Logement : l'enfer de la carte postale

Derrière les grands monuments et les bâtisses colorées, se cachent de nombreux bâtiments abandonnés. Dans une ville sous tension immobilière, les manques de moyens et de volontés politiques condamnent une partie de la population à s'approprier ces espaces.

Sur les bords du Douro, à l’entrée du pont São João, les touristes s’amassent. Entre les restaurants et les petites boutiques de souvenirs, ils profitent du beau temps printanier. À la sortie, une maison paraît vide. Vitres cassées, volets fermés, fenêtres condamnées, toit effondré, son revêtement rouge a terni. Une cale en bois retient l’entrée du portail. En poussant la porte, des marches mènent à une petite dépendance.

Un homme, squelettique, sort la tête. Il se fait surnommer Nono. En ouvrant le mince rideau qui le sépare du jardin, il a vue sur les maisons colorées typiques et les touristes. Un voile publicitaire usé par le temps le cache des regards des curieux·ses et de ce qui lui semble être un « autre monde ».

Cela fait trois mois qu’il « squatte » ici. Sans aucun revenu, il partage la pièce d’une dizaine de mètres carrés avec une autre personne. L'abri de fortune, sans eau ni électricité, est devenu son seul moyen de ne pas dormir dehors.

À quelques pas de là, en longeant la rive droite du Douro, une dizaine de maisons au toit effondré se succèdent. Certains badauds passent sans vraiment s’attarder, d’autres s’arrêtent et prennent le temps de les observer. Les plus curieux·ses s’aventurent au milieu des débris.

Alex, un touriste danois de 36 ans, regarde ce spectacle avec un air songeur. Ces fondations le fascinent. Il leur trouve un côté mystérieux. Depuis qu’il a atterri à Porto, il est surpris par la quantité de maisons vides. « Même dans les endroits les plus fréquentés, il y a des habitations à l’abandon. Ce n’est pas normal dans une aussi grande et belle ville de voir autant d'édifices dans cet état. »

À droite, à l'entrée de l'entrepôt, deux petites cases ont été habillées de tissus et de bâches en plastique. Un duvet. Une paire de chaussures. Deux sacs de courses. Et quelques affaires. Leur propriétaire a déposé des morceaux de verre autour pour se protéger de visiteur·euses indésirables.

Cette réalité, sur la rive droite du Douro, est en fait un phénomène visible dans tout le centre-ville.

Impossibles héritages

De l'autre côté, dãns le quartier Bonfim, rue São Victor, Joao explique que la maison en face de la sienne est inhabitée depuis plus de cinq ans. « Les canalisations sont cassées, le chemin de la maison est très escarpé. C’est très cher et difficile à réhabiliter. »

Un peu plus loin, Isabelle connaît la même situation. En face de chez elle, une énième maison vide. « En plus de 40 ans que je la connais, elle a toujours été abandonnée. » La sexagénaire a bien une idée du pourquoi. « Parfois les familles se déchirent à cause des héritages et il leur est impossible de vendre. »

Par ailleurs, le marché immobilier est déréglé. La faute à des professionnel·les qui voient en ces immeubles vides une véritable mine d’or. Nuno Baptista Rodrigues, jeune architecte, le constate. « Ces maisons abandonnées sont devenues une opportunité pour les investisseurs. » Depuis une dizaine d’années, l’attractivité de la ville attire de nouvelles populations et les prix s’emballent. Chacun souhaite vendre son bien au prix le plus élevé mais les acheteur·euses sont réticent·es à dépenser des sommes folles pour des bâtisses délabrées.

À VENDRE

Maison. Au coeur du quartier Bonfim. À une vingtaine de minutes à pied du centre-ville. 135 mètres carrés. Petite vue sur le Douro. Cuisine. Deux chambres. Terrasse. 500 000 euros (grosses rénovations à prévoir).

Autre lieu, même histoire. Passage de Vímara Peres. Dans le centre historique, Gracia désespère. « Depuis que je travaille ici ces bâtiments sont dans cet état là. »

Chez elle aussi, des travaux seraient nécessaires. Plus de 30 000 euros pour rénover son bien. Trop cher. Elle souhaite s'en séparer pour s'installer dans la périphérie à une vingtaine de kilomètres, à Rio Tinto.

Sur le bâtiment voisin, des travaux ont débuté au début de l’année. La vendeuse de souvenirs est déçue que « ce ne soit que pour construire des hôtels ».

Inaction municipale

Retour à Bonfim où Marco, sérigraphe, a eu du mal à trouver une location abordable. « Nous payons environ 700 euros par mois pour une vieille maison de plus de 100 ans avec une chambre pour mon fils. » Le trentenaire lève les yeux au ciel. « Les pouvoirs publics n’en font pas assez pour le logement. Ils ont des projets de rénovation mais ils sont tous tournés vers le tourisme. Leur intérêt, c’est le profit avant tout. » 

Une vision partagée par Susana Constante Pereira, conseillère municipale, leader du Bloco de Esquerda (Bloc de Gauche). « La municipalité favorise l'activité touristique. Elle est à la recherche d'investisseurs étrangers pour restaurer les lieux. Les prix actuels ne permettent pas aux gens d'ici de se loger. » L'élue d'opposition esquisse pourtant des solutions qui lui paraissent à la portée des pouvoirs publics. « Ils ont des lois pour encourager, voire forcer les restaurations. D'anciens immeubles appartiennent aussi à l'armée et ils permettraient de reloger les Portuans. » Contacté à multiple reprises, Pedro Barganha, l'adjoint à l'urbanisme de la ville, n'a pas souhaité nous répondre.

Le long des berges du Douro, les friches sont nombreuses. Des espaces délaissés par la municipalité et que les citoyen·nes eux-mêmes tentent de s’accaparer. 

Une réappropriation fertile

À Bonfim comme ailleurs, les habitant·es investissent les espaces délaissés. Aux pieds de l’immense pont Infante Dom Henrique, des jardins partagés ont envahi les flancs de la colline qui surplombe le Douro et les ruines des anciens bâtiments qui y étaient accrochés. Au milieu des nombreuses plantes qui sortent de cette terre argileuse, les outils des jardinier·ères improvisé·es côtoient les quelques tentes de sans abris.

Joaquin, un ingénieur du son d’une trentaine d'années, se souvient de la genèse de ces terrasses botaniques. « Au moment du Covid, lorsque tout s’est arrêté, certaines personnes ont ressenti le besoin de se retrouver dans ce lieu isolé. Rapidement nous nous sommes appropriés cet espace pour en faire ce qui avait alors le plus de sens pour nous : planter des graines et les entretenir jusqu’à ce qu’elle nous donne à manger. »

Depuis, les parcelles se sont multipliées sans que la mairie ne s’en soucie. « C’est une sorte de zone grise, précise Joaquin. Pour le moment, la municipalité se fiche de cet espace, et se fiche qu’on l’occupe. » Pour le moment seulement. Un projet de construction d’une voie de tramway en contrebas pourrait venir troubler la quiétude de ces jardinier·ères amateur·ices.