Rapports sexuels douloureux, la face cachée de l’endométriose

"C'est une sexualité douloureuse qui [les] encombre plus qu'autre chose" résume Céline Vendé, sexothérapeute à Bordeaux.

"C'est une sexualité douloureuse qui [les] encombre plus qu'autre chose" résume Céline Vendé, sexothérapeute à Bordeaux.

Les douleurs ressenties pendant les rapports sexuels, appelées dypsareunies, sont un symptôme méconnu. Pourtant, 47% des femmes atteintes d’endométriose en souffrent. Éclairages sur un problème intime, aux répercussions multiples chez les concernées.

Des douleurs sourdes et profondes”, “jusque dans l’anus et dans les fesses”, “maux de ventre” qui peuvent durer plusieurs heures. Mia, 22 ans, souffre de dyspareunies depuis qu’elle a une vie sexuelle active. Atteinte d’endométriose, la maladie lui cause des douleurs pendant les rapports sexuels. “Des fois je vais avoir certaines douleurs, d’autres fois rien du tout, et la fois d’après toutes en même temps”, explique la jeune toulousaine. La dyspareunie, à l’image de l'endométriose, provoque des douleurs inconsistantes.

La localisation des lésions d’endométriose chez la femme peut justifier l’apparition de douleurs pendant les rapports sexuels. “Si des lésions d’endométriose sont présentes sur le cul de sac de Douglas et que lors de la pénétration, le pénis ou autre objet vient toucher cet endroit, des douleurs peuvent apparaître", explique Céline Vendé, sexothérapeute à Bordeaux.  “Ce n’est pas le frottement qui va être douloureux mais les mouvements lents et plus profonds”, commente Sara, 31 ans, également atteinte d’endométriose et de dyspareunies. Céline Vendé caractérise cela de “dyspareunie profonde” - les douleurs que l’on ressent au fond du vagin. On la différencie de la “dyspareunie d’intromission” qui sont des douleurs ressenties à l’entrée du vagin.

Image : LPS

Image : LPS

“Je ne suis pas une vraie femme”

Ses douleurs, le premier copain de Mia ne les comprenait pas. “Je sentais que ça le dérangeait de ne pas pouvoir faire tout ce qu’il avait envie de faire”, soupire la jeune femme. Pas encore diagnostiquée à ce moment-là, elle ne sait pas ce qu’est l’endométriose. Elle voit plusieurs gynécologues et médecins qui lui disent que ses douleurs sont normales. Ne trouvant pas de réponses à ses questions, un sentiment de culpabilité naît chez Mia. “Ça peut jouer un rôle très destructeur de se dire que je ne suis pas une vraie femme, que je ne suis pas une bonne petite copine parce que je ne peux pas apporter à mon copain tout ce qu’il veut, que je ne suis pas normale.

Elle se questionne sur la place qu'elle occupe dans la société en tant que femme qui ne peut pas "coucher comme elle l'entend".

Mia n’est pas la seule à se faire ces remarques. Selon une enquête d’EndoFrance et MySLife datant de novembre 2021 sur l’impact de l’endométriose sur la vie affective et sexuelle des femmes, 78,5% des personnes interrogées ont témoigné d’un impact direct de la maladie sur l’image de soi.

Céline Vendé, sexothérapeute, explique comment elle aide ses patientes à retrouver une vie sexuelle apaisée.

La professionnelle le confirme dans son cabinet empli de livres sur la sexualité : “Les femmes vont avoir une vision altérée de leur corps ce qui va engendrer une baisse de confiance en soi, une baisse d’estime de soi”. Sensation de trahison de la part de leur corps, douleurs persistantes, errance médicale, tabou, les dyspareunies n’ont pas seulement un impact sur la sexualité mais aussi sur la santé mentale des femmes. Dans les cas les plus graves, cela peut aller jusqu’à la dépression. 

Sujet tabou, comment en parler ? 

Mia est désormais dans une relation saine avec “une personne bienveillante” selon ses mots. Elle ose “dire non lorsqu’elle n’a pas envie sans que ça paraisse méchant”.  Mia discute sans souci de ses dyspareunies avec son partenaire, sans culpabilité et dépréciation de soi comme cela a pu l’être dans le passé. 

Le lourd fardeau des souffrances physiques et mentales de ces femmes nécessite parfois de se décharger émotionnellement parlant. Dans ce cas, il est possible de consulter un sexothérapeute ou d’en discuter avec des proches. Si Sara considère que cela doit rester dans le cadre de sa vie intime et de son couple, elle n’exclut pas le fait d’en parler dans le cadre de l’association EndoFrance, qu’elle a rejoint il y a peu. 

Mia, 22 ans, souffre de dyspareunies depuis qu'elle a une vie sexuelle active. Crédit photo : Mia.

Mia, 22 ans, souffre de dyspareunies depuis qu'elle a une vie sexuelle active. Crédit photo : Mia.

En ce qui concerne Mia, elle a décidé d’en parler à des amis proches. Mais pas que. L’objectif de son compte Dyspare.unies sur Instragram est de créer une communauté bienveillante qui échange sans complexes sur le sujet. D’ailleurs, Mia met en place une forme de résilience lorsqu’elle affirme “Si mon copain veut me quitter parce qu’il ne peut pas me pénétrer, c’est peut-être moi qui ferais mieux de le quitter et d’en trouver un autre”. 

