Une main tendue aux réfugiés et migrants

Soutenir Ervis à bout de bras, voilà la tâche que s’est fixée l’ACARM 09. En organisant un rassemblement à Engomer, une manifestation la semaine suivante à Saint-Girons, l’Association couserannaise pour l’accueil des réfugié(e)s et des migrant(e)s s’active pour lui venir en aide. Entre altruisme et indignation face aux obstacles pour accueillir, retour sur les motivations qui poussent ces bénévoles à agir.

Quelques gouttes de pluie s’abattent sur le marché de Saint-Girons; il en faudra plus pour les décourager. Samedi 15 avril 2021, une cinquantaine de membres et de sympathisants de l’Association couserannaise pour l’accueil des réfugié(e)s et des migrant(e)s (ACARM 09) sont venus manifester. De l'autre côté du Salat, la rivière qui traverse la petite bourgade ariégeoise, musique et portraits acheminés sur des pancartes attirent les regards des curieux.

Tous étaient présents pour soutenir Ervis. Un albanais qui a fui son pays, en 2017 : « Il y avait un problème avec la famille de ma femme », explique-t-il, sa fille ayant été enlevée et son épouse battue. Craignant pour sa vie, il n'a d'autres choix que de partir avec sa compagne Elmira et leur gamine. Après un long périple à travers l'Europe et la France, ils posent leurs bagages dans la petite ville d'Engomer, en Ariège.  

Rassemblement en soutien à Ervis, dimanche 9 mai à Engomer. ©Stéphane Lessieux

Rassemblement en soutien à Ervis, dimanche 9 mai à Engomer. ©Stéphane Lessieux

Déjà inquiété par une première Obligation de quitter le territoire français (OQTF) devenue caduque, Ervis est interpellé en voiture par les forces de l'ordre le 30 avril dernier. Il était parti chercher les analyses sanguines de sa fille et n'avait alors que son permis albanais.

Au lendemain de son arrestation, la préfecture déclenche une nouvelle OQTF à son encontre. Depuis Ervis est assigné à résidence et doit pointer tous les jours à la gendarmerie. « J'ai vraiment peur », déclare-t-il assis sur le bord du canapé. Néanmoins, un dossier de régularisation a été constitué par l'ACARM 09 et envoyé à la préfecture. La préfète aura tout pouvoir pour décider d’examiner ou non la requête.  

Ervis accompagné de son épouse Elvira et de leur fils naît en France. © Stéphane Lessieux

Ervis accompagné de son épouse Elvira et de leur fils naît en France. © Stéphane Lessieux

Un combat local

Créée en 1999, l’association qui avait à l’origine un projet de lycée expérimental au Mexique se réoriente fin 2016 sur le combat de l'accueil des réfugiés et des migrants. Il y a pour cela en Ariège un terreau plutôt favorable, comme l’analyse Sylvie, présidente du collectif : “Si je dis que je fais partie de l’ACARM, ici, on ne va pas me critiquer pour cela. Peut-être que des gens n’y sont pas favorables mais c’est quand même plus accueillants que dans d’autres régions”. 

Déjà au XXème siècle, le département était une terre d'accueil pour certains républicains espagnols fuyant la guerre civile. Une sensibilité que l'on retrouve encore aujourd'hui : « on a une liste de gens qui nous suivent qui est de l’ordre de 300. Et puis, il y a une vingtaine de membres actifs qui se mobilisent », indique Jean-Gérard, 75 ans, ancien ingénieur de formation et secrétaire de l’ACARM 09.

Attablée à sa gauche, Sylvie précise : « chaque famille qu’on accueille a un référent qui s’occupe des papiers pour les demandes d’asile, des rendez-vous santé. Il peut aussi proposer une sortie, faire les courses ou les amener dans des organismes comme la Croix-Rouge, Les Restos du Cœur, Emmaüs. » Souvent d’ailleurs, ces migrants et réfugiés y deviennent même bénévoles par la suite.

L’association délivre aussi des cours de français, critère incontournable dans la constitution d'un dossier de régularisation. C’est notamment le rôle de Léa, 30 ans, membre du bureau de l’ACARM 09 et enseignante en Sciences et Vie de la Terre.

