Quatrième année,
la double peine des internes

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© Anaëlle Colin Anaëlle Cagnon

© Anaëlle Colin Anaëlle Cagnon

Chloé, représentante des étudiants en médecine de Bordeaux, n'hésite pas à donner de la voix : "Carabins, mais pas lar-bins !".

Chloé, représentante des étudiants en médecine de Bordeaux, n'hésite pas à donner de la voix : "Carabins, mais pas lar-bins !".

Le 14 octobre 2022, des centaines d’étudiants en médecine se sont réunis partout en France, afin de lutter contre l'ajout d’une quatrième année d’études pour les internes en médecine générale. Intégré dans le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale 2023 (PLFSS) , cet article vise à mieux former les médecins tout en réduisant les déserts médicaux. La précipitation et le manque de considération sont les principales raisons de la colère des étudiants et professionnels de santé.

"Étudiants contraints, pas de bons médecins !" Ce jeudi, les étudiants en médecine sont énervés. Chloé Paslin est étudiante en troisième année de médecine et nouvellement élue représentante des étudiants en médecine de Bordeaux. Sa volonté d’exercer ce métier s'est révélée à 13 ans, à la suite d’une opération du dos. À l'avenir, elle souhaite se spécialiser en médecine générale, alors cette réforme, elle la concerne directement. En tête de ligne de la manifestation, elle hurle avec sa pancarte à la main : "Non à la coercition !" Derrière elle, plus de 300 autres futurs médecins se sont retrouvés, afin de lutter contre l’ajout de cette quatrième année. 

Item 1 of 3

Fin septembre, François Braun, ministre de la Santé, exprime la volonté du gouvernement d’ajouter une nouvelle année d’internat aux étudiants spécialisés en médecine générale, dans le PLFSS 2023. Ce texte subit actuellement l’article 49 alinéa 3 de la Constitution et risque donc d’être adopté sans vote.

Une loi qui, sur le principe, dérange les médecins confirmés, à l'image du docteur Benoît Feger, président de l’URPS-MLNA (Union Régionale des Professionnels de Santé Médecins Libéraux Nouvelle-Aquitaine) : “On ne devrait pas intégrer cela dans une loi de finance”.  

"Des carences
de plus de trente ans d’âge"

La volonté d’une telle réforme est plurielle pour le gouvernement. L’objectif : apporter une meilleure formation aux étudiants en les poussant à réaliser cette quatrième année d’internat dans des déserts médicaux. Selon François Braun, les étudiants apprendront par exemple à gérer un cabinet médical avec ses aspects administratifs, apprentissages non inclus dans leur formation actuelle. Pour autant, le ministre de la Santé l’a précisé : seule la quatrième année d’internat sera obligatoire, et non le fait de l'effectuer en désert médical. "Ce ne sera qu’une incitation, pas une obligation. Nous voulons améliorer la formation des médecins et non résoudre le problème des déserts médiaux", a-t-il confié sur France Info. Pour inciter les médecins à réaliser cette quatrième année dans des zones sous-dotées, des logements seraient proposés sur place ainsi que des "rémunérations très différentes". Pour Nejm Si-Mohamed, ancien secrétaire général de l’ISNI (Intersyndicale Nationale des Internes), il faudrait d’abord améliorer la formation actuelle avant de rajouter des années. "Ils essaient de répondre à des carences de plus de trente ans d’âge, qui ont été créées par une loi Santé." Il fait référence à celle de 1980, lorsque le numérus clausus, c’est-à-dire la sélection des étudiants en deuxième année de médecine, est mis en application. À l’époque, l’objectif n’est pas de réduire le nombre de médecins, mais bien de le stabiliser, afin d’alléger les dépenses de la Sécurité Sociale. En trente ans, le nombre d’étudiants en médecine a réduit de moitié, participant à la création de déserts médicaux. 

Une réforme incomplète

Toujours pour le docteur Benoît Feger, le problème de la réforme, c’est qu’elle est incomplète : "On ne fait pas une quatrième année pour boucher les trous. Si l'on veut en imposer une, il faut qu’elle soit bien organisée, en amont, avec des aides et de nombreux maîtres de stages". Ce constat est partagé par les étudiants interrogés. "Nous sommes tous contre une quatrième année en l’état actuel" confirme Chloé. Le principal problème reste le manque de maîtres de stages dans les zones sous-dotées. "Qui nous formerait ?" questionne Amélie, co-représentante des étudiants en médecine de Bordeaux. Le gouvernement a engagé quatre professionnels, dont le Professeur Stéphane Oustric, président du Conseil de l’ordre des médecins de Haute-Garonne, afin d’effectuer la refonte de cette formation. Contacté à plusieurs reprises, il n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien, tout comme le député Renaissance de la Gironde Florent Boudié, qui aurait pu opposer les arguments mis en valeur par le gouvernement.

Pancartes brandies vers le ciel, cela fait presque trente minutes que le cortège avance. Des messages au gouvernement que Chloé et une dizaines d'autres se sont appliqués à peindre sur des cartons découpés la veille, au local des Carabins, leur association.

