Sur la Garonne, la pollution des bateaux à l'étude

Particules fines. Dioxyde d’azote ou de soufre. Ces polluants présents dans l’air sont nocifs pour la santé et l’environnement. Issus du trafic routier, ils sont aussi émis par les bateaux de croisière qui accostent au port de la Lune à Bordeaux. Depuis 2019, la ville est d'ailleurs l’épicentre de l’étude nationale CAPNAVIR (CAractérisation des Particules fines issues de la NAVIgation fluviale ou maRitime), un projet d’analyse qui doit permettre de caractériser ces particules pour étayer les connaissances scientifiques sur la pollution des navires.

Dimanche 3 octobre 2021, deux mastodontes de métal sont amarrés au quai Louis XVIII. A deux pas de la place de la bourse et de son miroir d’eau, ces immeubles flottants sont visibles à des kilomètres. Ils surplombent les quais, grondent, et crachent de leurs cheminées un panache de fumée noire. 

En promenade sur les berges de la Garonne avec des amis, Mado de La Quintinie, habitante de la rive droite, se dit impactée par ces nuisances : «Sur la rive droite, sur la rive gauche, la pollution c’est aussi olfactif. Nous, à titre personnel, on n'utilise plus notre balcon parce que, quand il y a des bateaux, on entend et on sent».

Principale cause, les moteurs. Alimentés au fioul lourd, ils tournent en continu, 24 heures sur 24, pour produire l’énergie nécessaire à la vie des bateaux. Pour dénoncer ces géants des mers et faire part de son désespoir Mado de La Quintinie nous a donné rendez-vous pour une interview.

«Que dire des moteurs qui tournent toute la nuit et donnent l’impression qu’un tracteur est stationné en bas de chez nous», écrit-elle dans le mail envoyé à la Mairie de Bordeaux.

En réponse, Brigitte BLOCH, Vice-présidente de Bordeaux métropole en charge du tourisme, tente de rassurer et affirme que de nouvelles évaluations sont prévues: «Nous allons notamment réaliser une étude atmosphérique pendant l'année 2022. Enfin, nous profiterons de cette année d'étude pour poursuivre les travaux avec les croisiéristes pour réduire encore plus les nuisances pour les habitants.»

Plus c’est petit, plus c’est dangereux

PM10. PM2,5. PM0,1. Ces unités de mesure vulgaires définissent la taille des particules de pollution. Plus fines que le diamètre d’un cheveu humain et issues de la combustion du fioul non raffiné utilisé par les navires, elles se retrouvent dans l’air au passage des paquebots.

Comme l’explique Christine BUGAJNY, responsable de l’étude CAPNAVIR, et contrairement à ce qu’on pourrait penser, la pollution la plus dangereuse n’est pas forcément celle qui est visible : «Parfois on voit de grosses fumées. Le panache des bateaux. Mais de manière générale la pollution des particules très fines ne se voit pas à l'œil nu.»

Malika SOUADA, ingénieure en charge de CAPNAVIR, les distingue aussi par leur capacité à s’infiltrer dans nos organismes: «Les PM10 sont arrêtées par les filtres naseaux, les PM2,5 pénètrent jusque dans les voies respiratoires, et les PM0,1, qui sont des nanoparticules caractéristiques des émissions des navires, rentrent même dans le système sanguin.»

Les deux premiers polluants sont régulièrement étudiés pour évaluer la qualité de l'air et le respect des normes en vigueur. En 2019, une étude menée par ATMO-Nouvelle Aquitaine concluait que «le trafic de paquebots maritimes a un impact négligeable sur les concentrations d’oxydes d’azote (NOx) et de particules PM10 sur les quais de Bordeaux».

Sur la pollution aux PM0,1 les études scientifiques sont rares malgré un risque avéré. «Dès qu’il y a une présence de ces particules ultra fines, il y a un danger pour la santé, il n' y a pas de minimum. En plus ces particules ne sont pas règlementées, on cherche donc à les caractériser et à les connaître» indique Christine BUGAJNY.

Les cheminées d'un navires amarré à Bordeaux rejettent des polluants dans l'atmosphère. De la suie noire et de la fumée sont visibles depuis le quai. (©Samuel CARDON)

Les cheminées d'un navires amarré à Bordeaux rejettent des polluants dans l'atmosphère. De la suie noire et de la fumée sont visibles depuis le quai. (©Samuel CARDON)

CAPNAVIR, une étude innovante

Choisi par l’agence de la transition écologique (ADEME) après avoir remporté un appel a projets, le CEREMA (Centre d'Études et d'expertise sur les Risques, l'Environnement, la Mobilité et l'Aménagement) a lancé CAPNAVIR à la fin de l’année 2019.

