Opéra National
de Bordeaux, nouvelle partition

La saison 2022-2023 qui commence est la première du nouveau directeur Emmanuel Hondré. Elle se veut tournée vers de nouveaux objectifs : écoresponsabilité, accueil de tous les publics et juste représentation des femmes. Cette nouvelle directive bouscule les barrières qui collent à l’image de l’Opéra. Mais qu’en est-il quand les rideaux se ferment ? Plongez dans les coulisses de l’Opéra de Bordeaux.


Par Tova Bach et Victor-Louis Barrot

Place Gambetta, au 2° étage de l'Auditorium, Emmanuel Hondré s’installe à son bureau décoré modestement. Ce n'est pas exactement dans ce décor qu'on imagine le directeur de l’Opéra National de Bordeaux. Affichant un air diplomate, il arbore un sourire espiègle qui donne envie d'engager la conversation avec le patron du géant de la culture à Bordeaux. Adossé à son bureau, il raconte d'un ton calme et conciliant ses débuts en tant que musicien puis son envie de mettre en musique l'organisation de l'Opéra. 

Depuis sa formation de musicien dans sa jeunesse, Emmanuel Hondré a enseigné et organisé des concerts et des festivals. C'est un homme qui aime fédérer et révéler ce qu'il y a de meilleur dans ses musicien. Ce n’est donc pas un hasard s'il est devenu directeur de l’Opéra National de Bordeaux en janvier dernier.

« Si je remonte au moment où j’ai eu envie de faire mon métier… Quand j’étais au BDE du Conservatoire Supérieure à Paris, l’idée d’un destin collectif que je prenais en main m’a beaucoup plu. Et aujourd’hui j’ai la même envie. Aider les musiciens à donner ce qu’ils ont de meilleur en eux. »

C’est sa première saison à l’ONB depuis sa prise de fonction. Le patron de l'Opéra explique aujourd’hui ses ambitions et les nouveautés de cette saison qu'il a pris en main.

 "Je crois en la vertu de la diversité. Je pense qu’on profite de la richesse des autres quand on profite d’une diversité de point de vue "

Emmanuel Hondré, directeur de l'Opéra National de Bordeaux

Qu’est ce que l’Opéra citoyen

C’est le projet présenté par Emmanuel Hondré à la mairie de Bordeaux pour être nommé à la tête de l’ONB. Il implique d'engager davantage d'actions culturelles hors des murs du Grand Théâtre et de s'inviter dans l'espace public, les quartiers défavorisés, les prisons... tous ces espaces jusqu'où la culture a du mal à se frayer un chemin.

“Pour moi c’est une forme de responsabilité de l’artiste dans la société. Il s’agit de montrer que ce qu’on fait de beau et de fort est d’abord fait pour des gens. Ce n’est pas quelque chose qu’on impose, mais cela nous sert plutôt à essayer de savoir pourquoi on vit ensemble pour faire communauté.”

L’Opéra National de Bordeaux se démarque par l’ouverture à toutes et à tous et sa politique de création de liens entre les citoyens et les artistes. Emmanuel Hondré l’explique "je crois en la vertu d’une diversité. Je pense qu’on profite de la richesse des autres quand on profite d’une diversité de point de vue". Déterminé à rompre avec cette image élitiste, il souhaite casser les codes pour que “chacun soit le bienvenu et se sente le bienvenu”.

De son côté, Julia Bonneau, médiatrice de l’institution, explique le rôle des actions culturelles et des médiations: "notre mission est de mener des projets avec et pour des gens pour qui l’opéra n’est pas une habitude afin de créer des rencontres et de leur donner la possibilité de venir et de découvrir". Ces initiatives ont pour but d’inclure essentiellement les personnes freinées par des raisons économiques, sociales ou physiques, le public scolaire et les étudiants. Julia Bonneau précise d’ailleurs que sa mission est directement liée au projet d’établissement du directeur. " l’ouverture de l’Opéra se concrétisera cette saison par une nouvelle programmation et des opérations de médiation de plus grande ampleur”.

Opération inclusion

Emmanuel Hondré l'annonce d'emblée : "cette saison à l’Opéra a été synonyme d’un travail de recherche de sens en amont". L’établissement a avant tout une mission de service public. Impulsé par le nouveau directeur, l’ONB multiplie désormais les opérations pour diversifier ses auditoires et affirmer sa diversité artistique. Sa première priorité a été de s’adresser aux jeunes de moins de 28 ans. “Moi je veux que les jeunes aient accès à tout, même à ce qu’il y a de plus cher car ils sont dans l'âge où ils commencent à construire leur culture”. Avec les abonnements jeunes, un petit quota de places est réservé pour celles et ceux qui acceptent de venir à 5 représentations, comprenant toute l’offre de l’année.

