Renaissance de la communauté juive à Porto

À Porto, le tourisme juif s’inscrit au sein d’une communauté en pleine expansion. Celle-ci témoigne de son dynamisme par ses initiatives, comme l’inauguration d’un cimetière en avril. Depuis ces dix dernières années, des actions de ce type se multiplient afin de rendre la ville attractive aux yeux du monde judaïque.
14h30, devant l’imposante synagogue blanche Kadoorie Mekor Haim, rue de Guerra Junqueiro. Ilan Avrahami est guide touristique pour The association for Israeli tour guide abroad depuis vingt ans. Avec une bonhommie affichée et des lunettes noires sur le nez , il sonne à l’interphone à côté d’un portail colossal entouré de barbelés . Pas de réponse, impossible d’y entrer. “On avait pourtant rendez-vous. Tant pis, on s'en va !”, s’exclame-t-il à l’intention du chauffeur de bus affrété par l’association. À l’intérieur, ils sont une cinquantaine de touristes israéliens à s’impatienter. Le bus s'éloigne de la synagogue. Ilan Avrahami s’égosille dans un microphone pour présenter les lieux emblématiques de la culture et de la mémoire juives de Porto. Historiquement, la ville comptait une population séfarade très importante avant le décret de 1497 interdisant la pratique du culte au Portugal.
Des touristes en quête d’une histoire commémorative
Le bus s'arrête une rue plus loin, au musée de l’Holocauste. Quelques mots en hébreu sont inscrits sur une façade en verre. Ils indiquent : “Mémorial”. Le musée a ouvert ses portes en 2021 et a été créé par la Communauté juive de Porto (CJP).Stefany Fajn est membre de la CJP et guide au sein du musée : “La communauté juive de Porto s’étend de plus en plus. Je l'observe dans les lieux de rencontre comme la synagogue ou les fêtes”.

Stefany Fajn, guide au sein du musée, fait partie de la communauté juive de Porto.
Stefany Fajn, guide au sein du musée, fait partie de la communauté juive de Porto.
Et le cadre s’y prête. Épicerie, restaurant, lieu de séjour : tous trois sont kasher*. La communauté juive de Porto reste très active et a vu les choses en grand : des commerces figurent au sein même de la synagogue. Dans l’hôtel da Musica, proche de la synagogue, -certifié kasher par le site internet Kosher Without Borders notamment-, entre 20 et 50 personnes louent une chambre chaque samedi, jour du Shabbat. Conformément aux interdits religieux, elles et ils disposent donc d’une chambre sans télévision et ne cuisinent pas. Des plats kasher leur sont proposés. “Le nombre de réservations explose aux moments des fêtes de Pessa’h*”, assure une membre du personnel de l’hôtel. Pendant huit jours, les client.es juif.ves respectent l’interdiction de consommer des aliments à base de levain et d’en posséder dans leur lieu de vie. Certains touristes juif.ves préfèrent se rendre dans un hôtel-restaurant kasher où les plats et le tri dans les placards sont déjà réalisés. Cela facilite le bon déroulement de cette célébration. L’hôtel da Musica jouit d'une forte empreinte historique de la communauté dans le quartier. Seules 15 minutes à pied environ permettent de rallier les différents endroits emblématiques : “Ils vont à la synagogue, visitent le musée et se reposent ici ensuite”. Pratique pour des touristes en quête d’une histoire commémorative.

“La guerre n’a pas franchi la frontière portugaise. Ce musée a permis d'enseigner la mémoire de la Shoah au Portugal."
Stefany Fajn, guide au musée de l'holocauste de Porto et membre de la communauté juive


À Porto, l'hôtel da Musica, est le seul à proposer des services kasher.
À Porto, l'hôtel da Musica, est le seul à proposer des services kasher.

