Les arbres de Pierre Hurmic tardent à prendre racine

Deux ans après avoir élu un maire écologiste, les Bordelais et Bordelaises s'impatientent. Celui qui ne souhaitait pas seulement "verdir la carte postale" mais promettait "une ville verte à habiter" a du mal à convaincre. Si la nature semble reprendre lentement ses droits, la vision écologiste de Pierre Hurmic heurte les habitants d'une ville historiquement conservatrice, craintifs de voir l'exigence de la biodiversité amocher la capitale girondine.

En conseil municipal, mardi 4 octobre 2022, Pierre Hurmic, le maire écologiste de Bordeaux, s’est montré particulièrement virulent à l’égard de la Colonne de la Vigne et du Vin qui,  depuis 2005, trône au centre de la place de la Victoire. Pour l'édile cet obélisque “particulièrement laid” symbolise le gâchis d’une époque où le vert n’avait pas sa place en ville : "vous auriez mis le prix de l’obélisque pour végétaliser la place, on aurait une véritable forêt".

S’il est un sujet que l’ancien avocat, n’a de cesse de défendre depuis son élection en juin 2020, c’est celui de la végétalisation. Tout au long de sa campagne, Pierre Hurmic promettait aux bordelaises et aux bordelais de "casser du bitume", n’en déplaise aux nostalgiques de l’ère Juppé et de sa vision d’un Bordeaux minéral, qui a vu la verdure être repoussée derrière les boulevards. 

Les vagues de chaleur liées au réchauffement climatique s’intensifiant années après années, elles ont amené l’ensemble de la classe politique locale à une réflexion sur la nature en ville. L’élaboration du plan "Grandeur Nature", à l’automne 2020, se veut être l’incarnation de cette prise de conscience. À l’intérieur de ce plan figurent des objectifs simples comme la sanctuarisation des 45 hectares de forêt de la Jallère au nord de Bordeaux, ou le triplement du budget accordé aux plantations. Mais aussi des éléments plus symboliques, des "chevaux de bataille" écologistes, comme la promesse de création de 5 micro-forêts.

Micro-forêts et micro-progrès 

C’est au croisement des rues Billaudel, Fieffé et Françin, à quelques pas de la Gare Saint-Jean, que la première micro-forêt de Bordeaux a été plantée en mars 2021. Cette placette en triangle sur laquelle étaient auparavant disposées une dizaine de places de stationnement, accueille désormais près de 500 jeunes plants forestiers. De quoi faire rêver sur le papier. Toutefois, près d’un an et demi après sa plantation, la réalité semble bien éloignée des promesses et la placette Billaudel n’a pas vraiment l’allure d’une forêt. C'est tout juste un ensemble de petites pousses qui attirent animaux, cannettes vides et déchets.

"Ce n’est pas une micro-forêt, c’est une friche", s’exclame Michel. Lui et sa femme Sylvie vivent à Bordeaux depuis plus de cinquante ans. Depuis leur maison en pierre de taille située juste en face de la place, ils ont vu le quartier changer et progressivement se "boboïser", devenir "plus écolo". Ils déplorent l’illisibilité de la politique de verdissement du nouveau maire, le "un bordel environnemental", comme ils l’appellent. En regardant le déplorable spectacle végétal qui se déploie devant sa fenêtre, Sylvie exprime son mécontentement "on est pas contre la végétalisation, mais nous ici on a nos jardins. Quand on voit le centre ville où il n’y a que de la pierre c’est incompréhensible, c’est là-bas qu’il faut aller planter des arbres".

Le problème de la minéralisation du centre ville de la capitale girondine est un véritable casse-tête pour la majorité écologiste. Sur la place de la Victoire, c’est le parking souterrain qui pose souci. Il empêche toute plantation en pleine terre et oblige la mairie à disposer ça et là plants d’arbres en pot pour donner un semblant de verdure à l’espace. Une solution que l’équipe de l’ancien maire Nicolas Florian avait aussi adoptée à l’été 2019 pour verdir la place Pey-Berland. Insuffisant pour la nouvelle majorité. Si la place de l’Hôtel de Ville est l’un des symboles de l’embellissement urbain opéré dans les années Juppé, Pierre Hurmic a tenu à faire d’elle l’emblème de sa rupture avec le modèle urbain minéral.

