Saint-Michel, la bataille des chiffonniers

“Hé Michel, cette robe irait avec mon gros ventre? – A merveille ma puce !” répond-il en écartant le tissu le long du ventre de sa cliente. Michel, c'est l'ancien du marché, “ma mère était marchande, j'ai grandi ici, ça fait 45 ans que je vends et je m’entends avec tout le monde".
Michel a appris à parler arabe et bulgare. Une nécessité dans une brocante où l’on négocie dans plus de 5 langues différentes. Trois fois par semaine, au pied de la basilique gothique de Saint-Michel, une quarantaine de vendeurs déballent et remballent leurs marchandises. Une brocante rien de plus normale penserait-on. Sa particularité ? La répartition de l’espace entre les marchands. En haut, les Français. Au centre, les Arabes et les Africains. En bas, les Bulgares, Roumains et quelques Russes. Cette répartition géographique révèle l’histoire de la brocante de Saint-Mich' et les tensions existantes.


“Bulgaria ? Caput !"
Derrière son étal, Georgina ou Zeineb en turc, fait tourner sa longue jupe sur le rythme de l'accordéon que joue son mari. Sa fille et sa soeur l'observent en rigolant. Il y a 4 ans, Georgina et sa famille ont quitté Plovdiv, deuxième plus grande ville de Bulgarie, car sans emploi la vie devenait trop cher. Ils sont Tsiganes musulmans, comme la majorité des roms en Bulgarie. Une communauté durement frappée par le chômage et la pauvreté : "Bulgaria ? Caput!" résume simplement le mari de Georgina. Une dizaine de familles Tsiganes vendent sur le marché de Saint-Michel. "Je connais ceux qui vendent autour de moi, on s'aide, il y a beaucoup de Bulgares, de Roumains et de Russes aussi" confie Georgina, "mais les autres, les Français, on parle pas beaucoup... C'est couçi couça".
La barrière de la langue et les préjugés nourrissent cette division entre les marchands. "Ces gens de l'Est sont arrivés dans le marché il y a environ 6 ans. Au début, c'était difficile de se comprendre, ils vendaient à la sauvette. Puis, des associations les ont aidé à obtenir le régime d'auto-entrepreneur" explique Michel, l'ancien du marché. Georgina comme les autres marchands, paie son emplacement et des taxes proportionnelles à son chiffre d'affaire.
Le rêve de Georgina ? Gagner assez d'argent pour vivre dans une plus grande maison, "Incha'Allah" souffle-t-elle en levant ses grands yeux vers le ciel. Mais vendre des babioles dans la brocante lui rapporte à peine de quoi manger.
“Donner une belle image de la brocante"
Plus haut dans le marché, Sylvie vend des bonnets et autres accessoires pour l'hiver depuis 24 ans. "J'essaie de vendre une marchandise de qualité qui provient de déstockages contrairement à eux (les marchands du bas) qui récupèrent dans les poubelles." Sylvie est l'une des rares femmes à vendre dans la brocante. "Il faut s'imposer, parfois il y a des tensions entre nous, un type qui ne gare pas bien son véhicule et qui m'empêche de déballer par exemple."
Sa relation avec les marchands venus de l'Est est quasi inexistante, Sylvie "ne parle pas avec ces gens même si certains se sont intégrés". Elle estime qu'ils ne donnent pas une image positive de la brocante de Saint-Michel. "Moi, je suis les instructions de la mairie, je soigne mes étals pour attirer le client et donner une belle image de la brocante" dit-elle en vendant une paire de gant, "maintenant la clientèle aisée ne veut plus venir à cause des mendiants, des pickpockets et des vendeurs à la sauvette". Ceci-dit, ce jour là, une seule mendiante et une vendeuse à la sauvette cachée derrière le parvis de l'église sont présentes.
"Certains marchands ne s'entendent pas avec les nouveaux de l'Est car il y a une forte différence culturelle, on ne vend pas de la même façon" théorise Michel. Sylvie, comme quelques marchands, veut que le quartier Saint-Michel s'embourgeoise pour attirer une clientèle huppée. Pourtant, Sylvie tout comme Michel arrivent à vivre de leur activité.
A la brocante de Saint-Michel, les revenus des vendeurs varient. L'emplacement est un facteur essentiel. Les meilleures places sont attribuées en fonction de l'ancienneté. Sinon, il faut se lever tôt. "Pour vendre faut un peu se battre !" résume Sylvie.