Rue de Campo Alegre à Porto, à quelques pas du musée de l'Holocauste, se trouve l'unique restaurant kasher de la ville.
Rue de Campo Alegre à Porto, à quelques pas du musée de l'Holocauste, se trouve l'unique restaurant kasher de la ville.
La mémoire juive entretenue
15h30, dans le musée de l’Holocauste de Porto, le seul dans la péninsule ibérique. Ce lieu de mémoire retrace l’histoire du génocide des Juif.ves par les nazis lors de la Seconde Guerre mondiale. Parmi eux, elles et ils sont 416 à avoir trouvé refuge à Porto pendant le conflit grâce à l'intervention du capitaine Barros Bastos. Ces personnes s’appelaient Raymond Baumann, Salomon Dembitzer, Israel Weiland. Un nom, une date d’arrivée et une adresse de relogement sont renseignés sur des documents d'archives accessibles au public. Il s’agit du dernier vestige de leur passage en ce lieu. Irene Pimentel est une historienne portugaise et autrice du livre "Juifs au Portugal pendant la Seconde Guerre mondiale". Elle estime à 60 000 le nombre de réfugié.es juif.ves et antinazi.es qui se sont rendu.es au Portugal pendant la Seconde Guerre mondiale. “Depuis Porto ou Lisbonne, ils étaient souvent en transit pour rejoindre les Etats-Unis, l’Amérique latine ou bien encore l’Afrique. Certains ont trouvé refuge à Porto."
À côté de la reproduction des dortoirs du camp de concentration d’Auschwitz, un couple de touristes américains ashkénazes*** visionne le témoignage d’une rescapée. Même s’ils ne sont pas venus à Porto spécialement pour visiter le musée, il s’agit d’une étape clé de leur voyage. Ému, le mari, Howard Crain, confie : “Beaucoup de membres de ma famille ont été décimés par les nazis en Allemagne pendant la guerre. Peu d’entre eux ont survécu. Ensuite, ils se sont établis aux Etats-Unis”.
Ouvrir un tel lieu de mémoire représente un message d’inclusion et d’intégration pour certains membres de la communauté juive mondiale. C’est le cas de David, habitant de Rua da Campo Alegre, à quelques pâtés de maisons de la synagogue et du musée. Il y a un an, il a fait ses bagages et a quitté l’Espagne où il se sentait mal à l’aise en tant que juif. “Lorsque j’ai entendu parler de l’essor d’une vie juive dans cette ville, je me suis dit que j’étais le bienvenu.” Ici, à Porto, ce pratiquant d’une cinquantaine d'années considère sa façon de vivre respectée. Chaque vendredi, il se rend à la synagogue. Lors des sorties entre amis, le rendez-vous est fixé au seul restaurant kasher de la ville. Mieux : il porte désormais une étoile de David accrochée à son pendentif sans crainte. À Porto, il se sent en sécurité. “Lorsqu'on est juif, on choisit son lieu de vie en fonction de la dangerosité que le lieu représente.”

Marilyn et Howard Crain sont un couple de touristes juifs venus tout droit du New Jersey. Visiter le musée de l'holocauste de Porto relève d'une réel besoin de mémoire.
Marilyn et Howard Crain sont un couple de touristes juifs venus tout droit du New Jersey. Visiter le musée de l'holocauste de Porto relève d'une réel besoin de mémoire.
"C'est bien de savoir qu'il y a une population juive qui peut pratiquer sa religion librement à Porto."
Howard Crain, touriste américain à Porto à la sortie du musée de l'Holocauste






Devant les portes du musée figurent l'inscription " mémorial" en hébreu.
Devant les portes du musée figurent l'inscription " mémorial" en hébreu.

Selon une approximation de Stefany Fajn, 20% des visiteurs du musée font partie de la communauté. Le reste est constitué par des écoliers lors de visites scolaires.
Selon une approximation de Stefany Fajn, 20% des visiteurs du musée font partie de la communauté. Le reste est constitué par des écoliers lors de visites scolaires.

Le musée de l'holocauste de Porto évoque la fondation de l'état d'Israël comme sur le mur ci-dessus.
Le musée de l'holocauste de Porto évoque la fondation de l'état d'Israël comme sur le mur ci-dessus.

