Sur la piste du Voleur de Poule
Un mystère se cache, niché dans le Haut-Couserans. Un homme solitaire aux allures sauvages vit dans les montagnes au fil des saisons.
« Vous prendrez la première route forestière sur laquelle vous tombez, entre Bielle et Ustou. Une fois arrivés à la rivière, il vous reste trois kilomètres de piste et vous tomberez sur nous ».
Inutile de tenter d’entrer l’adresse de notre mystérieux interlocuteur sur un GPS, il n’y en a pas. Le rendez-vous est pris un mardi matin, mais se déroulera en début d’après-midi sur le terrain du Voleur de Poule. Une demi-heure de montée plus tard, les roues dans la boue et deux demi-tours périlleux, nous voilà au bout du fameux chemin. Selon les échos de la vallée, le Voleur de Poule, de son vrai nom, Julien Richard, serait un personnage sociable, atypique mais encore sauvage, comme sa terre d'accueil.
Là, une grande étendue verte s’ouvre devant nous, jusqu’à un sous-bois cent mètres plus loin. L'ami du Voleur de Poule, Régis, cigarette roulée au bout des lèvres et casquette vissée sur la tête, ramasse du bois tout juste coupé. Il semble nous attendre : « Julien n’est pas encore là, je ne l’ai pas vu depuis hier soir, mais venez, je vous offre un café ».
Régis nous invite à entrer, ou plutôt à enjamber les ronces jusqu’à sa caravane qu’il vient d’installer quelques jours plus tôt, sur le terrain de son ami. Sur notre gauche, une vingtaine de chiens Husky aboient pour saluer notre arrivée. Régis, lui, n’est déjà plus là. Il descend au bord de la rivière pour récupérer de l’eau.
Une caravane, une toile de tente et le grand enclos des chiens de traîneaux, un campement dans lequel Régis a posé ses valises au mois d’avril. Les yeux bleus et le regard timide de ceux qui n’osent pas se confier, Régis se raconte brièvement, avec distance, mais sincérité : « Comme vous, j’ai toujours vécu dans un appartement, surtout quand j’en avais encore les moyens. Payer ses factures, rentrer chez soi, aller bosser sur des chantiers pour une misère. Je n’en pouvais plus de cette société, cette manière de vivre".
Alors que Régis nous déroulait le fil de sa vie, les chiens se remettent à hurler au loup à l’unisson. Au loin, une Fiat Panda déboule à toute allure sur le chemin que nous osions à peine emprunter. Le Voleur de Poule est arrivé.
À peine après avoir claqué la portière de sa Panda tout terrain, l'homme aux yeux bleus, s’occupe de ses chiens. Le Voleur de Poule de 33 ans vient à notre rencontre, accompagné de son « second », Spike, un Husky, avec qui il a partagé des années dans la rue. Tout sourire et béret sur son crâne rasé, le « Voleur de Poule » comme il aime qu’on le surnomme s’excuse pour son léger retard : « Je reviens de la ville, j’étais en bas, chercher mes lames trempées ». Depuis 5 ans, l’homme des bois fabrique lui-même ses couteaux. De la taille du manche, à la confection des lames ou à la réparation des vieux couteaux à qui il « aime redonner une âme ». Le Voleur de Poule est connu de tous : l’épicière du village d’à côté, le crêpier de la place ou encore le berger de la vallée de Nahort. Sans atelier depuis la crise sanitaire, Julien doit travailler chez un ami. Pour gagner un peu d’argent dans ce moment difficile, l’homme à la barbe rousse propose ses services d'affûtage sur la place d’Oust et de Seix.
Sur le camp, pas de toilettes, pas d’eau courante, pas d’électricité. « Je ne vais pas vous mentir, vivre en pleine nature ce n’est pas facile tous les jours. Parfois, tu dois laisser ta caisse à trois, quatre kilomètres du camp, car il y a trop de neige ». Mais les éléments ne sont pas les seules craintes de Julien : « Il y a la prédation, je me méfie des ours, des loups dont je pourrais croiser la route ». Les aléas surprenants d’une vie perchée dans les montagnes, mais d’une vie choisie, dans laquelle il est heureux.
Se libérer du monde d'avant
À 21 ans, Julien quitte tout : la cuisine où il travaillait, son appartement, sa copine et son confort. « J’en avais ras le bol de la société, du patronat et de ma vie ». Dans le monde d’avant, le Voleur de Poule tenait grâce à la cocaïne qu'il prenait quotidiennement durant ses services en restauration. « À la fin du mois, je m’achetais des pompes à 300 balles, sur le coup t’es content, mais le soir même t’es toujours triste ». Le stress de ses fonctions, la foule, le bruit, surtout le bruit, autant de raisons pour fuir. « Le jour où t’ouvres les yeux, tu te prends une belle tarte dans ta gueule, et là faut aller vite, soit tu prends des antidépresseurs, soit tu te casses ».
Les oiseaux sifflent leurs partitions, on entend les chiens s’amuser dans le camp. C’est ce calme dans les montagnes et cette communion avec les animaux que le Voleur de Poule est venu chercher ici.
Il raconte son histoire à côté de la caravane. Après s’être réfugié dans le massif du Vercors, le natif de Fréjus se frotte aux montagnes savoyardes. Dans cette région qu’il qualifie de « peu accueillante », « d’opulente pour rien », Julien devient éleveur d’Husky, ou plutôt, Julien tombe amoureux de cette race. À partir de cet instant et jusqu’à aujourd’hui, le Voleur de Poule est le chef de sa meute, un vrai, il les mord au cou pour se faire respecter. « Spike chante », ordonne-t-il à son second, et vingt chiens se mettent à hurler au loup devant nos yeux. « Spike stop » et la meute se confond dans le silence. En Haute-Savoie, Julien fabrique même ses traîneaux qu’il loue ensuite à des clients. Une vie encore trop oppressante pour cet homme, devenu mâle alpha d'une meute de loups. Le climat, la mentalité individualiste, autant de raison de s'enfuir, encore une fois.
L'Ariège, terre de refuge
« Je suis arrivé en Ariège, là, j’ai découvert ce que c’était la solidarité. Les gens qui t’aident parce qu’ils aiment ça, qui te donnent un terrain, je me suis senti bien tout de suite ». Julien prend ses marques, le moral repart à la hausse, et, au rythme des saisons ariégeoises renoue avec ses valeurs. Celui à qui sa famille d’accueil assénait la maxime : « Y’a pas de problème, y’a que des solutions », travaille de plus belle. Il convainc même sa copine, secrétaire médicale à Lille, de bientôt le rejoindre sur le camp. Elle aussi est en rupture avec « le monde d’avant ».
Le Voleur de Poule est intégré à cette Ariège cosmopolite et solidaire. Né dans une famille de gens du voyage, des Yéniches, installés en Alsace voyageant au rythme des chants tyroliens, le vagabond se retrouve à 15 ans placé en foyer d’urgence. Un malheur qu'il aborde aujourd'hui avec philosophie. « Il y a tellement de gosses dans le besoin, je ne veux pas avoir d’enfants mais plutôt en adopter, donner un coup de main ». Cet « enfant sauvage » comme il se définit, a le regard tourné vers l’avenir. Quand on lui demande où il se voit dans dix ans, le Voleur de Poule nous répond simplement en souriant : « Je ne sais même pas où je serais demain ».