Ariège : l'accueil dans la peau

Cathares, juifs, républicains espagnols, hippies ou encore des migrants fuyant leur pays... Au cours de l’histoire, les nationalités, les religions et les courants de pensées se sont installés en Ariège. Une terre humanitaire où l’accueil est une tradition. Mais cela n'empêche pas des accrochages entre les différentes communautés de la vallée.

9h30, dimanche matin, sur la place centrale du village ariégeois de Massat. Les habitants font le tour des étals. Fromager, coutelier, cultivatrice de plantes médicinales...parmi la quinzaine de commerçants, chacun a avant tout le droit à un bon mot des Massatois. Mais un des leurs reçoit une attention particulière.

Les “Salut Pierre, comment vas-tu ?” raisonnent un peu plus sur les façades de l’église du village. Quelques-uns des habitants locaux s'arrêtent pour lui acheter un gâteau, prendre un café ou tout simplement discuter avec lui. Pierre et son sourire éclatant se remarquent. L’homme d’une cinquantaine d’années est la seule personne de couleur noire sur ce marché. 

Ce réfugié de République démocratique du Congo est arrivé par hasard à Massat, il y a presque quatre ans, avec trois de ses enfants. Sa femme est restée au pays avec leur dernier bébé, rendant la situation moralement compliquée. D’abord dans l'ignorance des 700 habitants du village, car en situation irrégulière, il est resté en retrait de la vie locale, peu enclin à demander de l’aide. Mais dans une vallée où les gens se connaissent, sa présence a rapidement suscité le soutien de la population. “Spontanément, par le bouche-à-oreille, un collectif s’est créé pour soutenir Pierre. Il n’y a pas eu de peur ou de curiosité malsaine”, souligne Denis Leblond, co-président de PierreParPierre, l’association qui a remplacé le collectif.

S’en est suivi une mobilisation générale de la population du village et de sa vallée. En 2019, plus de 200 membres et sympathisants du collectif ont fait le déplacement devant le Tribunal administratif de Toulouse pour contester l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) signifiée par la préfecture à Pierre Kilongo.

Marché de Massat, jeudi 20 mai 2021.

Marché de Massat, jeudi 20 mai 2021.

Marché de Massat, jeudi 20 mai 2021.

" C'est humain et politique"

Geneviève Habert et Denis Leblond soutiennent Pierre.

Geneviève Habert et Denis Leblond soutiennent Pierre.

Geneviève Habert et Denis Leblond soutiennent Pierre.

Aujourd’hui, plus de 260 personnes continuent de soutenir Pierre. L'association récolte des dons offerts par les Ariégeois mais aussi par les mairies aux alentours. Celle de Massat s’est beaucoup investie. Elle a procuré le logement actuel de Pierre ainsi qu’une aide financière. La mairie lui permet, en plus, d’installer sa petite table de commerce sur le marché, tous les dimanches. Un acte humanitaire, mais aussi politique. Selon Geneviève Habert, adjointe au maire de Massat, “si toutes les mairies de France accueillaient une seule famille, il n’y aurait plus beaucoup de réfugiés en attente d’être accueillis”. Depuis l’arrivée du nouvel édile, Gilbert Lazaroo, la municipalité de Biert, un village à 10 minutes de Massat, a aussi décidé de rejoindre la lutte. 

"On veut contrer les volontés d’exclure les gens qui trouvent dans cette vallée un refuge et qui veulent travailler, s’intégrer."

Gilbert Lazaroo, maire de Biert.

Gilbert Lazaroo, maire de Biert.

Gilbert Lazaroo, maire de Biert.

L'accueil des réfugiés est au cœur des conversations des Ariégeois en ce dimanche matin. En face de l’étal du fromager, devant le tabac de la bourgade, deux hommes échangent. “Je suis allé à la manifestation du marché de Saint-Girons, samedi matin”, déclare tout joyeux Gérard Galmace, retraité de 71 ans. Car en Ariège, on se bat. Et pas uniquement pour Pierre Kilongo. Plusieurs Massatais n’ont pas hésité, comme Gérard, à faire une trentaine de kilomètres à travers les routes sinueuses du département pour soutenir, à Saint-Girons, Ervis et sa famille. Un couple d’Albanais avec enfants, eux aussi menacés d’expulsion. “On veut contrer les volontés d’exclure les gens qui trouvent dans cette vallée un refuge et qui veulent travailler, s’intégrer” souligne Gilbert Lazaroo.

