Sur le chemin de l’école

A Massat, différents modes d'éducation sont possibles pour les enfants. Certains font le choix de l'instruction en famille quand d'autres prennent la voie de l'école publique, des décisions en partie influencées par la pandémie de Covid-19.

Allée des écoles. Les imposants bâtiments de l’école communale sont entourés de pelouse où jouent les élèves, en période périscolaire, après l’heure de fermeture. La lourde grille d’entrée s’entrouvre en grinçant sur le chemin de gravier qui mène jusqu’à l’édifice central. Une première porte en bois, puis une deuxième porte bleu turquoise, donnent accès au bureau de Maud Febvay, directrice de l’établissement depuis un an. Les vastes fenêtres aux vitres fines laissent passer les cris des enfants, entre jeux de balles et travaux en équipe. Ici, les classes sont organisées en double niveau. Grandes Sections et CP sont par exemple réunis au sein d’une même cohorte d’élèves. En septembre, les lieux n’accueilleront plus que trois classes, contre quatre aujourd’hui. « Actuellement, il y a entre 15 et 20 élèves par classe, des chiffres tout à fait honorables pour une école rurale » , prévoit l’institutrice. « À la rentrée, les effectifs vont grimper, nous allons passer à 20, voire 24 étudiants. Quand une classe ferme, il est en général très difficile de parvenir à la rouvrir. » Sur les murs beiges sont accrochés dessins, photographies, et même une parodie de la bande dessinée Astérix qui met en scène le général romain Coronavirus. L’année dernière,
« certaines familles qui avaient leurs enfants scolarisés ont fait le choix d'essayer l'école à la maison par peur du virus, par refus du port du masque. Mais également car le gouvernement leur a demandé, pendant un temps, de garder leurs enfants à la maison comme solution à la propagation du virus, précise la directrice. Ces mêmes familles ont donc découvert un autre mode de vie et ont, pour quelques unes, décidé de poursuivre sur cette voie. » Elle ajoute que 58 enfants sont scolarisés en maternelle et primaire à Massat.

Jeu de dominos en perspective

Le bois du bureau disparaît sous l’amoncellement des dossiers à traiter dans la journée et la sonnerie du téléphone retentit régulièrement. Maud Febvay bénéficie d’une journée de décharge de son poste d’institutrice des Grandes Sections/CE1 pour s’occuper de toutes les tâches administratives. Cela ne sera plus le cas à partir de septembre : « l’année prochaine, je ne sais pas si je serai encore directrice, mais ça sera très compliqué pour la personne qui occupera ce poste. Ça prend beaucoup de temps, car même si nous sommes un petit établissement, on doit dialoguer avec plusieurs interlocuteurs ».

Parmi eux, on retrouve Céline Sutra, la déléguée aux affaires scolaires. Elle est aussi présidente du Syndicat intercommunal à vocation éducative (SIVE). Il relie les quatre communes du regroupement pédagogique intercommunal (RPI) Biert-Massat : Massat, Biert (pour les classes de CM1 et CM2), Boussenac et Le Port. « Les maires des quatre communes étaient vraiment contre cette décision. On a perdu une bonne dizaine d'enfants et en plus, on était dans un creux démographique. Avec tous ces éléments mis bout à bout, comme on avait déjà très peu d'enfants par classe, le poste a été déplacé ailleurs dans l’Ariège. » Pour l’instant, l’arrivée de nouveaux habitants dans la commune ne suffit pas à compenser la baisse du nombre d'élèves.