Rue São Bento da Vitória. Dans l'ancien quartier juif, se trouve une plaque commémorative en mémoire des juifs forcés de se convertir à la fin du XVe siècle.
Rue São Bento da Vitória. Dans l'ancien quartier juif, se trouve une plaque commémorative en mémoire des juifs forcés de se convertir à la fin du XVe siècle.
Une renaissance incontestable
À Porto, si on en croît la communauté judaïque : “L"antisémitisme progresse en Europe mais Porto semble être un havre de paix. Il y fait bon être juif”, déclarait dans l’Express, Sam Elijah, l'ancien président de la communauté juive de Porto (CJP) . Dans l’ouvrage “2000 ans de communauté juive à Porto” édité par la CJP, les chiffres sont sans appel : elle évoque une augmentation de 1000% de la communauté ces dernières années. Dans la ville du Douro, les signes d’ouverture s’enchaînent depuis que la communauté juive de Porto est revenue sur le devant de la scène en 2012, année où elle a été enregistrée et légalisée. Cet organisme pèse lourd dans les récents aménagements tels que l’inauguration du musée juif (2015), la rénovation de la synagogue Kadoorie Mekor Haim (2016), l’ouverture du musée de l’Holocauste (2021) ou bien du cimetière juif le 25 avril 2023. Ce dernier avait été détruit en 1497 suite au décret de l'interdiction de pratiquer le judaisme au Portugal. Depuis, une vie dynamique juive voit le jour, en témoigne la fréquentation croissante de la synagogue Kadoorie, auparavant vide selon la CJP. Une stratégie planifiée dont le but visait à (re)placer Porto sur la carte du monde juif.
Si la capitale du nord peut se targuer d’avoir une communauté locale importante, la mentalité de la métropole n’y est pas innocente. D’après la CJP, elle converge avec “l'esprit du juif séfarade****”. À savoir une appétence pour le travail et le commerce, une forte initiative de créer de nouveaux horizons, un attachement à son territoire associé à un cosmopolitisme développé ainsi qu’un sens de l’indépendance et de la non-subordination affirmé.


Le prêtre et le rabbin
En 2014, le père Agostinho Cesario Jardim Moreira propose l’édification d’un mémorial en l’honneur de la communauté judaïque. Cette décision peut surprendre mais elle reflète une véritable volonté de valorisation. Au détour d’une balade dans le dernier quartier juif situé dans sa paroisse, il surprend une scène intrigante. Des ouvriers recouvrent une relique juive. Voyant ce symbole dans la zone judaïque, celui-ci multiplie les appels jusqu’à converser avec des responsables juifs d’Amsterdam. De ces échanges naissent l’idée d’une préservation de l’histoire et d’un développement de la culture juive à Porto, jusqu’alors vierge de tout ouvrage. “Depuis, je me suis intéressé à la culture judaïque et j’ai voulu la promouvoir.” Ainsi, l’agglomération est placée sous le signe de l’interreligiosité.

Le père Agostinho Cesario Jardim Moreira dans son bureau dans l'église San Nicolau.
Le père Agostinho Cesario Jardim Moreira dans son bureau dans l'église San Nicolau.
Un terrain propice à l'interreligiosité
Ainsi naît un livre retraçant les liens entre la communauté juive et la ville invaincue nommé "Judaïsmo no Porto". Une trace écrite suivie d’un mémorial qui n’a pas trouvé écho auprès des instances judaïques : “Ce n’était pas pensable pour eux qu’un prêtre catholique promeuve le judaïsme. Ils pensaient que j’étais le visage de l’inquisition”, explique le père. Cet accroc n’a pour autant pas entaché la relation entre les différents cultes. D’après Agostinho Cesario Jardim Moreira, il y a toujours eu de bonnes relations “cela a toujours été une ville où plusieurs religions se côtoient”. Suite à cet épisode, une commission interreligieuse présidée par le père Agostinho a été mise en place en 2021 par Manuel Da Silva Rodrigues Linda, l'évêque de Porto. Au sein de ce groupe de travail se trouvent des membres de confession judaïque, musulmane, chrétienne, bouddhiste ou bien Hindoue. Elle a pour but de garantir un dialogue interreligieux et se réunit une fois par mois pour échanger sur les différentes coutumes des cultes. Des différences de croyance, mais ils convergent vers une seule et même direction : celle du vivre ensemble.
INDEX :
*Kasher : conforme aux prescriptions rituelles de la loi juive.
**Pessah : une des trois fêtes de pèlerinage du judaïsme commémorant la libération des Israélites de l’esclavage en Egypte.
***Ashkénaze : se dit d'une personne de confession juive originaire d'Europe centrale ou orientale.
**** Séfarade : se dit d'une personne de confession juive originaire de la péninsule ibérique.