La vallée enclavée est très inspirée par les idées de gauche. Le candidat de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon a obtenu 43 % des votes des Massatois inscrits sur les listes au premier tour des élections présidentielles de 2017. Et à l’échelle du département, les deux députés élus sont aussi de La France insoumise. Une situation exceptionnelle en France. De nombreux habitants font un lien entre cet ancrage à gauche et la volonté d'ouvrir leur territoire. Mais c’est avant tout, la tradition d'accueil des réfugiés depuis des siècles qui déteint sur l’état d’esprit des résidents de la vallée.

Solidarité montagnarde

Les Pyrénées depuis le col de la Core.

Les Pyrénées depuis le col de la Core.

Les Pyrénées depuis le col de la Core.

Une image colle à la silhouette des sommets ariégeois. Celle d'être “infranchissables”. Au plus grand regret de ses habitants. “On voit souvent l’Ariège comme une terre fermée, avec les Pyrénées en barrière. Or, l'histoire montre que l'Ariège a su entrer en harmonie avec les populations venues d’ailleurs”, défend avec ferveur Gilbert Lazaroo, maire de Biert et ancien enseignant en Histoire-Géographie, lui-même originaire du Vietnam. Anglais, Écossais, Belges, Espagnols, les nationalités sont multiples. Loin de l’image de région-frontière, c’est plutôt celle de port d’entrée que veut retenir Hélios Minguez, Ariégeois d'adoption et ancien hippie, qui philosophe depuis les hauteurs de Biert. “Je me demandais si l’Ariège était davantage une terre d'accueil que Bordeaux. Je n’en sais rien, mais comme c’est un port, j’imagine que beaucoup de personnes sont arrivées à Bordeaux. En Ariège, il y a des pòrts aussi, c’est le nom catalan des cols. Ils ont permis à des gens, soit de partir, soit d'arriver, mais en général plutôt de se réfugier”. Le retraité a d’ailleurs fait d’un col de Biert son port d’attache. Entre son poêle à bois, qui lui sert aussi de réchaud, et sa bibliothèque fournie de livres jaunis, il explique avec passion l’histoire de la vallée dans laquelle il s’est installé dans les années 70 avec sa communauté de hippies.

"Les pòrts ont permis à des gens, soit de partir, soit d'arriver, mais en général plutôt de se réfugier."

Hélios Minguez, fils de républicain espagnol exilé en France et ancien hippie installé à Biert.

Hélios Minguez, fils de républicain espagnol exilé en France et ancien hippie installé à Biert.

Hélios Minguez, fils de républicain espagnol exilé en France et ancien hippie installé à Biert.

Dès le XIIème siècle, les Cathares se sont cachés dans les montagnes pour échapper à la persécution de l’Église catholique. Ensuite, ce fut le tour des protestants. Et plus récemment, des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Tentant d’échapper à Hitler et à Pétain, un certain nombre sont passés par les cols, dans des conditions extrêmement rudes, à l’aide des passeurs ariégeois. Les aviateurs anglais, crashés, ont eux aussi été aidés. Le monument du Kercabanac, à la croisée de Biert, Saint-Girons et Oust, commémore ces passeurs. “C’est une manifestation d'accueil, de solidarité et de bonne humanité de la part des Ariégeois”, affirme Hélios Minguez, les yeux pétillants et le sourire qui se dessine sous sa longue barbe blanche.

Monument du Kercabanac, en mémoire aux passeurs, résistants et soldats alliés de la Seconde Guerre mondiale.

Monument du Kercabanac, en mémoire aux passeurs, résistants et soldats alliés de la Seconde Guerre mondiale.

Monument du Kercabanac, en mémoire aux passeurs, résistants et soldats alliés de la Seconde Guerre mondiale.

Les républicains espagnols ont aussi bénéficié de cette solidarité lors de la Retirada. En 1939, 500 000 Espagnols ont traversé la frontière en quelques semaines pour échapper à la dictature franquiste. “De nombreux Ariégeois se sont mobilisés pour les faire passer par les cols. Jean-Marie Claus, par exemple, un enfant du pays, avertissait les passeurs des mouvements de troupes à seulement 14 ans”, raconte Gilbert Lazaroo, l'édile de Biert, le visage illuminé par le souvenir des récits des anciens de la région. Mais la France n'était pas prête à les accueillir. Ils ont, au début, été parqués dans des camps de concentration, sur le sable, délimités par des barbelés. Puis, à la fin de la guerre, certains sont venus s’installer en Ariège. Un territoire qui s’est abreuvé de leurs qualifications, après la désertion des habitants lors de l'exode rural. Les Espagnols sont venus combler les vides, ce qui a facilité leur accueil par les locaux. Comme les hippies quelques décennies plus tard. 