Le choix de l’école à la maison

Selon les données fournies par la commune de Massat, 12 enfants ne sont pas scolarisés, sans compter ceux qui ne sont pas déclarés en mairie. C’est le cas de Charlotte, habitante de Massat et mère de trois enfants de 11, 8 et 3 ans. Jointe par téléphone, en numéro non attribué, la kinésithérapeute à l’hôpital de Saint-Girons a requis l’anonymat, en raison du caractère sensible du sujet de l’école à la maison. « Quand on est alternatif dans son mode de vie, c’est difficile. » Une opinion à mettre en lien avec le projet de loi Blanquer pour une École de la Confiance qui veut encadrer davantage l’instruction en famille. « Les enfants se rendent compte qu’ils ont de la chance de rester à la maison », expose la quadragénaire. « Ils trouvent que c’est génial d’apprendre ce que l’on veut, de faire ce que l’on veut quand on veut, d'être plus libre ». La mère de famille, en congé parental, peut consacrer du temps à ses enfants, tout comme son mari, ingénieur à Toulouse en télétravail. « Parfois, deux heures de travail le matin suffisent amplement. On peut aussi ne rien faire pendant plusieurs jours et travailler davantage les jours suivants. »

Les deux aînés ne sont donc pas scolarisés, sans que ni la mairie ni l’académie ne soient au courant. Les parents d’enfants déscolarisés doivent en temps normal déclarer la situation auprès de la commune et du rectorat afin que l’Inspection d’académie puisse effectuer des contrôles réguliers. A partir de 11 ans, l’enfant doit avoir acquis un socle de connaissances précis. Sans cette déclaration, les marges de manœuvre des pouvoirs publics sont en fait très réduites car les parents ont le droit de faire l’école à la maison. Cette option et la scolarisation traditionnelle sont deux façons de répondre à l’obligation d’instruction en France, sans compétition entre ces deux choix. Il faut y ajouter une troisième : l’enseignement privé.

La question de l’entrée dans le système scolaire traditionnel se pose vers l’âge de trois ans. Charlotte affirme avoir alors présenté les deux options à ses aînés, formule qu’elle a renouvelée avec le cadet. « Pour le moment, notre petit dernier veut aller à l’école. Bien sûr, lorsqu’on lui en parle, nous gardons les aspects les plus négatifs pour nous : les violences entre les enfants, le respect limité du libre arbitre ou le contenu scolaire lui-même. Notre fils a le temps de changer d’avis d’ici la saison de récolte des fruits et des légumes. On a choisi d’appeler comme cela le mois de septembre. » Charlotte s’interrompt quelques instants, le temps d’appeler un de ses enfants au calme. Cette ancienne Parisienne est arrivée en Ariège il y a un peu moins de dix ans, sans connaître alors le principe de l’école à la maison. Il aurait pour avantage de laisser la place aux rythmes naturels de l’enfant, comme pour l’alimentation ou le sommeil. Jeux, jardinage ou cuisine : tous les moyens sont bons.

« Un enfant qui apprend par soi-même voudra en savoir davantage et assimiler plus rapidement les informations. Depuis un an, j’ai revu ma façon de faire. Avant, je les laissais complètement libres et désormais, je les guide un peu plus parce que ma plus grande fille va rentrer au collège. »

Un lien toujours présent entre les enfants

Charlotte, avec d’autres parents, a cherché à créer des relations avec l’établissement scolaire. « Nous avons proposé à l’école et à la commune du temps d’échange, de surveillance à la récré, d’animation de périscolaire mais ils ont refus ». Néanmoins, « l’ALAE, ou accueil de loisirs associé à l’école, est une association liée à l’école, donc il est impossible de faire par ce biais-là le lien entre enfants scolarisés et non-scolarisés. C’est davantage dans le village que le rapprochement doit se passer », confirme Maud Febvay, la directrice. L’école organise même différents événements pour rapprocher enfants scolarisés et non-scolarisés, carnavals et fêtes de presse de la pomme notamment.

En réalité, il n’y a pas d'animosité entre instruction en famille et scolarisation traditionnelle. « Ce n’est pas un fait récurrent, mais pour l'instant quatre familles ont fait le choix de rescolariser leurs enfants en cours d'année ou cette année et ça s'est bien passé » , conclut Maud Febvay en souriant. « La communication est fluide avec ces familles qui font l’aller-retour. La situation se vit bien ». Plusieurs chemins sont donc possibles pour assurer l'éducation des enfants.