À cette occasion, Chloé Paslin  et Amélie Ferreira Martins prennent le temps de confier : "On nous demande de faire un taf de médecin, sans être payés pour ce travail, ni même être bien formés, puisqu'il n'y a pas assez de médecins." Les punchlines qui séchaient hier, entre pots de peinture et pinceaux, sont désormais revendiquées collectivement : "MSF = Médecins Sans Formation", une formule ironique pour dénoncer le système de santé actuel. C'est aussi dans les bouches que la contestation s'exprime, d'une voix portée collectivement : "On est là pour vous soigner, pas pour être lynchés !" Et dans le symbolique : "Applaudis à 20h, oubliés dans l'heure", s'extériorise la frustration de ne même pas avoir été concertés via les syndicats, porte-paroles de tous les professionnels de terrain, pour ce projet de loi. Un fait que dénonce Nejm Si-Mohamed, en avançant l'arrêté du 9 novembre 2018. Sur cinq organismes, aucun n'a été sollicité par le gouvernement pour réfléchir ensemble à des solutions.

Les institutions pointées du doigt

Le groupe aux blouses blanche se dirige vers le siège de l'ARS (Agence Régionale de Santé). Après quelques discours au mégaphone, ils comprennent que personne ne sortira, alors toutes les pancartes terminent scotchées sur la façade. "Je n'avais aucune attente par rapport à eux" fait entendre Orelia, 26 ans, par-dessus un riff rock de Rage Against the Machine qui s’échappe des enceintes. En huitième année de médecine générale, elle a fait elle-même plusieurs stages en zones sous-denses, comme dans son Lot-et-Garonne natal.  Le problème n'est pas de s'installer dans ces régions, ce qu'elle envisage en raison de la grande partie de sa vie qui y est restée. Non, ce qui la dérange, c'est le même cas de figure dénoncé par les autres : le manque de formateurs et trop de médecins proches de la retraite.

Le summum de sa colère : "coûter moins cher à l'état : être payé comme un interne au lieu d'un médecin pour faire le même travail." Selon l’Interne Syndicale Nationale Autonome Représentative (ISNAR), un interne de première année est rémunéré 26 695€ à l’année. Un salaire bien plus bas que celui d’un médecin généraliste, mais justifié par les défenseurs de la réforme, selon Chloé et Amélie : "Ils disent que l’État paye nos études, mais avec ce que le système actuel économise sur nous en termes d’heures effectuées, on ne peut pas entendre cet argument." Pour Orelia, les politiques des différents gouvernements sont responsables : "C'est plus facile de dire que les médecins sont des méchants corporatistes, qui refusent d'aller en province, que d'admettre que les politiques n'ont pas été adaptées à un moment." La future docteure justifie aussi son opposition en prenant en compte les patients : "La réforme est mauvaise pour nous, mais aussi pour le patient : en nous faisant venir en stage pour six mois, ils n'auront pas de suivi correct, de médecin qui les connaît."

Quelles solutions ?

Quentin Verne, membre actif du Syndicat des Internes en Médecine Générale d’Aquitaine (SIMGA) était présent à la mobilisation de Paris. Son syndicat représente 413 étudiants sur les 450 internes de la région. Il dresse le constat suivant “Je ne pense pas que cette journée changera fondamentalement les choses, mais si ce projet aboutit, il y aura continuellement des tensions, alors que d’autres solutions pourraient être trouvées”. Selon lui, il s’agirait d’aider encore plus les étudiants qui aimeraient s’installer en zones sous-denses, parce qu’ils sont “quand même nombreux à être intéressés par l’idée”. Pour Orélia, ce qu’il faut, c’est plus de places dans les amphithéâtres, plus de propositions de stages... À Bordeaux par exemple, l'externat commence à peine à s'exporter à Libourne, mais pas dans les petites bourgades, où il est plus compliqué de trouver des logements. Adam, étudiant en sixième année, propose quant à lui d’alterner les stages dans différents déserts médicaux, pour avoir le sentiment de pouvoir choisir. Chloé conclut : “Il faut qu'on ouvre les possibilités en dehors du CHU, on ne fait que ça et on n'est pas concrètement encouragés à aller voir ailleurs".

Le mouvement risque de s’intensifier au cours des prochains mois. Le ministre de la Santé a bien reçu dans son cabinet une délégation d’étudiants, mais “ça n’a pas donné grand-chose'' a expliqué Yaël Thomas, président de l’Association nationale des étudiants en médecine (ANEMF). François Braun a en effet confirmé ce mercredi, devant la Commission des affaires sociales du Sénat, la volonté du gouvernement d’aller jusqu’au bout. Une proposition de loi sur cette quatrième année, portée par Bruno Retailleau, vient également d’être adoptée au Sénat. Elle établit, à la différence du PLFSS,  que les internes de quatrième année devront effectuer leurs stages dans la région où ils ont suivi leurs études. L'ISNI a d'ores et déjà prévu "l’intensification du mouvement au cours des semaines à venir".