Tourisme de luxe sur le Douro : ce projet qui ne voulait pas faire de vagues 

Situé à Cais do Gaia, le terminal déjà existant a accueilli près de 100 000 personnes en 2019, selon le rapport de l'APDL (administration des ports du Douro)

Situé à Cais do Gaia, le terminal déjà existant a accueilli près de 100 000 personnes en 2019, selon le rapport de l'APDL (administration des ports du Douro)

Le projet de construction d’un terminal portuaire pour bateaux de croisières sur le Douro est entré en concertation publique le 3 mai 2023. Problème, l’évaluation environnementale préalable serait incomplète aux yeux des associations de protection de l’environnement qui estiment ce projet dangereux pour l’écosystème du fleuve.

“C’est David contre Goliath”. Quand il a appris la teneur du projet, Paulo, un habitant de la commune de Vila Nova de Gaia, savait qu’il serait quasi-impossible de le faire reculer. A travers la fenêtre de son appartement situé au premier étage d'une résidence historique, Paulo fait partie des rares habitant·es de la ville qui ont la chance de pouvoir admirer chaque matin les hauteurs de Porto depuis la rive opposée. La vue y est imprenable : des toitures en brique rouge, des maisons étroites et colorées, le pont Dom-Luis et sa structure Eiffel… Mais bientôt, plus rien de tout cela. Car la Mairie de Vila Nova de Gaia et l’Administration des ports du Douro (APDL) prévoient de construire devant la résidence une grande plateforme portuaire qui accueillera plusieurs bateaux-hôtels pour touristes fortuné·es.


A en croire le rapport de pré-évaluation environnementale, disponible sur le site de l’Agence Portugaise de l’Environnement (APA), le terminal est censé répondre à “une croissance très importante” du tourisme maritime et au problème d'engorgement des terminaux déjà existants, situés au nord du Cais do Cavaco (quai de Cavaco). Un problème que nuance Gustavo Briz, porte-parole de l’association environnementale MovRioDouro, un mouvement citoyen de défense des rivières du bassin versant du Douro : "On nous dit que ce projet est nécessaire parce qu’il y a trop de bateaux, mais personne ne se demande s'il ne faudrait pas réduire le nombre de bateaux”.


Ce projet d'ampleur prévoit la construction d’un quai flottant d’une envergure de 343 mètres de long et 10 mètres de large : de quoi accueillir quatre bateaux-hôtels en simultané, mais aussi un complexe de restaurants et commerces sur deux étages, pour une surface totale de 6200 m2.

“Ces bateaux auront un impact certain sur l'écosystème du fleuve” estime Gustavo. “Car même s’il n'y a pas beaucoup de données sur les conséquences du tourisme fluvial sur le Douro, les études portant sur les rivières alentours montrent que le trafic important de ces bateaux entraîne une dégradation du milieu”. Le collectif, qui rassemble citoyens et scientifiques, s'inquiète des conséquences écologiques que pourrait entraîner ce projet, d’autant plus qu’il serait situé seulement à 2 km au nord de la réserve naturelle locale de l'estuaire du Douro.

Une étude incomplète

Le projet est pour l’heure en phase d'étude préliminaire. Autrement dit, son exécution est soumise à une décision de l’Agence Portugaise de l’Environnement  (APA) et sur la base, entre autres, d’une étude d’impact environnemental. Cette dernière a été commandée et financée par l’agence de gestion des ports à Consulmar, un cabinet de conseil privé spécialisé dans le transport maritime. A en lire le contenu, de nombreux risques semblent avoir été minimisés et d’autres, occultés.                   

D’une part, l’étude ne prend pas en compte l’impact de la circulation des bateaux qui s'y arrêteront mais seulement celui du terminal en lui-même. Et, lorsqu’elle s’y attelle, l’analyse reste lacunaire. “En termes de biodiversité, il existe une zone classée, à savoir la réserve naturelle locale de l'estuaire du Douro” admet l’étude qui précise aussi l'existance d'oiseaux marins. Cependant, ces éléments ne sont jamais recités dans l'étude, ni dans les risques, ni dans les solutions.

“Légère altération occasionnelle de l’air pendant la construction”, “impact visuel insignifiant”, “déversement accidentel de substances polluantes dans l’eau [...] peu probable”… Outre la mention d’une modification définitive et permanente de la rive, les seuls impacts environnementaux négatifs mentionnés sont qualifiés de “mineurs”. En revanche une myriade d’effets économiques positifs, comme la création d’emplois et de services ainsi que l’attractivité touristique sont énumérés dans cette même partie.