La bénévole tente de casser la barrière de la langue avec les migrants en essayant de se faire comprendre avec les gestes. Une tâche complexe. « L’idée est d’apprendre beaucoup de vocabulaire et de créer du lien. Ils peuvent nous raconter une recette de cuisine et à partir de ça on essaye d’engager une conversation ». Un moyen de nouer « des amitiés fortes » mais surtout l’espoir de les voir s’intégrer dans la société.

Remettre l'humain au coeur de l'engagement

Les raisons qui ont poussé ces bénévoles à s’engager sont plurielles. Volonté d'être utile de par ses compétences, essayer de réparer les inégalités, tendre la main à d’autres êtres-humains, autant de principes qui guident les membres de l’ACARM 09. 

« Quand il y a eu ce fameux petit garçon qui est arrivé sur une plage, mort [ndlr : Aylan, un Syrien de 3 ans retrouvé sans vie sur une plage turque], j’ai pris conscience de la situation », se confie Sylvie, en buvant lentement son café. Il y a vraiment des gens qui sont en difficulté, qui viennent et meurent parfois en route. Je ne peux pas aller les aider en Méditerranée mais je me suis dit ‘qu’est-ce que je peux faire ici [ndlr : en Ariège] ?’. Je me dis que je préfère vivre à peine moins bien mais, au moins, partager. Il y a de telles inégalités... », déplore la présidente. 

Ervis assis sur le canapé accueille Jean-Gérard et Sylvie au tour d'un café ©Florian Mestres

Ervis assis sur le canapé accueille Jean-Gérard et Sylvie au tour d'un café ©Florian Mestres

Pour Jean-Gérard, l’humain reste au centre de son engagement bénévole. Au départ il voyait juste « une équipe de braves gens empotée sur le plan administratif et juridique. Je me suis dit qu'il fallait que je leur donne un coup de main», indique-t-il d’un ton taquin devant Sylvie. 

Il prend plaisir à raconter une fable pour expliquer ce qui le pousse à aider ces réfugiés et migrants : « C’est un sage qui éduque un jeune fou. Il se promène sur une plage, il fait beau mais la marée a jeté plein d’étoiles de mer qui sont en train de sécher au soleil. Le jeune fou en prend une et la rejette à la mer. Le sage se penche et lui dit ‘écoute moi, ce que tu fais ne sert à rien. C’est la nature tu dois l’accepter’. Le fou se retourne, rattrape une étoile de mer et dit : ‘peut-être que je ne changerai rien au monde mais, pour elle, je vais tout changer ». 

De la guerre en Syrie à la Sorbonne

Cette philosophie de l'altruisme a porté ses fruits avec Ahmad Mojahed. Ce réfugié syrien avait quitté son pays en 2017 avant de recevoir l’aide de l’ACARM 09. C’est chez Jean-Gérard dans la banlieue toulousaine qu’il avait été accueilli. Caméraman aux côtés des casques blancs en Syrie, il filme le quotidien de ces hommes. Des images qui participent à la réalisation du film "Last Men in Aleppo" nominé aux Oscars en 2018. Aujourd’hui, Ahmad est en Master 1 Cinéma et Audiovisuel à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Preuve qu’une main tendue peut tout changer.

Focus sur le “délit de solidarité”

Si les membres de l’ACARM 09 ne craignent pas particulièrement, sur le plan légal, les conséquences de leur aide, le droit, sur ce sujet, a récemment évolué.

 Le terme délit de solidarité n'existe pas en droit pénal, il ne s'agit que d'un terme générique pour évoquer la répression de l'aide aux personnes migrantes en situation irrégulière. 

Ce « délit » de solidarité a été en partie supprimé par une décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2018 dans l’affaire opposant l’Etat et l’agriculteur Cédric Herrou. Poursuivi depuis 2016 pour avoir aidé « à l’entrée, à la circulation et au séjour » de personnes en situation irrégulière, l’habitant de l’arrière-pays niçois a été relaxé à la suite de la reconnaissance du caractère constitutionnel du principe de fraternité.

Néanmoins, sur le terrain, de nombreux juristes et associations constatent que le délit de solidarité est encore condamné, en particulier en ce qui concerne l’aide à l’entrée sur le territoire.