Contrairement aux précédentes études, elle n’a pas pour but de mesurer la pollution globale autour des quais, mais de la caractériser celle des bateaux de croisière afin de mieux connaître les polluants et de produire une littérature scientifique.

«Il y a des études sur un trafic global. Notre étude c’est bateau par bateau. On prend un bateau, il passe, et on va mesurer si lors de son passage il induit une augmentation de la concentration en particules polluantes», nous confirme Christine BUGAJNY, responsable de l’étude CAPNAVIR, qui parle de complémentarité avec les relevés réalisés par ATMO.

Un bateau de croisière passe sous le pont Chaban Delmas où sont positionnés les capteurs. (©Samuel CARDON)

Un bateau de croisière passe sous le pont Chaban Delmas où sont positionnés les capteurs. (©Samuel CARDON)

Sur le pont Chaban Delmas, un scientifique du CEREMA relève le matériel de mesure après le passage d'un bateau. (©Samuel CARDON)

Sur le pont Chaban Delmas, un scientifique du CEREMA relève le matériel de mesure après le passage d'un bateau. (©Samuel CARDON)

Détecter. Mesurer. Étudier. 

La mise en place d'une étude scientifique d'une telle ampleur requiert une longue préparation et des moyens importants. Pour s'assurer d'un travail de qualité, le CEREMA a donc sollicité un ensemble de spécialistes.

Un laboratoire d’étude a d’abord modélisé un projet de recherche à partir de données collectées sur le port de Bordeaux. Les données météo et le trafic maritime ont été pris en compte, Malika SOUADA, ingénieure en charge de CAPNAVIR, détaille cette étape : «Ces modélisations ont montré les orientations des panaches des bateaux. Nous avons pu disposer les capteurs sur le terrain en tenant compte de ces informations».

En étroite collaboration avec la métropole bordelaise, le CEREMA a pu bénéficier d’emplacements stratégiques pour ses appareils de mesures.

Mobiles ou permanents, ils ont été positionnés sur la rive gauche, la rive droite et sur le pont Jacques Chaban-Delmas. Bateau par bateau, les scientifiques de l’organisme ont alors relevé la pollution de sept navires, entre le 16 septembre et le 5 octobre 2021. 

Positionnés en hauteur sur le quai Louis XVIII, des appareils de mesure permanent captent la pollution des bateaux à quai. (©Samuel CARDON)

Positionnés en hauteur sur le quai Louis XVIII, des appareils de mesure permanent captent la pollution des bateaux à quai. (©Samuel CARDON)

Des capteurs mobiles installés sur une zone piétonne du pont Chaban Delmas avant le passage des bateaux. (©Samuel CARDON)

Des capteurs mobiles installés sur une zone piétonne du pont Chaban Delmas avant le passage des bateaux. (©Samuel CARDON)

Les analyses, menées par le laboratoire Suisse Particule Vision et le Laboratoire d’aérologie de Toulouse, permettront ensuite la caractérisation et le décompte de ces particules fines afin de déterminer une “signature” chimique de ces bateaux et plus globalement du trafic maritime. 

«Quand on observe des pics de SO2 (dioxyde de souffre), ça nous permet de savoir que cette pollution vient des navires et pas du trafic routier» assure Malika SOUADA. Différencier la pollution maritime du reste des pollutions atmosphériques, tel est donc le défi de cette étude nationale.

Vers de nouvelles politiques publiques?

Les faits scientifiques sont une base de travail solide, ils permettent aux politiciens d’agir en connaissance de cause et de prendre des décisions éclairées. «Pour mener des politiques publiques qui seront efficaces sur la qualité de l’air, il faut avoir de la connaissance, c’est elle qui va apporter des éléments de réponse» confie Christine BUGAJNY, responsable de l’étude CAPNAVIR.

Parmi les pistes d’actions contre la pollution de ces géants des mers, le gouvernement français étudie trois propositions faites par la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) :

  • Interdiction de l’usage des moteurs polluants lors des arrêts dans les ports.
  • Mise à disposition de moyens pour alimenter en électricité les navires à quai et permettre de couper les moteurs lors des arrêts au port.
  • Agir sur la règlementation internationale pour encadrer les émissions de gaz à effet de serre des navires.

La mise en place de mesures contraignantes envers le tourisme maritime serait donc une lourde étape à franchir, alors que le secteur d'activité souffre encore des conséquences de la crise sanitaire.