Dans les années 1970-80, des communautés de jeunes, qui souhaitaient changer le monde, se sont implantées dans les montagnes ariégeoises. “On avait des idées anarchistes, c’était très utopique. On est arrivé, là, avec plein de cheveux dans la soupe, plaisante Hélios, ils nous prenaient pour des fous furieux, ce que l’on était, mais gentils”. Denis Leblond, passe sa main dans sa longue barbe blanche, il se remémore les maigres tensions entre les gens du pays et les nouveaux arrivants ainsi que leurs provocations réciproques. “À ce moment-là, les locaux donnaient l’impression de bloquer tout changement et projet au sein de la vallée. Mais je n’en suis pas persuadé. Je pense plutôt que les gens du pays ont été manipulés par les anciens Ariégeois qui ont quitté ces terres pensant ne plus rien pouvoir y faire. Ces personnes, parties dans les administrations des grandes villes, n’ont pas accepté d’être remplacées.” Debout au milieu de son jardin minutieusement entretenu et perché au-dessus de Massat, il rajoute : “mon voisin Raymond ne m’a pas parlé pendant deux ans parce que j’avais les cheveux longs, mais après, on s’est très bien entendus”. Malgré les premières réticences des locaux, ils ont fini par accepter la présence de ces “néo-ruraux”. L’entraide est même devenue le maître-mot de cette cohabitation. 

Commune de Massat, Ariège.

Commune de Massat, Ariège.

Commune de Massat, Ariège.

Aujourd’hui, la population ariégeoise n’a pas perdu cette tradition d'accueil. Les “nouveaux néo-ruraux” sont acceptés et s'intègrent, pour la plupart. De nombreux couples ou familles viennent s’installer avec des projets tels que l’ouverture d’une boulangerie à Biert ou l’élevage de poules pondeuses… Depuis la crise du coronavirus, les Parisiens arrivent en masse et s'établissent sur ces terres. La population aurait augmenté de 20 % dans la vallée ces dernières années à en croire Pierre-Antoine Pardou, le maire de Boussenac, croisé au détour du marché de Massat. Mais pour Denis Leblond, “l’arrivée de personnes précaires est complexe à gérer”. Geneviève Habert, son amie, renchérit un peu génée “ le seul problème, ce sont les gens qui sont en grosse difficulté d’intégration dans la vie tout court”. Ils sont décrits comme “zonant, bouteilles à la main” sur la place du village de Massat. Ce qui dérangerait certains habitants. 

La région semble se paupériser. Manu, responsable d'Emmaüs, lui-même ancien réfugié, constate : “Les dons diminuent. On pense que la population a davantage besoin d’argent. Ils préfèrent vendre sur des sites internet.” Aider les personnes dans le besoin était une évidence pour lui. “La façon dont on m’a accueilli m’a tellement plu, que j’ai voulu partager à d’autres, ce dont j’ai moi-même profité”, il est désormais totalement intégré à la ville de Saint-Girons. 

"La façon dont on m’a accueilli m’a tellement plu, que j’ai voulu
partager à d’autres, ce dont j’ai
moi-même profité.
"

Manu, responsable d'Emmaüs de Saint-Girons et ancien réfugié.

Manu, responsable d'Emmaüs de Saint-Girons et ancien réfugié.

Manu, responsable d'Emmaüs de Saint-Girons et ancien réfugié.

Un élément essentiel pour bénéficier de l’accueil chaleureux des Ariégeois : l’intégration, très chère à leurs yeux. Denis reprend l’exemple de Pierre. “Il n’attend pas que de l’assistanat, il fait beaucoup d’efforts. On est même obligé de le questionner pour savoir s’il a besoin de quelque chose”. Le père de famille est devenu bénévole à Emmaüs, aux côtés de Manu. Cela lui permet de bénéficier des dons récoltés. “Tout ce qu’il veut, c’est assurer l’avenir de ses enfants”... en Ariège.