Le Garage Moderne et la Confédération Paysanne luttent pour une alimentation solidaire et durable

Décider de son alimentation est un droit, que l'on soit précaire ou pas. C’est l'une des revendications du Festival Alimenterre qui s’est tenu au Garage Moderne le 16 novembre dernier. Le tiers-lieu du quartier de Bacalan, transformé en marché de producteurs locaux, invite les visiteurs à construire une réponse collective aux enjeux liés à l’alimentation. Une position partagée par la Confédération paysanne, qui co-organise l’événement.

« J’essaye de faire une agriculture en vente directe, donc tout l'inverse d'une agriculture mondialisée. C’est un choix et une sécurité » estime Pierre, maraîcher en Sud-Gironde. Ce petit producteur bio vend des courges et des légumes racines au marché des producteurs locaux installé au Garage Moderne.

Dans cette première édition, le Garage Moderne et les Ami·e·s de la Confédération paysanne souhaitent informer les citoyens sur leurs droits à une alimentation saine et durable. « Décider de son alimentation, de comment on veut qu'elle soit produite, par qui et pour qui, c’est ça être souverain de son alimentation » lance au micro Cédric Labarrière, secrétaire départemental de la Confédération paysanne 33.

Des paroles qui résonnent dans les esprits de tous les producteurs visiteurs ce jour-là. Ces dernières semaines, la colère du monde agricole a de nouveau éclaté après un an de silence. La politique actuelle favorise une agriculture mondialisée et une concurrence déloyale. Ainsi, l’agriculture conventionnelle française est menacée par les accords de libre-échange. Le traité avec les pays du Mercosur (Argentine, Bolivie, Brésil, Uruguay, Paraguay) réveille en parallèle l’opposition des paysans de la Confédération paysanne à une production alimentaire non respectueuse de l’environnement.

Avoir le choix de son alimentation même quand on est "précaire" 

Citadins bordelais, ruraux, étudiants et agriculteurs girondins slaloment entre les stands et les caisses remplies de légumes et de pots de confiture. Les bottes de foin et les plantes aromatiques tentent de masquer les voitures en réparation et les pneus crevés. Aménagé pour l’occasion, un cinéma a été installé près du bar où trône fièrement une vieille caravane.

« On a très peu d'étudiants d’habitude mais aujourd'hui il y en a qui sont venus pour la projection », confie Juliette Martin, chargée de production audiovisuelle au Garage Moderne. Des bordelais issus de classe aisée et des personnes précaires, à l’origine clientes du Garage, sont également au rendez-vous. L’événement a su rassembler des visiteurs convaincus, plutôt avertis, mais aussi des personnes moins au fait des revendications portées par la Confédération paysanne. 

Inviter les citadins et les paysans à se rencontrer, encourager une alimentation durable et solidaire, c’est le pari que se sont lancé Jessica Korbedeau et Nora Bouazzouni, membres des Ami·e·s de la Confédération paysanne. « Ça fait plus d'un an que je connais Nora et qu'on discute de l'alimentation », raconte Jessica, le sourire aux lèvres. Depuis des années, le Garage Moderne s’engage pour une alimentation solidaire. Chaque semaine à la cantine du Garage, des repas sont distribués à des personnes sans abri. Le but : redonner à toutes et tous le droit de décider de son alimentation, que l’on soit dans une situation précaire ou non.

Le tiers-lieu et le syndicat de gauche font ainsi front commun pour défier la précarité alimentaire et la crise du monde agricole. « Comment va-t-on parvenir à sécuriser notre alimentation ? On vit une crise agricole mais ce qui est sous-jacent, c’est la crise alimentaire », dénonce Nora Bouazzouni. Malgré le froid de novembre qui inonde le Garage, les spectateurs participent au  débat qui fait suite à la projection. Les étudiants en agroécologie et les petits producteurs cherchent des solutions pérennes pour améliorer les pratiques agricoles. Les retraités et les trentenaires, en quête de réponses, échangent sur le modèle alimentaire qu'ils souhaitent adopter dans leur quotidien. « Les supermarchés sont toujours achalandés. Forcément, on a l’impression que la pénurie alimentaire, c’est du catastrophisme », déplore un agriculteur retraité assis au fond de la salle. Les récriminations des visiteurs ponctuent le débat : « C’est la santé des gens en situation précaire qui va en pâtir » ou encore « Le cancer est dans notre assiette ! » s’insurge une septuagénaire près du bar.

« L’accord de libre-échange avec les pays du Mercosur ne risque pas d’arranger les choses » ajoute Cédric de la Confédération paysanne. Le traité favorise l’importation de produits provenant de pays dont les normes sociales et environnementales sont moins exigeantes qu’en Europe. Les produits sont certes plus accessibles pour les personnes précaires, mais le revers de la médaille, ce sont les risques qu’ils représentent en matière de santé publique. D’après une étude récente de la Commission européenne, la viande importée du Brésil pourrait contenir une hormone de croissance interdite sur le continent européen responsable de l’augmentation des risques de cancers. Une double menace pour les agriculteurs et pour les consommateurs, d’ici et d’ailleurs.