A Pey-Berland, comme il l’avait annoncé durant sa campagne, il a véritablement "cassé du bitume". 18 arbres y ont été plantés en pleine terre en deux ans, tout autour de l’emblématique Cathédrale Saint-André, dont une rangée de huit frêles Lilas de Perse. Pour Bachir, le dynamique barman du Café français qui fait face à l’aile nord de la cathédrale, ces plants sont un peu décevants. "On verra bien dans quelques années", s’exclame-t-il. Il regrette surtout la disposition des végétaux : "ça aurait été mieux s’ils avaient été un peu dispatchés sur la place et pas alignés comme ça. Là c’est froid", nous explique-t-il. A ses yeux, le test qu’avait effectué la précédente mandature avec des arbres en pots avait bien plus d’allure. 

Les racines d'un nouveau siècle

A quelques encablures de la Place Pey-Berland, les arbres de la place Gambetta ont eux aussi concentré l’attention politique ces dernières années. En 2018, Pierre Hurmic, alors conseiller municipal d’opposition, était venu lui-même s’enchainer à l’un des 17 marronniers ornant la place pour protester contre leur abattage. En vain. L’ancienne majorité a mené à bien la rénovation qu’elle souhaitait, en dépit des considérations des écologistes pour la biodiversité. 

Assise sur l’un des nombreux bancs disséminés tout le long de la nouvelle voie piétonne qui parcourt la place, Jenny profite de la convivialité des lieux. La main droite fermement agrippée à  sa canne, la main gauche délicatement posée sur sa cuisse, l’octogénaire nous confie d’une voix chevrotante qu’à ses yeux la rénovation de la place est  “une réussite”. A ses côtés, son ami Bertrand s’émerveille de la beauté des arbres et de la rareté des essences plantées. Si la droite a coupé les marronniers, elle a aussi presque doublé le nombre d’arbres présents sur la place. 

Toutefois un simple coup d'œil alentour suffit pour saisir la volonté de l’ancienne majorité, plus décorative qu’écologique. Une grande partie de l’ancien parc a été minéralisée pour permettre aux piétons de se balader et au milieu de la place, une fontaine a été installée. Une immense dalle en pierre entoure l’ensemble, donnant aux différents coins d’herbes qui composent le parc, l’allure de jardins artificiels que les jeunes pousses d’arbres, encore ornées de tuteur, ne suffisent pas à rendre vivant. 

Des travaux qui symbolisent les vives tensions entre une vision esthétique et une vision écologique de la végétalisation. Deux sens opposés de la ville verte. Pour la majorité écologiste, l'arbre n'est pas qu'un élément décoratif, il a une véritable fonction environnementale en contribuant au développement de la biodiversité. Didier Jeanjean, adjoint au maire chargé de la nature en ville, résumait ainsi dans les colonnes de 20 minutes son sentiment sur la nouvelle place Gambetta, symbole d'une vision dépassée de la nature : "on est dans une pensée décorative de la ville, il suffit de regarder le jardin qui a une fonction ornementale datant d’un autre siècle. A aucun moment on a cherché à travailler le développement de la biodiversité".

“La ville c’est pas la campagne”

Cette vision d'une ville plus respectueuse de la biodiversité s’impose même sur les trottoirs de la ville que la mairie propose désormais aux habitants de verdir eux-mêmes.  Comme dans la rue Faidherbe, à quelques mètres de la Caserne Nansouty, où devant chaque maison est situé un bac de terre avec des fleurs plantées. Une initiative commune de voisinage, mais Juliette, arrivée en avril, alors que tout avait été mis en place, déplore que "les trottoirs ne soient pas entretenus". Depuis une dizaine d’années, la municipalité n’utilise plus de pesticides pour nettoyer les rues. À chacun de retirer les mauvaises herbes devant sa porte.

