Covid-19 : écoles au bord de la crise de nerfs

Les protocoles sanitaires dus à l'épidémie de Covid-19 donnent des sueurs froides dans les établissements scolaires. Des consignes parfois floues et difficiles à mettre en place qui compliquent la tâche des enseignants et viennent encore alourdir le quotidien difficile des directeurs d’écoles.

“Depuis la rentrée, trois enseignantes l’ont eu”; “On n’a plus de gel hydroalcoolique”; “On est tous éreintés psychologiquement et physiquement”... Dans les écoles, la crise du coronavirus et les protocoles qui vont avec ont vite tourné au casse-tête pour les personnels. Nathalie, Coralie, Emilie, Jeanne et Aurélie* sont enseignantes et directrices d’école maternelle ou élémentaire. Elles viennent des Alpes-Maritimes ou du Nord. Elles font les mêmes constats.

Entrées échelonnées, distanciation sociale, lavage des mains : les consignes émanant du ministère de l’Éducation nationale sont nombreuses et strictes. Elles le sont toutefois moins qu’en mai dernier puisque les enfants peuvent désormais interagir entre eux au sein d’une même classe et les manipulations sont de nouveau autorisées. Il n’empêche que le travail est colossal. En plus d’appliquer les consignes sanitaires, il faut enseigner.

A Lille comme à Nice, les enseignants et directeurs d’école se sentent exposés. “On est tiraillés. Il y a un dilemme entre notre devoir qui est celui d’enseigner et les risques que l’on prend d'un point de vue personnel”, confie Coralie, directrice d’une école près de Nice. Elle s’est sentie mise en danger, tout comme Nathalie, enseignante dans l’académie de Lille qui s’afflige “J’avais le sentiment de partir au casse pipe en me disant je vais y laisser potentiellement la vie”

Malgré leurs craintes et le climat anxiogène qu’elles subissent, les institutrices sont unanimes : impossible d’exercer leur droit de retrait. D’autant que d’après Nathalie “Si tu prends ton droit de retrait, tu te mets tout le monde à dos ”.

Infographie sur le droit de retrait dans la fonction publique, applicable aux agents de l'Education nationale

Infographie sur le droit de retrait dans la fonction publique, applicable aux agents de l'Education nationale

Mensonges, conflits et abandon

Pire, les chiffres sur les contaminations ne seraient pas fiables pour Émilie, enseignante dans le Nord; "ce qui me gêne le plus c’est le côté omerta. On ne veut pas dire le nombre de cas. Le ministre ment sur le nombre de cas dans les écoles". Certains médecins refuseraient même de tester des enfants car ils sont considérés comme moins faciles à contaminer et moins contaminants. Impossible donc de connaître le nombre exact d’élèves malades selon Émilie énervée par ce qu’elle considère être du mépris de la part du ministre de l’Éducation Nationale. 

Et ce n’est pas tout, il faut aussi jouer la diplomatie. Si dans la plupart des écoles le contact avec les parents se fait sans encombre, certains parents, sceptiques, mènent la vie dure aux directeurs. "Cette minorité de parents opposés au port du masque est très virulente", confie Aurélie, directrice d’une école élémentaire de 300 élèves dans l’Académie de Nice, "Ils ne semblent pas comprendre qu'il s'agit d'un décret. C'est donc une obligation pour tous, et il y a très peu d'exceptions à la règle”. Récemment, elle a même vu une maman retirer définitivement son enfant de l’école. Cette maman appartenait au collectif Réaction 19, un collectif né avec la crise du coronavirus et qui se donne pour objectif d’épauler les parents d'élèves dans leurs actions judiciaires contre les établissement scolaires. Une épine de plus dans le pied de la directrice qui doit donc faire face à ces contestations.

Elle aussi directrice d’une école des Alpes-Maritimes, Jeanne dit se sentir seule face à la situation, abandonnée par sa hiérarchie sur les difficultés que pose la crise sanitaire. “Nous sommes pris dans une situation contradictoire. Nous devons à la fois respecter le protocole sanitaire et le plan vigipirate”, explique t-elle, précisant que “depuis les attentats, on doit limiter au maximum les points de sortie. Or, avec la crise sanitaire, on doit les maximiser.” 

1,2,3 protocoles sanitaires ...

