Logement : une ville sous pression touristique

Autrefois sous les radars, Porto est aujourd’hui un lieu très prisé. Le boom touristique oblige la Cidade Invicta à s'adapter. Au détriment des locaux qui subissent spéculation immobilière et augmentation des prix des loyers.

©LuigyLacides

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« C’est bien de vouloir développer le tourisme à Porto, mais il y a une pauvreté cachée derrière », affirme l'activiste Pedro Figueiredo avant de débuter son « Worst Tour » (le Pire Tour, en français). Pendant trois heures, il propose une balade pour aller au-delà de la carte postale portuane. Ancien architecte, Pedro Figueiredo, habillé d'un bob noir sur la tête, souhaite sensibiliser aux effets pervers de la gentrification. La deuxième plus grande ville du Portugal subit le syndrome Airbnb.

« Je vois tous les jours les effets de la gentrification »
Pedro Figueiredo, activiste à Porto

Depuis 2014, Pedro organise « The Worst Tours » pour montrer l'envers du décor de la ville.

Depuis 2014, Pedro organise « The Worst Tours » pour montrer l'envers du décor de la ville.

La visite commence au bout de la Rua Das Fontaínhas avec un groupe de six jeunes interloqué·es par l'envers du décor. Un couple d'Hollandais·es s'interroge sur les particularités de la gentrification à Porto. Le groupe s'éloigne du fameux pont Infante Dom Henrique, très prisé par les touristes, et tourne dans une ruelle perpendiculaire. Les murs sont placardés d'affiches militantes de l'association "Habitação, Hoje !", qui prônent le droit au logement. Parmi les revendications : « la fin de la spéculation immobilière et de la gentrification ». Pedro montre avec fierté le combat que mène ce collectif contre l'embourgeoisement de ce quartier populaire. La visite continue. Des bâtiments vides, délabrés ou en ruines côtoient des devantures colorées avec l’inscription « AL » (Alojamento Local). Ce sont des hébergements voués à la location pour les touristes. « Welcome to Porto ! », dit sarcastiquement Pedro.

« La gentrification de Porto est forcée par le tourisme »

Ces Alojamento Local se multiplient. Au mois de mai 2022, on en comptait 8 750 dans la ville, soit 2 117 de plus qu'en 2019. Elles sont le symbole de la transformation de Porto. « Dans les années 1990, Porto n’était pas très touristique. Aujourd'hui, elle l'est, mais il ne faut pas que ça devienne Disneyland », explique José Alberto Rio Fernandes, sociologue à l’Université de Porto.

Le point de bascule ? 2001, année où Porto est élue avec Rotterdam capitale européenne de la culture. Pour cette occasion, de nombreux investissements sont réalisés. Le centre ville devient plus attractif. La mise en service du métro, en 2002, le rend plus accessible depuis l’aéroport. À cette même période débarquent des compagnies low cost. C’est la consécration du tourisme de masse.

En 2019, l’aéroport de Porto accueillait 13 millions de passagers, contre 4,5 millions dix ans plus tôt. Signe du développement de l’image de marque de la ville, elle figure parmi la liste des 50 meilleures destinations pour 2023, selon le magazine Forbes.

Rua Da Central, Alojamento Local et bâtiments délabrés se côtoient.

Rua Da Central, Alojamento Local et bâtiments délabrés se côtoient.

Rua Da Central, Alojamento Local et bâtiments délabrés se côtoient.

Rua Da Central, Alojamento Local et bâtiments délabrés se côtoient.

Rua Da Central, Alojamento Local et bâtiments délabrés se côtoient.

Rua Da Central, Alojamento Local et bâtiments délabrés se côtoient.

Rua Da Central, Alojamento Local et bâtiments délabrés se côtoient.

Rua Da Central, Alojamento Local et bâtiments délabrés se côtoient.