Les objectifs de cette nouvelle saison se concrétisent aussi par une ouverture vers le champ social. La médiatrice de l’Opéra de Bordeaux annonce la mise en place d’un parcours de médiations généralisé que l’institution propose désormais aux associations. Cette initiative consiste en l’accès à des spectacles tout en offrant les codes nécessaires pour le comprendre. Elle explique : " aller voir un spectacle gratuitement c’est super, mais si on ne nous explique pas les codes, on est perdu et on ne va pas forcément apprécier. On est là pour que les publics moins habitués puissent pleinement comprendre ces spectacles"

De gauche à droite, Solène Jolivet et Julia Bonneau

L’Opéra, ou la culture enclavée

S’il y a bien un milieu culturel perçu comme élitiste et fermé, c’est bien l’Opéra. L’institution s’est elle-même fixée des multiples barrières, ne permettant pas d’accueillir ni d’attirer tous les types de public. Avec un prix pouvant aller jusqu’à 117 euros la place, les barrières financières sont évidentes. Mais on pourrait dire qu’elles sont avant tout d’ordre culturel. Les jeunes et les populations des quartiers populaires se sentent trop éloignés des codes établis par l’Opéra lui-même par manque de sensibilisation. C’est aussi le cas des publics dits « empêchés », parce qu’ils habitent trop loin de l’Opéra, qu’ils sont handicapés, incarcérés ou hospitalisés. Par ailleurs, le lieu imposant, son architecture historique, donnant un effet de sanctuaire, intimident.

L'Opéra en tant qu'institution culturelle veut aujourd'hui se séparer de cette image pour davantage s’ouvrir au grand public, qu’ils soient cadres supérieurs, étudiants, en situation de handicap, retraités ou ouvriers. L’Opéra National de Bordeaux semble prendre en compte ce constat en mettant en place son projet central d'Opéra Citoyen.

Concerts détentes, le bémol

Emmanuel Hondré est à l’initiative d’une nouvelle action d’inclusion qu'il appelle "les concerts détente". Ce nouveau concept créé pour cette saison consiste en 3 soirées spéciales "où chacun peut venir comme il est, et les spectateurs comme les musiciens doivent l’accepter." Ce qui dérange dans ces soirées inclusives, c'est qu'elles sonnent comme un aveu d'échec de la part de l'Opéra. Les normes de conformité sociale et de bienséance sont toujours là , et ceux qui ne s'y plient pas n'ont pas leur place d'habitude. Et on leur fait bien comprendre. D'où l'idée d'abandonner ces règles implicites pour seulement quelques soirs par an. C'est là une bien maigre avancée dans ce plan de nouvelle politique inclusive. La faible fréquence de ces soirées “ouvertes à toutes et tous” dissone avec la première volonté du directeur. Ce dispositif, représentatif des barrières culturelles d’une institution reste, malgré des efforts, imprégnée d’un comportement profondément excluant.

D’habitude quand vous rentrez dans une salle d’Opéra, il faut faire silence, être assez âgé, pas trop malade, ne pas parler, ne pas être autiste. Et si on se considère comme normal, alors on est tolérant”.
Emmanuel Hondré, au sujet des "concerts détente"

Féminisme et écoresponsabilité, l'Opéra 2.0

Il est indubitable que la nomination anticipée d’Emmanuel Hondré à la tête de l’ONB est un tournant majeur pour l’institution. D’abord parce qu’elle représente un changement de politique dans les programmes qui incluent une nouvelle diversité de style et de genre, mais aussi dans l’ouverture culturelle que le directeur et son équipe veulent impulser hors des murs de l'Opéra. Soucieux des enjeux de son temps, l’Opéra entend se réinventer.

Une plus juste représentation des femmes 

Les femmes sont à l’affiche en nouvelle saison. La volonté du directeur est claire : mettre des personnalités artistiques féminines sur le devant de la scène. Une bouffée d’air frais qui se conjugue avec une diversité des styles comme le montre la performance de Samara Joy ce lundi 17 octobre. L’artiste de 21 ans accompagnée d’un orchestre jazz est venue conclure ce premier temps fort consacré aux voix féminines. La mixité se fait aussi ressentir dans le choix de la programmation. Comme nous l’explique le directeur, le choix de jouer prochainement Madame Butterfly de Giacomo Puccini n’est pas sans résonance avec des questions très actuelles comme celle de la représentation des femmes.

