Les brasseries artisanales redynamisent la vallée du Couserans

L’Ariège n’échappe pas à la folie des brasseries artisanales. Depuis 2018, elles se sont multipliées à travers le département et sont à présent près d’une vingtaine. Mais plus que des simples brasseurs, ces fans de bières proposent de vrais lieux de vie sociale pour les villages ariégeois.

À Massat ce jeudi 20 mai, c’est jour de marché. Bracelets artisanaux, miels, fleurs ou encore les traditionnels étals de pain et de légumes se partagent la place du village. Mais en contrebas de l'Église, deux personnes s’affairent à une activité bien plus particulière. Pierre et Guillaume sont brasseurs et emballent la dernière cuvée. Ils ont créé la Brasserie de l'Éphémère il y a quatre ans et demi et sortent leurs bouteilles de leur garage. 

Le premier est bûcheron élagueur et le deuxième maçon. Tous les deux à leurs comptes, ils se réservent le jeudi et le vendredi pour brasser. Il suffit de se promener dans le village pour se rendre compte que la BIM, la Bière internationale de Massat, est une petite fierté locale. Vendue dans l’épicerie bio et dans la plupart des restaurants, le houblon local a même fédéré tout le village l’an dernier. Pierre et Guillaume sont parvenus à remporter un prix dans le cadre d’un concours régional d’innovations climatiques. Pierre explique. “La subvention va permettre de créer une station de lavage à Massat qui nous permettra de recycler nos bouteilles mais qui pourra profiter à l’ensemble du village. Par exemple, l’école fait du jus de pomme et lavera ses bouteilles vides dans la station.”

Avec beaucoup d’humilité, les deux brasseurs saluent les Massatois pour leur rôle déterminant dans le vote. Surtout qu’ils sont arrivés ici un peu par hasard, l'un étant arrivé à neuf ans, l’autre ayant suivi sa compagne depuis le Jura. “On a ressenti un énorme soutien du village. Même la mairie est fière d’avoir sa propre brasserie”. Ambitieux, l’objectif pour les brasseurs est maintenant de se développer pour valider son implantation locale. Plus de litres brassés, faire les marchés et, aussi, le projet d’ouvrir un bar. “Les gens attendent ça, on le sait et c’est notre envie de le faire. Un bar attenant à la brasserie, c’est forcément un nouveau point de vie sociale. Surtout dans une ville avec autant de brassage que Massat.”

"À Saint-Girons il y a 50 ans, il y avait 35 bars. Il n'en reste plus que cinq"
Bastien, propriétaire de la Brouche

Direction Saint-Girons, capitale du Couserans, pour y rencontrer Bastien Faux, le jeune propriétaire de la plus vieille brasserie artisanale d’Ariège, La Brouche. Le brasseur de 29 ans ouvre l’album familial. Il a dix ans et brasse déjà une cuve de 20L dans sa salle de bain. Un savoir-faire transmis par son père, lancé dans l’aventure de la bière artisanale depuis 2005. Durant une grande partie de son adolescence, il accompagne sa mère sur les marchés pour faire connaître le produit familial. Lui aussi sait toute l’importance de ce genre d’établissement dans un village. “Les clients ont besoin de mettre une tête sur un produit. Quand c’est local, ils en sont fiers, cela fait partie de leur identité.”

Au cours d’un voyage initiatique en Australie, il a compris que la bière était un vecteur social primordial. “Avant le covid, j’avais l’intention d’installer un beer garden à la place du parking de la brasserie. Créer un lieu où les gens du village pourraient se retrouver autour d’une bière. Ce n’est que partie remise.”

Ce nouveau projet a aussi pour but de rendre à son village l'atmosphère d'antan, en venant s'ajouter aux concerts réguliers organisés au milieu des cuves. “Il y a 50 ans, il y avait une brasserie artisanale à Saint-Girons. Il y avait même 35 bars! Aujourd’hui, il n’y en a plus que cinq. On a vraiment pour ambition de servir socialement le village”.