Djalla-Maria Longa, écrivaine nomade

L’écrivaine vient de publier son dernier ouvrage, Équilibre (Roc du Ker), un recueil de témoignages d’enfants devenus grands. Ils racontent leur expérience de l’école à la maison. Djalla Maria Longa qui n’a elle-même jamais été scolarisée, revient par l’écriture sur les choix de ses parents.

« Vous voyez, on appelle cet endroit le chemin des diligences parce que c’était la route utilisée pour le transport des personnes. On a même failli avoir une voie ferrée » , décrit Djalla-Maria Longa. L’écrivaine, née dans les hauteurs de Massat, est une habituée de ce lieu situé à la sortie de la commune. Il lui a fallu quitter ses terres à l'âge de 16 ans, avant d’y revenir sept ans plus tard. D’une enfance passée sans aller à l’école, à ses voyages à travers le monde, Djalla-Maria Longa s’est construite au gré de ses aventures en ayant toujours le pays Ariégeois comme port d’attache. 

A travers les feuillages, l'œil des promeneurs est d’ailleurs attiré par les drapeaux népalais suspendus au toit de la maison de l’écrivaine. Plus bas, un bloc d’escalade où viennent chaque week-end ses deux garçons. Djalla-Maria Longa s’assoit sur un banc autour d’une table en bois, à l’écart du chemin, et replonge dans ses souvenirs, son rapport à l’Ariège et le processus de construction de son identité.

Le chemin des diligences
L'habitation est reconnaissable grâce à ses drapeaux népalais
Le chemin des diligences
L'habitation est reconnaissable grâce à ses drapeaux népalais

CHAPITRE 1 : « Mes parents idéalisaient un mode de vie qui était le leur. »

Très jeune, Djalla-Maria Longa s’est questionnée sur le mode de vie extrême de ses parents : pas d’électricité, pas de couverts, pas de vêtements et différentes tâches à accomplir selon l’âge des huit enfants de la fratrie. A 16 ans, elle décide de quitter le nid familial et déménage à Toulouse. Elle se rend alors compte « qu’elle ne s'est jamais autant ennuyée qu’en ville. » Sa soif de curiosité l’emmène un peu partout en France puis à l’étranger…

CHAPITRE 2 : « J'ai commencé à écrire pour moi. »

A la manière d’un aimant, le chemin de l’écrivaine recroise, sept ans plus tard, celui de Massat.
Djalla-Maria ne revient pas seule mais accompagnée de son époux, Sébastien et enceinte de son premier enfant. S’entremêlent alors la joie des retrouvailles avec ses proches et l’appréhension de revenir là où elle a passé son enfance. Elle va trouver dans l’écriture une voie pour raconter sa propre histoire.

CHAPITRE 3 : « Raconter les hippies pour comprendre leurs blessures. »

A travers ses romans, Djalla-Maria Longa se questionne sur le mode de vie de ses parents. Elle publie son premier ouvrage, Mon enfance sauvage, en 2011 aux éditions Glénat. Huit autres livres suivront dont le dernier, Équilibre, paru en avril 2021, chez Roc du Ker, sa propre maison d’édition. En faisant dialoguer son propre vécu avec celui d’autres personnes qui ont connu l’école à la maison.

CHAPITRE 4 : « Mes parents m’ont donné la liberté.»

Quand sonne l’heure du bilan, l’écrivaine comprend les choix de ses parents. Elle élève ses enfants, scolarisés depuis leur plus jeune âge, dans l’esprit nomade dont elle a hérité. Voyager, c’est aussi sortir du quotidien et combattre ses propres préjugés. Djalla-Maria Longa et sa famille n’ont donc qu’une hâte : que la pandémie perde en intensité pour pouvoir enfin reprendre la route.