Le circuit court échappe plus ou moins au danger du libre-échange

L’importation et « les traités agricoles libéraux » sont aussi dénoncés par celles et ceux qui travaillent en circuit court. C’est le cas de Sébastien Irola, apiculteur et ingénieur en environnement : « On a tout un réseau de producteurs français qui se démène pour faire de la qualité, et malheureusement on va chercher des produits ailleurs, très loin », dit-il en montrant d’un geste de la main l’ensemble des producteurs présents à l’événement. Cédric Labarrière va dans le même sens : « Pour le climat, c’est une aberration, il faut voir les conditions agricoles dans les pays du Mercosur, et surtout, on accroît notre dépendance à des pays tiers ».

D’après Greenpeace, la déforestation représente 12 % des émissions de gaz à effet de serre mondial. Ce phénomène risque de s'accélérer si les importations de viande et de soja en provenance d’Amérique latine augmentent. D’un optimisme sans faille sur l’avenir du local, Hugues Bladet profite de l'événement pour partager à sa clientèle l’histoire de sa reconversion. L’exploitation du jeune producteur de cresson ne dépasse pas 4 000 m². Pour repousser insectes et maladies, rien de tel que de « planter de l’ail partout pour faire barrière ». Il a en horreur ceux qui pratiquent la monoculture « à outrance » et se range du côté d’une agriculture paysanne plus raisonnée.

De l’autre côté de l’allée, au stand de la fédération Terre de liens, un des prospectus annonce : “Un tiers des légumes consommés en France sont issus de l’importation”. Terre de liens achète des terres agricoles pour permettre aux nouvelles fermes bio de s’installer en toute sécurité. La fédération échappe à la menace que représentent les accords de libre-échange : ils soutiennent les  producteurs locaux et leur permettent de tenir le cap face à la concurrence de l’agriculture intensive.

Jean professeur retraité et bénévole, explique aux visiteurs que la fédération travaille pour des « systèmes de vente directe à échelle locale ».  L’association propose des alternatives agricoles et politiques. « Finalement ça nous permet d'éviter ce système de concurrence mondialisé » estime Jean.  « Notre engagement aura d'autant plus de sens si le traité est signé » lance fièrement Mélina avant de nuancer son enthousiasme : « mais nos partenaires paysans seront peut-être impactés par un effet de concurrence déloyale sur la vente de leurs produits ». Même si les bénévoles se sont organisés pour construire un autre modèle agricole, les incertitudes sur sa viabilité face aux libres échanges persistent. 

Sébastien, l’apiculteur girondin, exprime des craintes, même si ce traité ne risque pas d’affecter ses récoltes. Petite cuillère à la main et sourire aux lèvres, il invite fièrement les visiteurs à goûter le miel de ses abeilles. « J'ai peur que ça favorise une agriculture intensive qui va produire des volumes beaucoup plus importants » témoigne Sébastien face à ses 15 pots de miel.

L'absence d'un point de vue différent

« Comment peut-on troquer notre alimentation contre des bagnoles ? », fustige une étudiante après le visionnage du dernier documentaire, “La théorie du boxeur”. Une référence claire à la position d’Olaf Scholz, le chancelier allemand, qui a réaffirmé être favorable à la signature de l’accord avec le Mercosur mi-novembre. « Espérer des accords pour se nourrir à moindre coût est loin d’être une solution », ajoute-t-elle.

Sur la scène européenne, la France est la seule à s’opposer fermement à la signature de l’accord avec le Mercosur. Après avoir affirmé leur défiance vis-à-vis du traité, le Premier ministre Michel Barnier et Emmanuel Macron ont appelé les députés à débattre. Mardi soir, les résultats sont sans appel : plus de 480 députés ont voté pour s’aligner sur la position du gouvernement.

Le festival Alimenterre est aussi l’occasion de trouver une réponse collective et locale. En Gironde, la sécurité sociale de l’alimentation (SSA) est envisagée pour lutter contre la précarité alimentaire et soutenir une agriculture saine et raisonnée. Porté depuis 2019 par le Collectif pour une SSA, l’objectif est d’avoir le choix de son alimentation, et en rester maître, tout en assurant un revenu décent aux agriculteurs. Le département de la Gironde, associé à diverses associations et quarante citoyens ont lancé l’expérimentation d’une caisse commune de l’alimentation en mars dernier.

La volonté affichée de cet événement était d’inviter le public à se questionner autour des enjeux sociaux, politiques et économiques inhérents à l’alimentation. Pourtant, les échanges des visiteurs aboutissent souvent aux mêmes conclusions. Le pari est donc à moitié réussi : la majorité des participants partagent les positions de la Confédération paysanne, en tout cas sur le plan politique et écologique.