Déjà lors du premier confinement, les directrices d’école déploraient des protocoles sanitaires flous qu’il fallait mettre en place rapidement sans les moyens humains et matériels nécessaires. La majorité des enseignants devaient notamment s'adapter aux classes virtuelles sans aide ni formation. "Je n’avais jamais fait de visio de ma vie. J’ai dû tout apprendre seule" se désole Émilie, enseignante de CP dans l’Académie de Lille. Il était également primordial de s’assurer que tous les élèves aient le matériel informatique nécessaire. Une composante pas toujours évidente dans les familles de plusieurs enfants. Les méthodes pédagogiques devaient également être adaptées au contexte en veillant à ne pas mettre trop à contribution les parents. Une organisation complexe qui demande du temps. D’autant que pour Aurélie, ces mesures sont arrivées trop tard. "Le problème avec les protocoles sanitaires c'est qu'on a été prévenu après tout le monde. Or nous, on a besoin de temps pour s'organiser et informer les parents le plus tôt possible."

Dès le mois de mai les élèves ont pu retourner à l’école, par demi-groupe. La mission des enseignants :  prévoir leur retour, instaurer des sens de circulation, des heures ou des zones de récréation différentes pour éviter le brassage entre les classes. Les enfants devaient être espacés et se laver les mains régulièrement. Un nouveau casse-tête pour les établissements scolaires et leur personnel. "J’avais l’impression de faire le gendarme" s’attriste Nathalie. "C'est bête mais un enfant fait tomber son crayon, un autre veut gentiment lui ramasser, et bien non c’est interdit"

les marquages au sol, indiquant les distances de sécurité devant les écoles

Le travail dans l’urgence, l’incertitude constante et des consignes inadaptées au terrain finissent par épuiser les acteurs du secteur primaire. Un ras le bol généralisé tel, que les enseignants ont participé à un mouvement de grève le mardi 10 novembre. L’objectif : une meilleure prise en compte du protocole sanitaire qui ne serait pas toujours appliqué correctement. Dans l’académie de Lille, le mouvement a été suivi par 10,11% des enseignants du premier degré. Parmi eux, Émilie. "Le ministère est trop loin de la réalité du terrain. Il ne se rend pas compte de ce que c’est la vie dans les écoles, collèges ou lycées." 

Pour les institutrices et directrices, ces dysfonctionnements ne sont pas inhérents à la crise actuelle mais participent d’un essoufflement global du système d’éducation. "Cette crise sanitaire a mis en valeur ce qui ne va pas. Ça a été un révélateur" soupire Coralie.

  Directeur.trice, une profession en crise

Christine Renon. Son nom revient sur toutes les lèvres. Le suicide de cette directrice d’une école maternelle à Pantin à la rentrée 2019 avait ému la France entière en révélant dans sa lettre d’adieu la difficulté de la fonction de directeur."Tous les directeurs se sont vus dedans. Il suffit d’être moyennement bien dans sa vie pour que ça devienne difficile voire invivable" fait remarquer Aurélie.Et la mort de Christine Renon date d’avant le Covid. Les conditions de travail difficiles des directeurs ne datent donc pas d’hier. Un travail envahissant et une surexposition aux cas conflictuels avec les parents, les élèves et les collectivités territoriales. Une grosse journée de travail qui s’étale de 7h30 à 18 voire 19h. Et comme toutes nous l’expliquent, une fois à la maison, c’est toute la soirée, le weekend et les vacances qui y passent.

Pour Jeanne, directrice d’école maternelle, c’en est trop :
«La situation actuelle empiète trop sur ma vie privée, le mari et les enfants n’ont pas à trinquer pour ça. Du coup ta prime de directeur elle passe chez le psy !» Elle envisage de redevenir adjointe à l'avenir.

Lorsque Jeanne est devenue directrice il y a trois ans, cela a été la grande désillusion : «Je ne m’attendais pas à ça. Je m’imaginais que j’allais être une pilote pédagogique, animer l’équipe et être à leur écoute. Au final, tu fais des tâches qui ne te reviennent pas : la conciergerie, la sécurité, l’infirmerie et bien sûr le secrétariat qui est le plus chronophage». D’autant plus que les directeurs d’école, sans statut, sont seuls a contrario des proviseurs et des principaux de collèges qui bénéficient de toute une équipe. Ils ne peuvent se focaliser sur leur travail de bureau uniquement sur leur temps de décharge c’est-à-dire le ou les jours où un autre enseignant vient s’occuper de leur classe. Et ce nombre de jours dépend du nombre de classes de l’école en question : zéro jour pour trois classes ; une journée à partir de quatre ; deux au-delà de neuf.