"“Il n’y a qu’un seul restaurant à Rimont et toute initiative pour redynamiser le village est encouragée"
Nicolas, fondateur de l'Orge folle

Cap à l’Ouest. Quatorze kilomètres plus loin. Sur les hauteurs de Rimont. Nicolas Fort y tient une microbrasserie artisanale depuis juin 2017. Difficile de le rater, sa boutique se trouve au bord de la D117, très passante. Enfant du pays, il a voyagé avant de revenir sur ses terres natales, comme beaucoup de ses collègues brasseurs. Dix ans passés au Canada, après une licence d’histoire, où il se familiarise avec la culture anglo-saxonne de la bière. 

Son retour et son projet sont très bien accueillis par les locaux. “Il n’y a qu’un seul restaurant à Rimont et toute initiative pour redynamiser le village est encouragée. Derrière la boutique, je compte aussi créer un bar à Tapas. Les habitants du village attendent plus l’ouverture du bar que ma simple bière ! Ils ont tous besoin de ce genre de lieux, à proximité de chez eux.” 

D’ailleurs, Nicolas met un point d’honneur à la coopération entre commerçants et voisins. Avec un ami australien qui produit un soda bio à quelques mètres de chez lui, il compte construire une station de lavage partagée, inspirée de ses confrères massatois, pour que l’ensemble du village puisse en profiter.

"Les gendarmes nous ont même autorisés à faire dormir les gens sur les espaces verts pour qu’ils ne reprennent pas la route
Guylain, fondateur de la Boussole

Dernier arrêt à Taurignan-Vieux, bourg de deux-cents habitants, à la brasserie de La Boussole. Guylain Joanny, cofondateur, est en plein préparatifs. Les 700m2 de terrasse accueilleront près de trois-cents personnes pour la réouverture du site. “La bière est un ciment social. Notre brasserie répond à une demande directe des habitants de la vallée. Le mélange des populations est total. Punk, locaux, néo ruraux, notables viennent se mélanger autour d’une bière”, se ravit le trentenaire originaire de Toulouse. 

Autre point d’engagement, l’emploi. De plus en plus rare. Sur ce point, aussi, les brasseurs s’engagent. Guylain, de la Boussole, détaille. “L’idée en ouvrant ce lieu c’est aussi de créer des emplois. Il n’y a quasiment rien dans la région. Avec le temps, on a déjà recruté deux salariés et le but c’est encore d’en créer davantage.” La Boussole se sert aussi de son emplacement pour servir aux producteurs locaux. “Tous les producteurs du coin peuvent venir vendre leurs produits chez nous. On travaille aussi avec des food trucks locaux pour profiter au plus grand nombre. Notre engagement est au niveau de cette vallée solidaire”. L’apiculteur, qui lui fait face de l’autre côté de la route, ne le contredira pas.

Le parcours de Guylain Joanny l’a mené ici un peu par hasard. Il venait en Ariège pour faire de la randonnée et de l’escalade. Après dix ans passés dans le monde du spectacle, avec sa femme Jennifer, il décide de monter sa brasserie artisanale. Finies les tournées des Zéniths, ils s’installent à Taurignan-Vieux avec leur nouvel associé, Vincent, ancien technicien dans la maintenance industrielle. La mairie leur indique qu’un immense hangar à l’entrée du village est à vendre. Ils y fondent La Boussole. 

À l’ouverture en 2018, quatre-cents personnes sont au rendez-vous, séduites par les concerts, expositions et propositions de restauration. Pour les trois ans de la brasserie, Guylain attend près de mille personnes. Même les gendarmes y seront. "Ils nous ont même autorisés à faire dormir les gens sur les espaces verts pour qu’ils ne reprennent pas la route bourrés”, glisse-t-il en souriant.

Un futur festival commun

Preuve de cette volonté commune de se tirer vers le haut, tous les brasseurs du département - sauf un - se réunissent chaque mois pour entamer les démarches administratives de la création d’une association des brasseurs d’Ariège. Passée cette étape, l’idée d’organiser un festival des brasseurs, qui pourrait voir le jour dès l'automne prochain, se concrétisera. Avec une nouvelle fois, l’ambition de développer le plus largement possible l’animation culturelle, musicale, sociale et… gustative de toute une région.