Home Kultur Lab

TECHNO OFF BERLIN

Un constat amer : depuis près de huit semaines, la vie nocturne berlinoise s’est endormie. La crise du coronavirus aura pour le moment eu raison de l’indomptable scène techno. Et quand elle tangue, c’est toute une industrie qui vacille.

Sont concernés près de 9 000 emplois, des centaines de clubs et plus de 58 000 événements par an. Autant d'acteurs aujourd’hui à l’arrêt. La situation est historique, «c’est la crise la plus importante depuis la Deuxième Guerre Mondiale» affirme Lutz Leichsenring, porte-parole de la Commission des clubs berlinois.

La fermeture générale entraînée par la crise sanitaire risque d’être un coup de massue final pour les clubs berlinois. Privés de revenus, beaucoup sont dans l’impossibilité de payer leur loyers. Des loyers qui n’ont eu de cesse d’augmenter depuis une vingtaine d’années.

À Berlin, comme dans beaucoup de capitale européenne, la gentrification fait rage.  Un «processus qui touche des quartiers centraux. L’arrivée d’habitants plus aisés, la transformation des commerces, des espaces publics et de l’image du quartier entraînent une augmentation du prix de l’immobilier», précise la sociologue Hélène Jeanmougin.

Conséquence : les clubs sont repoussés toujours plus loin de la métropole.

Ce processus progressif s’est accentué avec la chute du Mur. «Dans des quartiers comme le Reuterkiez-Neukölln, les loyers ont augmenté de 80% entre 2008 et 2014» poursuit-elle.

5 questions à Hélène Jeanmougin

Pour le Suicide club, les aides d'urgence formulées par le gouvernement allemand restent insuffisantes : «cette aide s'adresse aux entreprises en général mais tous les clubs ne remplissaient pas les conditions requises pour la recevoir. De plus, elle reste limitée et ne couvrait que les frais de fonctionnement comme le loyer ou les frais de personnel seulement pendant quelques semaines».

Le club décrit lui aussi une situation compliquée depuis plusieurs années. «On est confrontés depuis des années aux défis d'un paysage urbain en mutation. Les promesses du côté politique sont loin d’être figées et les obstacles bureaucratiques demeurent, les propriétaires privés sont loin de renoncer à leurs revenus locatifs, pour le club ou ses salariés. Les échéances des prêts sont seulement reportées et pas annulées. Les coûts fixes courent, mais les revenus ne reviennent pas. Nous n'abandonnerons pas tant qu'il y aura une chance. Nous sommes toujours convaincus que nous réussirons à traverser cette crise et à rouvrir dans les mêmes locaux.» Des live-streams et campagnes de crowdfunding ont vu le jour afin de soutenir l'illustre club berlinois.

Le caractère exceptionnel de cette situation force les artistes à repenser leurs créations.

Crise sanitaire ou non, il en fallait plus pour arrêter le photographe néerlandais Maarten Delobel, installé depuis un an environ à Berlin. Des quartiers apocalyptiques, silencieux où seule la lumière des néons subsiste. Un «contraste saisissant» qui a immédiatement séduit visuellement l’artiste.  Il décide alors de se rendre de club en club afin d'immortaliser, pour la première et peut-être dernière fois, ces lieux mythiques vidés de leurs occupants.

© Maartel Delobel - CLUBSTERBEN

© Maartel Delobel - CLUBSTERBEN

© Maartel Delobel - CLUBSTERBEN

© Maartel Delobel - CLUBSTERBEN

© Maartel Delobel - CLUBSTERBEN

© Maartel Delobel - CLUBSTERBEN

© Maartel Delobel - CLUBSTERBEN

© Maartel Delobel - CLUBSTERBEN

© Maartel Delobel - CLUBSTERBEN

D’autres artistes ont aussi tenté de s’adapter. De Paris à Berlin, les DJs investissent les clubs déserts pour offrir des sets diffusés en direct dans des live-streams. Une initiative qui permet aux amoureux de techno de continuer à danser chez eux.

Mais cela reste une compensation insuffisante. Sylvain Lemerle, programmateur du club Glazart à Paris estime que cette solution ne permet pourtant pas de combler les pertes de revenus des artistes et des organisateurs. Le futur reste incertain.

Pour l’instant, l’heure est aux prises de conscience. Si la crise nous a donné du temps, certains l’ont mis à profit pour prendre du recul. Pour Paul, DJ français résidant à Berlin, cette période a été l’occasion de prendre conscience de ses réelles ambitions artistiques.

En Allemagne, la reprise des clubs devrait prendre place progressivement. D'ici là, musiciens, organisateurs et autres artistes devront continuer à redoubler de créativité.

Noa Thomas, Victor Goury-Laffont, Laura Le Strat