Si certains et certaines s’en plaignent, d’autres, comme Étienne, sont ravis de voir la nature reprendre ses droits en ville. "Je suis étonné que ça n’aille pas plus vite !", déclare le jeune père de famille et riverain d’une rue voisine. Lui a fabriqué ses blocs hors-sols et y a planté différentes espèces. Il a également demandé « deux trous » à la mairie, afin de pouvoir planter des fleurs dans le sol. Pour lui, les politiques mises en place depuis l’élection de Pierre Hurmic sont malgré tout "un peu décevantes". Néanmoins, avec les écologistes au Palais Rohan, il ne craint plus que ses bacs soient retirés. 

Dans le quartier de la gare, Michel regrette cette vision d’une écologie désordonnée. "On n’est pas à la campagne, on est à la ville !", déclare-t-il.  Tous ces changements urbains ont tendance à l’énerver. Des mauvaises herbes, des rues non entretenues, la vitrine écologique de Bordeaux n’est pas la même en vrai que sur le papier. La végétalisation, d’accord, mais pas n’importe comment. "Il faut planter de manière maîtrisée". C’est sûrement un cadre que Michel et Sylvie aimeraient voir être mis en place à Bordeaux. Selon eux, la campagne n’a pas sa place en ville, ce sont deux espaces différents et il faut les distinguer. "On a fait de Bordeaux une ville UNESCO, avec un fort patrimoine architectural mais là, on veut renier ça pour le remplacer par une campagne imaginaire". Une campagne imaginaire, c’est finalement le principal reproche que Michel et Sylvie font à la politique de végétalisation de la ville de Bordeaux, depuis l’élection de Pierre Hurmic. 

Un vert pas toujours clair

Depuis deux ans, Pierre Hurmic affiche fièrement sa vision d’une ville écologique mais la promotion de sa politique ne fait pas que des adeptes. La communauté scientifique s’inquiète elle aussi de voir les responsables locaux manipuler des concepts écologiques qu’ils ne maîtrisent pas entièrement à des fins de communication. 

Lilian Marchand, docteur en éco-toxicologie et ingénieur d’étude en environnement explique qu’"il y a un emballement autour du concept de micro-forêts".  Scientifiquement, cette idée n’est pas la plus prometteuse. Certes, l’idée de planter des arbres est bonne, non critiquable en soi mais si on se penche sur la façon dont cela est réalisé, ce n’est plus la même histoire. Lilian Marchand avertit qu’il faut faire "attention aux discours que l’on fait en prétendant défendre la planète". Tous ne s’équivalent pas.

Dans le cas des micro-forêts, la technique est simple: planter de très jeunes arbres très serrés (trois au mètre carré environ). Chacun cherchant à récupérer la lumière et les nutriments nécessaires à sa croissance avant que ses voisins n’y accèdent, ils poussent donc relativement vite. Néanmoins, cette technique n’a rien de convaincant aux yeux du scientifique, qui s’interroge sur la durée : "Quelle visibilité ?" questionne-t-il. Le problème est que toutes les jeunes pousses ne deviendront pas des arbres. En clair : une micro-forêt ne sera jamais véritablement une forêt, en dépit de ce que les responsables veulent faire croire aux habitantes et habitants. 

Depuis son arrivée au Palais Rohan, Pierre Hurmic s'active pour transformer la ville de Bordeaux. Souhaitant rompre avec la "végétalisation d’embellissement" promue par ses prédécesseurs de droite, il veut désormais replacer la biodiversité au centre de l'aménagement urbain. Une intention louable mais les faits sont ce qu’ils sont, deux ans après son élection, les Bordelais et Bordelaises tardent à voir les effets de sa politique de verdissement. À l'image de la micro-forêt de la rue Billaudel, les espoirs d’une ville nouvelle tardent à sortir de terre.