Profitant de la nouvelle attractivité de la ville, certain·es propriétaires n’hésitent pas à revoir à la hausse les contrats de location. D’après l’Instituto Nacional Portugal, le loyer moyen dans le Grand Porto a augmenté de 49 % entre 2017 et aujourd’hui. Dans le même temps, le salaire moyen des Portugais·es n’a, lui, crû que de 15%. « En moyenne, le loyer mensuel est d’environ 650 euros à Porto, tandis que le salaire minimum portugais est à hauteur de 760 euros », souligne Elsa Marques, assistante sociale à la mairie de Porto. Face à ce constat, de nombreuses personnes se retrouvent obligées de vivre dans la précarité ou de partir en périphérie. De l’aveu d’Elsa Marques, la ville a perdu presque 30 000 habitant·es en 20 ans à cause de l’augmentation des prix.

À lire aussi : Logement. L’enfer de la carte postale, par Louis Emeriau et Alexis Gonzalez

« Il ne faut pas que la ville devienne Disneyland »
José Alberto Rio Fernandes, sociologue à l’Université de Porto

José Alberto Rio Fernandes

José Alberto Rio Fernandes

Selon José Alberto Rio Fernandes, « la gentrification de certaines zones de Porto est forcée par le tourisme. Ce n’est pas la même que celle qui a lieu à Londres ou à New-York. Ici, les habitants ne sont pas remplacés par de nouveaux résidents plus aisés mais par des nomades. Par une population "flottante" qui va des étudiants en Erasmus jusqu'aux touristes ». Dans le centre de la ville, explique-t-il, beaucoup de commerces gérés par des Portuan·es issu·es de milieux populaires sont remplacés par des établissements destinés au tourisme des classes moyennes. Par ailleurs, des investisseur·euses réhabilitent d’anciens bâtiments qui appartenaient à des personnes âgées ou des milieux populaires pour en faire des locations temporaires ou des hôtels. « À travers "The Worst Tours", je vois tous les jours les effets de la gentrification », dénonce Pedro Figueiredo. Ce processus a ses gagnant·es et ses perdant·es. Les Portuan·es modestes en sont les victimes.

Se loger : simple à dire, difficile à faire

Celles et ceux qui ne peuvent pas payer leurs loyers sont sommé·es de s’orienter vers des programmes sociaux. À l’instar de Porto Solidário, un dispositif municipal qui propose une aide au logement renouvelable tous les deux ans et pouvant aller jusqu’à 260 euros par mois. Plus les prix des loyers augmentent, plus les demandes sont nombreuses. Pour 2023, Porto Solidário a recensé 1 012 candidatures, contre 836 l’année dernière. « Depuis 2014 [date à laquelle le programme a été mis en place, ndlr], la mairie a investi presque 13 millions d’euros pour un total de 4 500 familles aidées », déclare Elsa Marques.

« Porto Solidario est une solution palliative », affirme Susana Constante Pereira, cheffe du groupe municipal de gauche Bloco de Esquerda (BE). Une réponse insuffisante pour l'accès des jeunes au logement. Chaque candidat doit déjà s’acquitter d’un loyer quand il fait sa demande d’aide. Or, en 2021, au Portugal, l’âge moyen auquel les jeunes quittent le domicile parental était de 33,6 ans, soit le plus élevé dans l’Union européenne d’après Eurostat.

Elsa Marques, Marlene Baptista et Inê Silva Dias

Elsa Marques, Marlene Baptista et Inê Silva Dias

Elsa Marques, Marlene Baptista et Inê Silva Dias

Elsa Marques, Marlene Baptista et Inê Silva Dias

En 2023, plus de 1 200 familles reçoivent l'aide mensuelle de Porto Solidario. Elle s'élève en moyenne à 207,50€.

En 2023, plus de 1 200 familles reçoivent l'aide mensuelle de Porto Solidario. Elle s'élève en moyenne à 207,50€.

En 2023, plus de 1 200 familles reçoivent l'aide mensuelle de Porto Solidario. Elle s'élève en moyenne à 207,50€.

En 2023, plus de 1 200 familles reçoivent l'aide mensuelle de Porto Solidario. Elle s'élève en moyenne à 207,50€.