«Certaines tâches qu’implique le boulot de directeur font qu’on s’éloigne de l’enseignement»
Aurélie

Il y a quelques années encore, ils bénéficiaient d’une aide au bureau faisant office de secrétaire. En 2017, le ministre de l’Éducation Nationale, Jean-Michel Blanquer, supprime cette aide administrative. Cet isolement et la surcharge de travail sont source de stress et d’anxiété. Sur les boîtes mail, groupes Facebook et Whatsapp, les directeurs font part de leur détresse tout en relativisant en partageant mèmes et vidéos humoristiques sur leur métier comme celle ci qui parodie "Je suis libertine" de Mylène Farmer en "Je suis directrice".

Après le suicide de Christine Renon et la médiatisation qui s’en est suivie, le ministère a été contraint de réagir. Mais la proposition de loi de la députée LREM Cécile Rilhac chargée du dossier qui promet entre autres un temps de décharge supplémentaire et la dotation d’un statut hiérarchique aux directeurs reste en stand by. Avec la crise sanitaire, l’amertume et la lassitude des principaux concernés n’ont fait que croître surtout face au mutisme hiérarchique souvent rencontré.

Malgré cela, les directeurs d’école cherchent toujours à se faire entendre. Mercredi 18 novembre, des « dirlo et dirlettes » de tout le pays ont inondé la boîte aux lettres de la rue de Grenelle avec des enveloppes rouges marquées d’un SOS. A l’intérieur, une lettre exprimant le ras-le-bol et leur épuisement général. Extraits.

Coralie, Aurélie et Jeanne ont toutes participé à cette opération pour rendre compte de leur poste mal connu et “compliqué”. Coralie parle d’un "travail schizophrène" ; Jeanne d’un moi "dupliqué". Et comme l’explique Aurélie, "certaines tâches qu’implique le boulot de directeur font qu’on s’éloigne de l’enseignement". La différence majeure avec les proviseurs et principaux, elle est là. Les directeurs sont avant tout des enseignants.

Classe d'une école maternelle.

Classe d'une école maternelle.

"Le métier d'enseignant est un sacerdoce"

Le mal-être des enseignants, on en parle beaucoup depuis 2017 et la prise de fonction de Jean-Michel Blanquer. Pour la réforme du bac mais aussi pour des problèmes de communication majeurs avec tout le corps enseignant. Et ce dialogue de sourds a atteint son paroxysme avec la crise sanitaire. "Nous n'étions pas informés directement par notre hiérarchie, on était obligé de regarder BFM TV" se désole Coralie. Ce que les directeurs ressentent comme un manque de considération de la part du ministère. D’autant plus que les couacs se répètent comme au moment de l’hommage à Samuel Paty.

Pour rappel, la rentrée était prévue à 10h mais cette affirmation a été contredite moins de deux jours avant le retour à l’école. Un contre ordre qui a chamboulé les mesures mises en place par les établissements et les communes pour accueillir les enfants en milieu de matinée : garderie, transport scolaire décalé… Des prises de décisions déconnectées avec la réalité du terrain qui valent au ministre le sobriquet de "Monsieur comme si de rien n’était" par certains délégués syndicaux.

"Le surmenage que l’on subit engrange du mal-être dû aussi au manque de reconnaissance et aux critiques que l’on se prend en pleine face" se désole Jeanne, désespérée à la lecture de mails malveillants de la part de certains parents d’élèves et de rumeurs diffamatoires lancées sur les réseaux sociaux. Même son de cloche dans le Nord où Nathalie a pris sa retraite cette année, sans regret et épuisée. "Je ne conseillerais jamais plus à un jeune d’être enseignant et pourtant j’ai aimé mon métier". Adjointes comme directrices aspirent à la fois à plus de légèreté et de respect vis-à-vis de leur métier, "le plus beau du monde" continuent-elles de penser.

La tête toujours à l’école parce qu’elles n’ont pas n’importe quoi entre les mains : de l’humain, qui plus est des enfants. "J’adore ça mais ça devient de pire en pire" concède Émilie, indignée par une liberté pédagogique de plus en plus entravée. Des évaluations nationales se sont rajoutées en élémentaire et alourdissent toujours plus des programmes "infaisables" synonyme de véritable bachotage pour une partie des enseignants. Une perte de temps et surtout un manque de temps pour Coralie qui dévoilent aussi une absence de moyens considérable. Pour pallier le retard pris par les élèves pendant le confinement, "il aurait fallu faire des demi-classes, alléger les effectifs pour mieux faire notre travail".

En bref, c’est le serpent qui se mord la queue. Tout en voulant toujours mieux faire, les enseignants ont l’impression de s’enfoncer dans un sentiment d’échec.


*Les prénoms ont été changés et  les noms des écoles n’ont volontairement pas été mentionnés.

Contactées sur le sujet, les Académies de Lille et de Nice n’ont pas donné suite à nos sollicitations.