Surfer,
au delà du confinement

Photo : Hugo Bouët

Photo : Hugo Bouët

Laissez le bruit des vagues vous transporter dans votre lecture.


Planches cachées, surf de nuit, manifestations… Il y a comme un petit air de rébellion qui plane chez les surfeurs. Ces amoureux de l’océan, épris de liberté, bravent l’interdit du confinement pour continuer de surfer. Selon eux, obéir aux règles n’est que secondaire par rapport à l’appel de l’eau. Une mentalité inscrite dans la culture surf depuis ses débuts. 

Photo : Hugo Bouët

En grandissant, mes inspirations c’était le surf punk californien des années soixante et tous ces rebelles.”, explique Hugo, 30 ans, surfeur breton depuis l’âge de 9 ans. Une culture bien spécifique s’est développée en même temps que la démocratisation de cette pratique. Ceux qui ont commencé à créer une communauté de surf dans les années cinquante/soixante étaient “des marginaux vivant sur la plage qui se moquaient des règles et qui faisaient ce qui leur plaisait”, précise Raphaël, 23 ans, moniteur de surf dans les Landes depuis un an. 

Cette mentalité est devenue un fondement au sein des nombreuses communautés surf qui se sont peu à peu développées partout dans le monde. Jusqu’à peu, le surf se distinguait par son côté “rebelle”, souligne Morgan, moniteur à la côte sauvage de Quiberon: “ Il y a vingt ans c’était hyper punk, “fuck les cops”, à la roots quoi !”. 

En grandissant, mes inspirations c’était vraiment le surf punk californien des années soixante et tous ces rebelles.

Si la pratique du surf s’est aujourd'hui institutionnalisée avec la création de fédérations, l’apparition de surfeurs d’horizons très divers (enfants, médecins, urbains qui viennent faire du surf en vacances, etc), l’héritage de cette culture surf n’est pas mort. C’est pour cela que l’on voit actuellement des puristes braver l’interdit du confinement. Ils ont ça en eux, ça leur colle à la peau.

Photo : Julia Le Doux

D’origine anglo-saxonne, la culture surf se caractérise par un certain individualisme. Comme l'affirme Hugo, “Aux États-Unis ou en Australie, avoir une culture individuelle forte n’a aucune connotation négative”. Il ajoute cependant que cet individualisme dans le surf “ne peut s'exercer qu’au sein d’une communauté”. Les surfeurs possèdent une identité de groupe forte. “Pour ma part et pour beaucoup de personnes que je connais, on ne va jamais surfer seul. On est toujours à 2, 3 ou 4, même pendant le confinement tout en respectant les distances”, déclare Morgan.

Photo : Julia Le Doux

Photo : Julia Le Doux

Exercer sa passion au sein d’un groupe permet d’avoir des soutiens et d’apprendre à se surpasser : “Si on va surfer des vagues de malades, on aura besoin de le partager avec ses potes. On a besoin de la communauté pour avoir une reconnaissance en tant que surfeur. Le respect mutuel se gagne par l’assiduité et l’entraide”, explique Hugo avant d'ajouter que l’idée de communauté est présente dans tous les sports extrêmes.

Le respect mutuel se gagne par l’assiduité et l’entraide

Au niveau de l’organisation des sessions de surf, les informations sur les conditions, les marées, les spots où il y a les meilleures vagues sont partagées. L’entraide prime au sein du groupe rendant la notion de communauté encore plus forte avec le confinement : “On s’organise, on se prévient si la police est présente sur un spot. Plusieurs groupes Facebook se sont créés pour qu’on se tienne informé”, témoigne l’un des surfeurs.

En revanche, la notion d’individualisme se retrouve dans la pratique : “On est seul sur sa planche et on prend sa propre vague”, précise Raphaël. Par conséquent, il juge, comme beaucoup de ses pairs, injuste et incohérente l’interdiction de pratiquer les sports individuels, dont le surf, pendant le confinement : “On n’est jamais collé à quelqu’un, il y a énormément de place dans l’eau. Le risque de transmission du virus est très faible”. Morgan affirme de son côté qu’il est plus en contact avec des gens quand il marche dans la rue que quand il va surfer et ajoute, “ Le danger du Covid n’est pas réel dans le surf”.