En 2023, plus de 1 200 familles reçoivent l'aide mensuelle de Porto Solidario. Elle s'élève en moyenne à 207,50€.

En 2023, plus de 1 200 familles reçoivent l'aide mensuelle de Porto Solidario. Elle s'élève en moyenne à 207,50€.

« La municipalité cherche plus à montrer qu’elle fait du bon travail plutôt que de résoudre les problèmes des gens à la racine », explique Susana Constante Pereira, assise dans un petit jardin situé à l’arrière du QG de Bloco de Esquerda, une cigarette à la main. Le sociologue José Alberto Rio Fernandes va même plus loin : « La mairie est d’inspiration libérale, elle croît dans le marché. Pour elle, c’est normal que des propriétés gagnent de la valeur et que les pauvres ne puissent plus habiter dans la ville. » Contactée, la municipalité de Porto n'a pas répondu à nos questions.

« Le programme Porto Solidario est une solution palliative »
Susana Constante Pereira, cheffe du groupe municipal de gauche Bloco de Esquerda (BE)

Susana Constante Pereira

Susana Constante Pereira

Pour combattre l'augmentation des loyers, Susana Constante Pereira propose plusieurs mesures. « Nous avions demandé la création d’une carte interactive avec tous les Alojamento Local recensés, histoire de limiter leur construction dans des zones surchargées, indique-t-elle. Mais cela n’a pas eu lieu. » Pourquoi ? Car avec la pandémie de Covid-19, le projet a été suspendu afin de ne pas mettre en difficulté les propriétaires. Autres réclamations du parti de gauche : ne pas vendre de maisons secondaires à des propriétaires étranger·ères qui laisseraient un logement vacant la moitié de l’année, ou encore une politique de contrôle des loyers pour favoriser la location et la vente. Mais Susana Constante Pereira le reconnaît : « L'encadrement des loyers existait déjà sous la dictature de Salazar. La population accepterait difficilement son retour. »

« Les mouvements citoyens contre la hausse des loyers sont très fragiles »

La mobilisation de la population portuane contre l’augmentation des prix des loyers reste encore minoritaire. Certes, le 1er avril dernier, Porto a été le théâtre d'une manifestation pour le droit à un logement décent. Pour Susana Constante Pereira, « les mouvements citoyens contre la hausse des loyers sont très fragiles. Au Portugal, il y a une sorte de culture de la soumission aux décisions du pouvoir. Quelque chose qui vient d’avant la démocratie : l’idée que si on fait trop de bruit, on aura peut-être plus de mal à jouir de ses droits ». Il faut dire aussi que la communication de la mairie est bien rodée. « La municipalité communique beaucoup sur le fait que le tourisme est la solution pour une ville qui était encore terne il y a 30 ans de cela, explique José Alberto Rio Fernandes. Elle se défausse de sa responsabilité en disant que si les habitants de Porto n’arrivent pas à se loger convenablement, c’est la faute du Gouvernement qui n’a pas de politique globale d’habitation.»

À Fontainhas, un ancien quartier ouvrier de Porto, les Alojamento Local (AL) fleurissent.

À Fontainhas, un ancien quartier ouvrier de Porto, les Alojamento Local (AL) fleurissent.

Le Gouvernement socialiste d’Antonio Costa a d’ores et déjà mis fin aux visas dorés. Ce dispositif permettait aux ressortissant·es étranger·ères d’obtenir plus facilement un permis de résidence. Prochaines échéances : la mise en débat parlementaire du programme Mais Habitação (Plus de logements en français). Il vise à améliorer l’accessibilité aux logements abordables et à lutter contre la spéculation immobilière.

Le gouvernement portugais renforcera-t-il davantage sa politique d’encadrement des loyers ? Rien n’est moins sûr. Difficile pour le pouvoir portugais de faire le procès du tourisme qui représente 14% du PIB portugais, contre 4,1% du PIB français. Selon José Alberto Rio Fernandes, « le problème n’est pas le tourisme en tant que tel mais la concentration du tourisme à Lisbonne et à Porto. Il faut faire la différence entre une ville avec des touristes et une ville de touristes ».