissement souligne l’apport des heures de soutien en groupe de six à huit élèves, accordées par son ministère. Une initiative utile dès le début de l'année pour les élèves les plus en difficultés. Mais de son constat, c’est le dispositif «Devoirs faits» , créé en 2017, qui s’est révélé le «plus utile», avec «des résultats plus positifs qu’escomptés». Ces quatre semaines de devoirs obligatoires et accompagnés ont été généralisées à tous les élèves du collège. De quoi leur permettre de redémarrer dans un cadre précis, reprendre les habitudes de travail et aux enseignants d'en prendre conscience et de rééquilibrer le niveau.

Seulement après quelques semaines, outre les problèmes de concentration, certains enseignants restent dubitatifs. En français, Patricia Duweck observe que «les retards ou les lacunes commencent à peser. On doit revenir sur ce qui n’a pas été appris l’an dernier». Grammaire, orthographe, rédaction, les exercices sont distribués en fonction des niveaux de chacun, pour limiter l’impact des déséquilibres entre les élèves, à l’aise ou non. Mais l’enseignante reste contrainte par le programme qui lui impose de poursuivre son enseignement sur un rythme peu ou prou habituel. 

Une logique qui désole Sarah*. L’élève de troisième, qui n’a pas travaillé pendant le confinement, souffre de lacunes. Elle regrette que certains profs ne prennent pas en compte son retard. «En histoire, le professeur a ré-abordé le Marxisme, dont je n’avais jamais entendu parler, en continuant son cours comme si de rien n’était.» Et elle se sent même stigmatisée ; «c’est comme s’il se disait que je n’avais pas voulu travailler, donc que je devais me débrouiller par moi-même». Chose dont elle ne se sent pas capable.

Pour les élèves du dispositif Ulis, à contrario, l'avancement scolaire ne semble pas réellement impacté par la situation sanitaire. A Pfaffenhoffen, ces élèves en situation de handicap travaillent en petite classe et sont habitués à un rythme plus individuel. Un rythme plus adapté à la situation.

Les enfants moins autonomes

L’autonomie de travail des élèves est l’une des seules compétences qui aurait progressé à en croire parents, enfants et autorités de l’Education nationale. Selon le ministère, 60% des adultes et 85% des élèves partageraient ce constat.

Une observation différente du côté des équipes pédagogiques. Les enseignants du Val de Moder l’assurent, cette impression n’est qu’un trompe-l’oeil. Les travaux de ces dernières semaines sont moins bons que ceux rendus aux mois de mars et avril. Signe que «les élèves sont finalement moins autonomes, parce que les parents ont travaillé pour eux pendant le confinement». Certains cependant nuancent, puisque les quelques élèves qui ont travaillé seuls, auraient progressé dans leur capacité de travail et de recherche d’informations.

Régine Grosse, enseignante de technologie au Collège de Pfaffenhoffen, témoigne de certaines difficultés qui traversent l'enseignement ces dernières semaines.

Et le constat est identique concernant les outils informatiques. Leur maîtrise par les adolescents est moins importante qu’escomptée. Les compétences restent parcellaires et «ils ne maîtrisent pas toute la chaine de production informatique». C'est pourquoi plusieurs enseignants, professeurs de technologie en tête, ont fait évoluer leurs programmes pour apprendre à leurs élèves la base de ces outils. Afin d'être prêts en cas d’un retour de l’école à la maison.

Côté primaire, le problème ne se pose pas de la même façon. L’autonomie en informatique ne figure pas encore comme une priorité dans l'enseignement.

Malgré les contraintes et les difficultés liées au protocole renforcé, les parents ne sont pas tous inquiets. Beaucoup continuent de faire pleinement confiance aux enseignants, même davantage qu'auparavant. Et si certains reconnaissent que leurs enfants ont pris du retard ces derniers mois, ils temporisent. «En CE2 ça se rattrape», assure Philippe alors qu’il attend patiemment son fils à la sortie des classes. La situation actuelle n'apparait que comme une parenthèse un peu difficile dans le parcours scolaire, mais porteuse malgré tout de timides bénéfices.

*Les prénoms des élèves ont été modifiés afin de conserver l'anonymat.