Le quartier des Aubiers sous les projecteurs dans "Rodéo"
Primé au 75e festival de Cannes, le long-métrage "Rodéo" de Lola Quivoron est sorti au cinéma début septembre 2022. Il a été tourné en Gironde, notamment dans le quartier populaire des Aubiers, au nord de Bordeaux. Certains habitants y ont participé, et leurs avis sur le film sont partagés.

"La réalisatrice a visité beaucoup de quartiers populaires. Elle est allée à Dravemont, au Grand Parc... Mais elle a eu un coup de cœur pour l’architecture de notre cité." Au pied des tours HLM, assise sur un banc de l'arrêt de tramway des Aubiers, France Fourn se souvient du tournage du film "Rodéo".
Elle y a joué en tant que figurante, avec l'une de ses amies, Emna Lakhal. La fiction relate la rencontre de Julia – incarnée par Julie Ledru – avec un groupe de motards, adeptes comme elle de cross bitume. Derrière la caméra : une metteuse en scène de 33 ans, Lola Quivoron.
Ce quartier "lui rappelle son enfance, parce qu’elle a aussi grandi dans un HLM", explique France. Lola Quivoron a habité jusqu'à ses 17 ans à Épinay-sur-Seine en banlieue parisienne, avant de déménager avec ses parents près de Bordeaux, à Saint-Médard-en-Jalles.

France Fourn et Emna Lakhal
France Fourn et Emna Lakhal
"Magnifique"
Malgré cette proximité géographique, la réalisatrice n’était jamais venue aux Aubiers avant de s'y intéresser pour son long-métrage. Yvon Mbiavanga a vu "Rodéo" et a apprécié le regard que la cinéaste a posé sur son quartier d'enfance. Lui aussi filme régulièrement au cœur de la cité "magnifique" où il a grandi. Ses vidéos sont publiées sur son compte Instagram @les_aubiers.
Les habitants des Aubiers le croise souvent avec sa caméra à la main. Tout le monde s'arrêtent pour le saluer. "Hey Yvon, tu vas au foot ce soir ?" Cette fois, la voix qui s'adresse à lui provient d'un homme situé en contrebas.

Yvon Mbiavanga
Yvon Mbiavanga
Le cuisinier se penche sur une rambarde pour lui répondre par la négative. Les nombreux balcons, passerelles et escaliers en colimaçon du quartier donnent en effet sur plusieurs niveaux. Pour un vidéaste, ce décor offre donc une multitude de plans et de perspectives. "Lola a filmé sur la terrasse du deuxième étage", montre France, accompagnée d'Emna et d'Yvon.

France, Emna et Yvon sur la terrasse de l’un des bâtiment du quartier des Aubiers à Bordeaux, à l’endroit où a été tournée l’une des scènes du film "Rodéo".
France, Emna et Yvon sur la terrasse de l’un des bâtiment du quartier des Aubiers à Bordeaux, à l’endroit où a été tournée l’une des scènes du film "Rodéo".

En dessous de cette passerelle, plusieurs commerces se jouxtent.
En dessous de cette passerelle, plusieurs commerces se jouxtent.

Point de vue depuis l'une des passerelles du quartier des Aubiers
Point de vue depuis l'une des passerelles du quartier des Aubiers
Les trois habitants ne tarissent pas de compliments au sujet de leur quartier. "Les Aubiers manquent d’espaces verts", déplore néanmoins Yvon. "Il y a la pelouse quand même !", rétorque Emna. "La pelouse", c'est une étendue d'herbe à côté du stade de foot. Ce décor est aussi apparu dans le film, lorsque l’actrice principale sort d’un immeuble et rentre dans un camion qui l’y attend.

Emna sur le « pelouse » du quartier des Aubiers à Bordeaux, à l’endroit où a été tournée l’une des scènes du film « Rodéo »
Emna sur le « pelouse » du quartier des Aubiers à Bordeaux, à l’endroit où a été tournée l’une des scènes du film « Rodéo »
Les éléments architecturaux les plus caractéristiques des Aubiers sont sans doute les couloirs suspendus, reconnaissables dans la bande-annonce. Ces passages relient entre eux les immeubles du quartier, bras dessus bras dessous.