Photo : Julia Le Doux

Photo : Julia Le Doux

Le seul argument légitime pour l’interdire en cette période selon Raphaël, c’est qu’en cas de blessure, on fait appel aux pompiers ou aux urgences qui seront moins disponibles pour les malades de la Covid.

L’individualisme dans la culture surf se caractérise aussi par la possibilité pour chacun d’être libre, de faire ce qu’il veut, quand il veut, sauf de “taxer” une vague bien sûr ! Empêcher des surfeurs de pratiquer sous prétexte que nous sommes confinés est, vous vous en douterez, très mal perçu.

Photo : Chloé Eucher

Photo : Chloé Eucher

Photo : Chloé Eucher

Photo : Chloé Eucher

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Photo : Julia Le Doux

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Photo : Chloé Eucher

Photo : Chloé Eucher

Photo : Chloé Eucher

Photo : Chloé Eucher

Photo : Chloé Eucher

Photo : Chloé Eucher

Photo : Julia Le Doux

Photo : Julia Le Doux

La notion de liberté est donc fondamentale dans la culture surf. Entretenant un rapport particulier avec l’océan, les surfeurs pratiquent  sur un “terrain” qui comporte peu de limite en matière de temps : “Pendant le premier confinement on allait surfer la nuit, quand c’était les pleines lunes”, relate Morgan, mais surtout en matière d’espace : “J’ai vécu deux ans en Australie de l’Ouest, six mois en Nouvelle-Zélande et un an au Panama”, raconte de son côté Hugo avec toujours l’objectif de surfer l'immensité d’un nouvel océan et de “vivre des moments uniques, hors du temps”.

Pendant le premier confinement on allait surfer la nuit, quand c’était les pleines lunes

En narrant ses voyages, le passionné confie que la liberté, singularité fondamentale de la culture surf, a “drivé sa vie”. Même en dehors de l’eau, il ne cesse de s’évader au travers de nombreuses lectures abordant ce thème, que ce soit “Sur la route” de Jack Kerouac qui a inspiré la communauté surf dans les années soixante-dix ou “La désobéissance civile” d’Henry David Thoreau.

En se basant sur ce deuxième exemple plus philosophique, il considère que le libre arbitre caractérise la culture surf : “Quand t’es surfeur, peu importe la règle, tu te bases sur ton libre arbitre. Si on te dit qu’il y a des requins dans l’eau et qu’il ne faut pas aller surfer, c’est à toi de choisir si tu y vas quand même”. Rapporté à la Covid-19, ce serait donc à nous de décider si on va surfer, confinement ou non.

Entrée de la plage de Sainte Barbe (56) - Maxime Asseo

Entrée de la plage de Sainte Barbe (56) - Maxime Asseo

Plus qu’un sentiment de liberté, le surf est un véritable mode de vie pour les puristes : “Je m’arrange pour être libre au bon moment, je pense à habiter près des vagues. Tout ce que je fais a plus ou moins un lien avec le surf ”, indique Raphaël. Pour Morgan, c’est la même chose : “Des fois l’été, je me lève à six heures du matin pour aller surfer avant le boulot. Tous les jours, même si je ne vais pas surfer, je vais voir les vagues (…) c’est une réelle addiction”. Hugo confie de son côté que les vrais puristes du surf, dont il fait partie, choisissent de “gagner moins d’argent”, de faire des jobs “moins passionnants” pour vivre leur amour de l’océan. C'est pour eux une réelle “drogue”, aux effets purement bénéfiques.

Le surf permet de se vider l’esprit et certaines personnes comme Hugo en ont besoin : “Quand je ne surfe pas, je ne me sens pas très bien, je n’arrive pas à extérioriser. C’est vraiment bénéfique en matière d’équilibre mental. On oublie tous les problèmes par la pratique”. Le surfeur est d’ailleurs en plein déménagement. Il a quitté la Trinité-sur-Mer (56) pour s’installer à 15 minutes en voiture, dans le village de Plouharnel où les vagues ne sont qu’à quelques mètres.

Toujours dans une vision philosophique, il considère le surf comme une “échappatoire”, un “détachement” vis-à-vis d’une société qui va toujours “trop vite”. Partageant le même point de vue, Raphaël ajoute que le surf, en plus d’avoir des vertus physiques (agilité, endurance, etc), renforce le système immunitaire : “L’eau est remplie de bonnes bactéries qui te rendent plus solides face aux maladies”. Ne pas aller surfer pour éviter d’attraper la Covid-19 est incohérent selon lui. 

