Rencontre avec Ramzi Aburedwan
Dans le quartier bordelais de la Bastide, sur la rive droite de la Garonne, la librairie Le Passeur a organisé une table ronde avec Ramzi Aburedwan, le 5 octobre 2021. Retour sur une rencontre hors-norme.
Quand j’entre dans la librairie, les chaises sont déjà placées en rond autour d’une table. Des exemplaires du livre « Le pouvoir de la musique, une enfance entre pierres et violon en Palestine » écrit par le journaliste Sandy Tolan sont posés dessus. Ramzi Aburedwan arrive quelques minutes plus tard, accompagné des musiciens de l’ensemble Dal’Ouna et d’Alain Weber, scénographe de ce spectacle. C’est à l’occasion de la présentation de leurs compositions originales, inspirées de la musique traditionnelle palestinienne et arabe, au Rocher de Palmer (Cenon) le 6 octobre 2021 que Ramzi Aburedwan est venu parler du livre qui retrace son parcours, récemment traduit en français. Nous sommes une douzaine assis autour de la table, la libraire commence par nous présenter Ramzi en quelques mots. Cela suffit à prendre conscience de la vie extraordinaire qu’il a vécue jusqu’à maintenant. Il est discret mais livre son histoire avec aisance. Il commence à parler et très vite son récit nous plonge dans la Palestine des années 1980.
Le monde a vu son visage pour la première fois en 1987. L’Intifada éclatait et Ramzi Aburedwan jetait ses premières pierres. Cette image a fait la une des journaux du monde entier. A 8 ans, il ressentait déjà l’oppression des colonies israéliennes. Né à Bethléem en 1979, il grandit dans un camp de réfugiés à Al-Amari près de Ramallah en résistant à l’occupation.
« La colonie israélienne était au milieu d’Al Bireh. Tous les jours on allait à l’école en passant par une route où il y avait des colons. Notre rôle, c’était de les déstabiliser en jetant des pierres sur les voitures. C’était un combat pour qu’ils nous laissent tranquilles. »
La violence était son seul moyen d’expression jusqu’à ce qu’il découvre la musique au Centre d’art populaire de Palestine. C’est par hasard que le violon entre dans sa vie. Un jour, une femme à qui il vendait des journaux dans la rue lui propose de venir assister à un cours de musique.
« J’ai pris l’alto et j’ai commencé à jouer. Dès ce jour-là, des portes se sont ouvertes sur ma personnalité, sur mon imagination. J’attendais ce moment comme une échappatoire, pour pouvoir m’exprimer. »
La musique a été un moyen pour Ramzi Aburedwan de dire ce qu’il ressentait et ce qui le dérangeait. Elle lui a permis de détourner l’enfermement mental et physique qu’il vivait.
Il arrive en 1998 à Angers pour étudier au Conservatoire. Il prend alors conscience de vivre quelque chose d’anormal en Palestine. Le contraste entre la liberté de mouvement française et l’enfermement palestinien est saisissant.
« Je commence à rêver, avant même d’apprendre la langue française, d’apporter quelque chose à la Palestine. »
Il commence par créer une association culturelle qu'il appelle Al Kamandjati, le violoniste. Débarqué de France en Palestine, avec des dizaines d’instruments de musique récoltés en Europe, il peut ouvrir une école de musique à Ramallah. Il donne les premiers cours de violon et de buzuk puis ouvre d’autres écoles en 2008 dans les camps de réfugiés palestiniens de Chatila et de Borj al-Barajneh au Liban. Aujourd’hui, les premiers élèves du musicien sont presque tous professeurs dans ses écoles. La transmission de l’amour de la musique, de la culture et du patrimoine palestiniens est au cœur de son travail.
Au vu de la difficulté pour les palestiniens de sortir des territoires occupés, Ramzi Aburedwan a l’idée de produire un festival de musique en Palestine, intitulé Festival AK pour Al Kamandjati. La première édition voit le jour en 2016. Pour repousser les frontières que les Palestiniens subissent, il propose de voyager à travers les traditions musicales de l’Orient. Le festival de musique spirituelle et traditionnelle est itinérant, un exploit dans le pays aux cent checkpoints. Il a lieu chaque année au mois d’avril. Il met en valeur à la fois la musique orientale et le patrimoine palestinien. En organisant les concerts, les conférences, les ateliers et les expositions photos sur des sites historiques de la Palestine, Ramzi Aburedwan veut favoriser l’accès à la culture.
On a du mal à imaginer ce que signifie vivre dans une ville où parcourir cinquante kilomètres peut prendre cinq heures. Chaque sortie à Hébron, Jérusalem, Bethléem signifie un arrêt aux checkpoints d’une heure et demie, sans raison valable. Ce sont des contrôles incessants dans un territoire qui n’est pas plus grand que la Normandie. Avec ce festival de musique, Ramzi Aburedwan veut apporter la musique aux palestiniens, la rendre accessible.
Alain Weber, co-créateur de ce festival, témoigne de l’émerveillement que provoque la musique chez les enfants.
« Ils se rendent compte qu’un autre monde est possible. Un miracle s’opère. »
Ramzi Aburedwan parle d’oppression permanente et de la difficulté d’accepter cet enfermement après avoir vécu ailleurs. « Notre mission est de leur apporter de la normalité. » La normalité par l’art et l’enseignement musical.
Le nouveau concert du multi-instrumentiste Ramzi Aburedwan exprime les réminiscences de l’enfance et de sa vie palestinienne. C’est à partir des mélodies qui lui revenaient souvent que le musicien a composé des musiques électroniques et acoustiques. Avec son violon et son buzuq, un mélange de musique occidentale et orientale, le musicien nous délivre un message d’espoir. L’art comme moyen de résistance. Ramzi, symbole en arabe, symbolise le combat pacifiste palestinien de lutte contre l’occupation et l’humiliation.
Notes: https://www.librairie-lepasseur.fr/ https://www.riveneuve.com/catalogue/le-pouvoir-de-la-musique-une-enfance-entre-pierres-et-violon-en-palestine/ https://lerocherdepalmer.fr/ http://www.alkamandjati.org/fr http://www.alkamandjati.org/fr/category/118/1/Al-Kamandjati-Festival