Capture d’écran de la bande-annonce du film "Rodéo"
Capture d’écran de la bande-annonce du film "Rodéo"

France, Emna et Yvon au quartier des Aubiers à Bordeaux, à l’endroit où a été tournée l’une des scènes du film "Rodéo"
France, Emna et Yvon au quartier des Aubiers à Bordeaux, à l’endroit où a été tournée l’une des scènes du film "Rodéo"
"Il y a avait une très bonne ambiance pendant le tournage"
La majorité des scènes de "Rodéo" se sont donc déroulées en extérieur. Quelques unes ont été aussi tournées dans un appartement. Les plus hauts immeubles s'élèvent jusqu'au dix-septième étage. Cette altitude a permis à Lola Quivoron de prendre des images panoramiques.
À des journalistes de Sud-Ouest, la réalisatrice assure que le tournage "s’est très bien passé. Domofrance [un bailleur social bordelais] nous a mis à disposition des bureaux. Les associations du quartier comme Urban vibration school (UVS) nous ont bien aidés ainsi que le centre d’animation, qui a fait de l’info, et certains jeunes sur place".
Les travailleurs du centre social Bordeaux Lac et d’Urban Vibrations School (UVS) confirment : Lola Quivoron est bien venue se présenter. La cinéaste a notamment fait appel à ces organisations phares des Aubiers pour chercher des figurants. "Elle a proposé des rôles à des jeunes, mais n'a pas tenu toutes ses promesses", retient cependant Nouhra Boulsennane, animatrice au sein d'UVS.
Les figurants choisis par Lola Quivoron n'ont joué aucune scène de rodéo urbain dans le quartier des Aubiers. La réalisatrice défend une pratique du cross bitume qui "se fait sur des pistes de run dédiées, loin des villes, sur des routes sans circulation ou dans des zones industrielles le dimanche. Il ne s’agit pas de rodéos urbains. À Bordeaux, c’est une association de motards qui n’a rien à voir avec le cross bitume qui nous a laissé la piste pour tourner pendant une semaine sur une route barricadée", détaille-t-elle dans l’interview accordée à Sud-Ouest.
France et Emna ont joué sur cette "route barricadée", à côté de l’avenue de Labarde. Elles gardent un très bon souvenir de cette expérience. C’est la première fois qu’elles endossaient le costume de figurante. "Il y a avait une très bonne ambiance. Pendant les pauses-repas, tout le monde mangeait ensemble : les figurants, les acteurs, les techniciens et même la réalisatrice", se remémore France.
"Si notre cité a plu à une réalisatrice, ça prouve qu’elle a du potentiel"
Les deux jeunes actrices découvrent ensuite le long-métrage au cinéma Utopia fin juillet, à l’occasion de l’avant-première, en présence de Lola Quivoron. "On est allées la voir à la fin de la projection pour la féliciter, parce qu’on était émues et fières qu’elle mette en valeur les Aubiers", raconte avec joie Emna.
"Il y a tellement d’avis négatifs sur notre quartier, souvent liés à la délinquance et à la drogue. Quand j’ai su que "Rodéo" avait remporté un prix au festival de Cannes, j’étais super contente ! J’espère que le regard des gens va un peu changer grâce à ce film. Si notre cité a plu à une réalisatrice, ça prouve qu’elle a du potentiel", se réjouit France.
Tom Feddah a 21 ans et vit aussi aux Aubiers. Il partage l’avis de France et Emna, mais regrette que "Rodéo" soit "encore un film qui véhicule des clichés sur les habitants de quartiers populaires". Il redoute que l’image des Aubiers soit trop associée au cross bitume, même si ce n’est pas le sujet principal du film. "Oui, il y a quelques personnes qui font du rodéo urbain ici, mais tout le monde n’est pas passionné par la moto. Il ne faut pas faire de généralité. Et ceux qui le pratiquent aux Aubiers sont peu nombreux par rapport à d’autres villes", explique-t-il.
Il applaudit néanmoins la performance de l’actrice Julie Ledru : "pour une fois que c’est une fille qui incarne le personnage principal, c’est bien, ça change".
"Un film d’une telle ampleur, c’était du jamais vu"
Les tours de dix-sept étages des Aubiers ont déjà servi de décor pour des œuvres cinématographiques, mais "un film d’une telle ampleur, c’était du jamais vu, tout le monde en a parlé dans le quartier, même si le tournage était discret", se souvient Tom.
En 2017, quelques scènes y avaient été tournées pour la série Baron Noir. Certains habitants ont aussi accepté d’être filmé·es pour différents projets. Dans la série de fiction Addicts – la toute première série conçue et diffusée sur le web – presque tous les comédiens sont non professionnels et originaires du quartier. Et dans le documentaire Les Enfants d'Hampâté Bâ, le poète et slameur Souleymane Diamanka évoque son enfance aux Aubiers.
Pour fêter l’anniversaire des cinquante ans de la cité, Urban Vibrations School lance l’idée de faire du cinéma avec des adolescents. Résultat : le long-métrage Pas lui, sorti l’année dernière et réalisé par Marck Lowrens Hilaire. "Un nouveau court-métrage est en cours de préparation", confie Nouhra.
Urban Vibrations School est d'ailleurs régulièrement mise à l'honneur sur le compte Instagram d'Yvon. Il utilise fréquemment ce réseau social pour mettre en lumière des habitants du quartier. Il en est certain, Emna et France sont "les talents de demain". "Vous pouvez me signer un autographe ?", leur demande-t-il en rigolant, « dans quelques années, ça vaudra peut-être de l’or ! ».