Exit la pénétration … 

Sortir du rapport sexuel pénétratif.” Cette préconisation, la sexothérapeute installée dans un chaleureux cabinet de la Rue Paul Camelle à Bordeaux, en fait son fer de lance. Quand la sexualité traditionnelle considère le trio préliminaires-pénétration-orgasme comme le sempiternel entrée-plat-dessert, elle préfère parler de buffet. Les plats y sont nombreux. Le choix est au rendez-vous et le menu peut varier en fonction des envies. La pénétration n’est qu’un plat parmi tant d’autres. Il ne constitue plus le plat de résistance. Érigée au même niveau que les autres pratiques sexuelles, la pénétration ne s’arroge plus le rôle d’acte sexuel dominant et conventionnel. 


Pour Sara, mariée et sans enfant, les rapports pénétratifs sont possibles. Sauf dans certains cas. Si, avec son conjoint, ils pratiquent l’amazone, les douleurs apparaissent. “Les positions dans lesquelles j’ai mal, on ne les fait pas”, témoigne Sara. “C’est même plus un sujet”, affirme la jeune femme de 31 ans.

Alors que cela se limitait jusqu'à très récemment à une seule position sexuelle, ils en découvrent une autre douloureuse. “J’ai dû lui dire d’arrêter” se désole-t-elle, tant les sensations d’inconfort et de souffrance étaient fortes. Elle admet entre deux rires gênés “ça me saoule parce que j’avais pas mal avant et puis j’aime bien aussi [cette position]”. Une partie du kamasutra est alors impraticable pour ce couple. 

Mia, elle, s’essaye à différentes positions avec son partenaire. “Parfois, on va juste tester de nouvelles choses à titre expérimental”, raconte-t-elle.

Témoignage de Mia qui se sent obligée de "broder autour de la pénétration".

Les préliminaires
tiennent le haut de l’affiche 

Et pour Mia, ce qui est largement appelé “préliminaires” est un acte sexuel à part entière. Le sexe oral ne colmate par les brèches de rapports sexuels pénétratifs douloureux, mais est source de jouissance et de plaisir. Elle confie : “C’est pas parce que je ne peux pas être pénétrée que je ne peux pas avoir une sexualité”. 

Lorsque le sujet des relations sexuelles non-pénétratives est abordé, les idées fusent pour cette jeune étudiante toulousaine : “le sexe digital, les calins, les massages, se frotter habillé ou non, dormir nu … déclare-t-elle un sourire taquin aux lèvres, les seules limites sont celles de notre imagination”. Se cantonner à la pénétration revient donc à négliger tout un autre pan de la sexualité. Cela dit, la jeune femme de 22 ans ne foule pas du pied cette dernière, affirmant qu’il s’agit “littéralement d’être l’un dans l’autre”. Ce qui peut se révéler très intense selon elle. 

C’est ce que Céline Vendé cherche à insuffler chez ses patients. Elle déconstruit les schémas phallocentrés où la sexualité féminine se définit à travers les désirs du partenaire masculin. Ironiquement, elle image ce que le sexe ne doit pas être, c’est-à-dire un ensemble de “figures de gymnastique à réaliser en un temps imparti avec une telle fréquence”. 

Dissocier sexe et douleur

La dyspareunie est l’invitée non-désirée des chambres à coucher de celles qui en souffrent. Pour Sara, la maladie reste toujours dans un coin de sa tête notamment au moment d’initier un rapport sexuel. Et pour Mia, la peur de la douleur est déterminante : “Comme j’avais mal et que je savais que j’allais avoir mal, ma libido était au plus bas”. Comme si son corps avait intériorisé le lien entre sexe et douleur, il lui arrive parfois quand elle est excitée et sur le point d’avoir un rapport sexuel, d’avoir soudainement mal au ventre. 

Pour les femmes atteintes de dyspareunies, qu’elles soient profondes ou superficielles, le sexe est associé à la douleur. Briser ce lien de cause à effet n’est pas chose aisée. Cela peut passer par l’érotisation de leur corps et non pas seulement leur génitalité qui se révèle parfois source de souffrance. 

La sexothérapeute suggère des exercices pratiques à réaliser chez soi, sans qu’ils soient pour autant obligatoires. Ils peuvent revêtir plusieurs formes : regarder sa vulve dans un miroir, utiliser des sextoys ou bien encore lire un ouvrage à propos du plaisir féminin. Et pour les couples désirant absolument pratiquer du sexe pénétratif, il est envisageable d’utiliser des dispositifs tels que le Ohnut. Ces anneaux en silicone sont à poser sur le pénis et permettent une pénétration moins profonde et donc, moins douloureuse. 

Des outils pour aborder la pénétration autrement

Céline Vendé propose également de changer le prisme par lequel la société perçoit la sexualité. Il serait question, non pas de considérer que le pénis pénètre le vagin, mais que le vagin entoure le pénis. En enrobant le phallus de son être, la femme prend le lead et découvre des moyens de jouissance. C’est ce qu’exprime le terme de “circlusion”

De son côté, Mia vit sa sexualité au rythme de ses dyspareunies. Tantôt fortes, elles impliquent de faire preuve de créativité pour échapper à la souffrance. Tantôt effacées, lui permettant d’expérimenter tous types d’actes sexuels, même ceux qui requièrent la pénétration. Dans ces moments-ci, celle qui était en errance médicale pendant plusieurs années se dit fière du chemin qu’elle a parcouru pour découvrir une sexualité sans douleur.