“Dans un Japon occupé par l’Occident et les troupes américaines, une histoire d’amour se joue entre un soldat américain et une jeune geisha japonaise. Cette dernière finit abandonnée et se suicide par désespoir devant l’incapacité de deux cultures à communiquer. Outre cet échec de compréhension entre deux cultures, cela fait évidemment écho au motif de la femme utilisée et abandonnée…”

Emmanuel Hondré, au sujet de l'opéra italien Madame Butterfly de Giacomo Puccini.

Et aux postes de direction ?

"Oui. Évidemment."  Le directeur marque une pause. "Néanmoins, je ne vais jamais choisir quelqu’un parce que c’est une femme. Je choisirais une personne car elle me semble la plus à même de remplir une fonction. Car si on fait passer le genre au-dessus du talent, je pense qu’on n’aide ni le genre ni la personne." Au poste de médiation culturelle, on retrouve une femme : Julia Bonneau, sur le départ après plusieurs années de loyaux services sous la direction de l’ex-directeur Marc Minkowski. Sa relève, Solène Jolivet est déjà prête à prendre un poste à haute responsabilité aux côtés du nouveau directeur, preuve que la mixité existe notamment dans les organes de décision de la programmation de l’Opéra. Néanmoins, Emmanuel Hondré se refuse à " manipuler le recrutement " sous couvert de motifs qu’il juge non-recevables.

"Des femmes m’ont déjà fait remarquer que je devrais faire plus appel à des talents féminins car ces dernières seraient plus sensibles. Je ne crois pas du tout à cela. Ce serait tomber dans un autre cliché de stéréotype, d’autant que les formes de sensibilité sont multiples… "

Mozart se met au vert

L ’ONB est souvent pointé du doigt comme un établissement coûteux à l'empreinte écologique importante. En effet, la création de costumes et de nouveaux décors impliquent des conséquences écologiques par l'utilisation de nouveaux tissus et de matières premières. Les efforts de l'Opéra sont encore insuffisants pour qu'ils soient mentionnées comme de véritables évènements par le directeur. Un réveil écologique tardif pour l’Opéra qui se remet en question sous la férule d’Emmanuel Hondré… 

" Pour la première fois, deux mises en scène seront entièrement écoresponsables. En janvier notamment, un oratorio de Mozart ne nécessitera aucun achat. On utilisera les décors et les costumes en stock. Nous avons conscience qu’il nous faut être plus réactif et réemployant. "

Bal à Vienne : l’Opéra vraiment citoyen ?

A l’occasion de l’exposition L’Air du temps -  Une histoire d’éventails XVIIe-XXIe siècles au Musée d’Aquitaine - , deux bals d’époque sont organisés pour reconstituer l’ambiance d’une grande soirée festive et dansée dans le Salon du Grand-Théâtre. Les pas sont montrés par les danseurs du Ballet de l’ONB et des costumes de la collection de l’Opéra sont proposés gratuitement avant chaque séance, avec possibilité de les essayer, enfin en théorie. Ambiance pendant la première répétition.

Laurent Védrine , le directeur du Musée d'Aquitaine (sur la photo), ouvrait le bal aux côtés d’Éric Quilleré, directeur de la danse ballet de l’Opéra. C’est la première action participative organisée conjointement par les deux mastodontes de la culture en Aquitaine. Et même si cet événement témoigne d’une volonté d’impliquer le public dans la vie de l’Opéra, quelques fausses notes s’invitent dans la partition… 

L’Opéra ne possède qu'un stock très limité de tenues à prêter au public pour le bal du 19 octobre. Par conséquent, les participants devront fournir un effort financier pour se doter de leur propre tenue. En plus du prix de l’entrée (32 €) , les apprentis valseurs doivent donc mettre la main au portefeuille ce qui, de fait, exclue ceux qui n'ont pas les moyens de se procurer un costume. Enfin, l’entre-soi culturel est réel entre les deux institutions qui, par leur communication, n’ouvrent leurs portes qu’à un public qui leur est déjà acquis.

Cet événement participatif est assez représentatif de la nouvelle politique de l'Opéra : une envie d'inclure davantage et de se réinventer mais qui reste dans une forme d'entre-soi. L'Opéra fait ainsi preuve de bonne volonté, mais peine à toucher les publics pour qui les barrières d'accès à la culture sont les plus fortes.

Crédits photo : Victor-Louis Barrot & J. Fernandez (Galerie photos ONB)