Pour Gustavo, le rapport occulte un risque environnemental évident : l’impact de l’augmentation du trafic des bateaux de croisière sur le Douro “Nous savons avec certitude que la circulation de ces bateaux n'est pas sans effet, à commencer par l’érosion des berges”. Un problème constaté dans plusieurs communes de la région, “qui ont dû dépenser beaucoup d’argent pour reconstruire les berges endommagées par les vagues créées par les va-et-vient des bateaux”.

Aussi, il alerte sur le risque important que représente le déversement dans le fleuve des eaux usées provenant des navires-hôtel. “Légalement, les bateaux doivent évacuer ces eaux dans des points de collecte qui existent le long du Douro, mais cela a un coût et l’APDL ne fait pas de contrôle” fustige le porte-parole de MovRioDouro. C'est une précaution pourtant essentielle, puisque selon une étude sur l'impact du tourisme fluvial réalisée par l'Union européenne, "la contamination liquide constitue un problème très grave pour les animaux sauvages et l’ensemble de l’écosystème". Notamment, puisque les eaux usées contiennent de "grandes quantités de composés d’azote et de phosphore, des chlorures, des substances organiques et des bactéries", ce qui peut conduire à une "diminution de la disponibilité de l’oxygène pour les organismes vivant dans les réservoirs contaminés".

Si le projet de terminal aboutit, en face du port se situra sur la friche actuelle 270 immeubles de luxes construits par la société Promiris.

Si le projet de terminal aboutit, en face du port se situra sur la friche actuelle 270 immeubles de luxes construits par la société Promiris.

Le 12 juin prochain, la concertation publique censée recueillir les éventuelles oppositions au projet s’achèvera. MovRioDouro et les habitant·es de l’immeuble de Paulo ne manqueront pas d’y montrer leur désaccord : “Nous le ferons, prévient le représentant de l'association. Non seulement pour faire annuler ce projet, mais aussi pour remettre en cause l'ensemble de la politique de tourisme fluvial et la manière dont il est pratiqué

Des zones d’ombre
et une enquête pour corruption

A ce stade d’avancement, le projet ne mentionne pas encore d’investisseurs ni aucune estimation du coût de construction. En revanche s'il aboutit, il semblerait que le premier bénéficiaire sera Douro Azul, principal exploitant du fleuve en matière de tourisme. Cette société est une filiale de Mystic Invest, une société nationale spécialisée dans les croisières de luxe et propriété de Mario Ferreira, homme d’affaires portugais.

“Est-ce que cela apporte réellement de la richesse à la région ou est-ce que cela apporte seulement de la richesse à une entreprise ? Personne n'a fait ce calcul.” 
Gustavo Rimz, membre de l'association MovRioDouro

Construit en 2003, le quai actuel appelé "Cais do Gaia" a couté 15 millions d'euros. Le nouveau terminal ne se substitura pas à celui-là. Au contraire, il va accroire les services touristiques malgré la dégradation environnementale que cela entraîne.

La Mairie de Vila Nova de Gaia semble vouloir métamorphoser son territoire depuis déjà plusieurs années. En juin 2019, elle a vendu à la société belge Promiris un site naturel de 51 190 m2, situé en bordure du fleuve et à quelques mètres à peine du potentiel futur terminal. Ce projet appelé Gaia Hills, prévoit la construction de 270 logements “haut de gamme” et aboutira en 2025. Il fait partie du plan de modernisation de la ville, tout comme le terminal portuaire de Cais do Cavaco : les deux projets seront donc interdépendants économiquement.

Le 16 mai 2023, l’adjoint au maire de Vila Nova de Gaia, Patrocínio Azevedo, a été arrêté pour soupçon de “corruption et favoritisme” ainsi que deux agents municipaux de la ville de Porto, comme le rapporte le média Novo. L'enquête porte précisément sur le contournement des règles relatives aux permis de construire pour favoriser « les promoteurs associés à des projets de forte densité et ampleur » a affirmé le parquet dans un communiqué. Six autres personnes dont deux hommes d'affaires ont été arrêtés.

Ces faits récents, au-delà des conséquences environnementales minimisées par le rapport d'expertise, jettent un voile d'ombre sur le bien-fondé d'un tel projet, pourtant signé du célèbre architecte Seiza...

Ni l’APDL, ni Mystic Invest, ni la Mairie de Vila Nova de Gaia, ni Consulmar n’ont souhaité répondre à nos questions, à ce jour.