Mode de vie, nécessité psychologique et physique, les passionnés ont un besoin viscéral de surfer. Cela explique les nombreuses contestations lors du deuxième confinement. Le premier avait été dur à avaler, alors cette fois, de nombreux surfeurs ont décidé d'afficher leur colère.

Sur la côte basque, ils ont décidé de braver les interdits en se rejoignant à l’eau, obligeant le déploiement de la gendarmerie maritime. À Oléron, surfeurs et kitesurfeurs ont uni leurs voix pour demander un accès dynamique au littoral, ou encore à Guidel en Bretagne, ils ont choisi de manifester sur la plage, munis de banderoles accrochées aux planches de surfs plantées dans le sable. En parallèle, le hashtag “#rendeznouslamer” a fleuri sur les réseaux sociaux. Le but étant clair : se faire entendre.

Photos : Florent Koenig, Julia Le Doux

Quand je ne surfe pas, je ne me sens pas très bien, je n’arrive pas à extérioriser. C’est vraiment bénéfique en termes d’équilibre mental. On oublie tous les problèmes par la pratique.

Plage de Sainte Barbe (56) - Maxime Asseo

Plage de Sainte Barbe (56) - Maxime Asseo

Beaucoup d’amateurs de surf n’ont cependant pas exprimé leur mécontentement par rapport au confinement : “On est face à quelque chose de profond qu’est l’entrave à la liberté. Mais devant une situation exceptionnelle promulguée par le gouvernement, on a décidé de le respecter”, explique Virgil, 21 ans et presque autant en surf.

Pour son ami Louis, personne n’est au-dessus des lois : “C’est dommage de braver les interdits...”. Pourtant les deux surfeurs oléronais ont grandi dans les vagues, connaissent tous les recoins de l'île charentaise. Étant équipés pour surfer l’hiver, l’envie de se jeter à l’eau est forte lorsque les conditions sont bonnes, mais le respect des règles et leurs études passent avant la pratique.

“ On est face à quelque chose de profond qu’est l’entrave à la liberté. Mais devant une situation exceptionnelle promulguée par le gouvernement, on a décidé de le respecter

Selon Hugo, il existe deux visions des choses dans le surf. D’un côté il y a les puristes en première ligne de la contestation, considérant le surf comme un mode de vie et une nécessité. De l’autre, il y a ceux pour qui ce n'est qu'un simple hobby et ne pas surfer pendant un mois à cause du confinement n’est pas insurmontable.

Virgil et Louis le reconnaissent, le surf n’est pas leur activité principale : “Je ne surfe pas tous les jours. Je n’ai pas mon van et je ne vais pas de plage en plage pour chasser les vagues. C’est ce rapport au surf qui me fait respecter le confinement”, avoue le premier. Cependant, même s’il existe deux visions des choses, Virgil et Louis compatissent : “Je comprends que certains bravent le confinement. C’est quand même un sport assez individuel. Si tu ne vas pas checker tous tes potes sur le parking, le risque de contamination est infime”.

Je suis désespéré de voir encore des surfeurs à l’eau !”, soupirait de son côté Jean-Luc Arassus, président de la Fédération Française de Surf, lors du premier confinement à l’Équipe 21. Mais aujourd’hui la situation est différente. Les surfeurs se sont rebellés, ils ont manifesté et se sont fait entendre via la Fédération qui leur a apporté son soutien à travers un communiqué du 23 novembre : “Nous exerçons un lobbying intense et permanent auprès des politiques, seule clef pour rouvrir entièrement notre terrain de jeu et vous revoir tous, sans exception, à l’eau. Cela se traduit, notamment, par la lettre au Premier ministre cosignée par 68 sénateurs pour la reprise des activités de plein air. Nous militons pour défendre les bienfaits des activités nautiques pour la santé physique et psychologique. (…) Nous proposons des protocoles de reprise pour démontrer, comme au mois de mai, notre capacité à pratiquer dans le respect de consignes sécuritaires strictes”.

Photo : Maxime Asseo

Le Premier ministre a autorisé la reprise des activités nautiques à partir du 28 novembre. Les surfeurs pourront retourner légalement à l'eau. Pour autant, ceux pour qui le surf est un réel mode vie n’avaient pas hésité à outrepasser les règles pour surfer librement, comme avant.

Photo : Maxime Asseo

Photo : Maxime Asseo