Le dérèglement climatique met en péril l'Acropole

Des études émergent, dont les résultats inquiètent les plus éminent·es scientifiques grec·ques. Deux mille ans d'Histoire pourraient être bousculés par le dérèglement climatique.
par Quentin Saison (quentin_saison) le 31 mai 2024


L'Acropole, citadelle iconique de l'Histoire grecque, semble se tenir éloignée des tracas de l'époque. Mais loin du calme apparent, plusieurs études pointent du doigt l'impact du changement climatique sur le monument.
À terme, la colline et le patrimoine inestimable qu'elle endosse "pourraient être sévèrement endommagés". Les expert·es s'alarment face à l'inaction collective.
L'air est déjà lourd et le soleil tape sur l'Acropole. On est en mai ; les températures dépassent les normales de saison.
Les touristes qui s'agglutinent autour du Parthénon ignorent que cette figure de proue de l'Histoire grecque est en danger face au changement climatique. Les scientifiques qui se sont penché·es sur le sujet en sont pourtant convaincu·es : l'édifice est vulnérable aux conséquences du changement climatique d'origine humaine. Tout comme le temple d'Athéna Niké, l'Érechthéion ou le théâtre de Dionysos.

19 heures. La température de l'air atteint les 26 °C sur les hauteurs de l'Acropole, à la mi-mai.
John Kapsomenakis est l'un des chercheurs à s'être intéressé à la question. Spécialiste du climat sur le bassin méditerranéen, il a dirigé en 2022 un projet de recherche ambitieux pour tenter de mesurer la vulnérabilité de plus de 250 sites Unesco au changement climatique.
Pour le quadragénaire, pourtant armé de toutes les précautions dont font preuve la plupart des scientifiques, le constat est formel. "L'Acropole fait face à une forte menace. Nous n'allons sans doute pas la voir disparaître, mais elle pourrait subir de très importants dommages."
La structure de l'Acropole est déstabilisée
Athènes est l'une des villes européennes la plus exposée au changement climatique. Du côté du patrimoine antique, la multiplication des vagues de chaleur et des évènements climatiques extrêmes inquiète les expert·es. "La principale menace vient de l'aridité", analyse John Kapsomenakis.
La structure de l'Acropole, et par extension les fondations des bâtiments qui l'habillent, se fragilisent. Le risque que des dommages surviennent sur les différents édifices est démultiplié.

John Kapsomenakis est physicien à l'Académie d'Athènes. Il travaille au sein du centre de recherche en physique atmosphérique et climatologique depuis une quinzaine d'années.
Le moindre évènement susceptible d'occasionner des dégâts est dorénavant scruté avec beaucoup d'attention par les scientifiques en charge de la conservation de l'Acropole. "Même les petits dommages sont importants", souligne John Kapsomenakis.
Vasiliki Eleftheriou, architecte, chapeaute la conservation du site. Elle est, en quelque sorte, le cerveau des opérations. "Des épisodes de pluie, violents et soudains, surviennent de plus en plus fréquemment. Cela nécessite que nous revoyions notre système de drainage des eaux, pour l'améliorer."
De fortes pluies, amplifiées là encore par le changement climatique, ont ainsi déstabilisé les murs d'enceinte, ces dernières années. Un réseau de canalisations a dû être installé au nord et au sud de l'Acropole. Un autre est à l'étude côté ouest.
Un cocktail sismique
L'autre source d'inquiétude, relevée par les expert·es, vient de l'activité sismique — des mouvements du sol liés à la tectonique des plaques sur ce pourtour méditerranéen relativement exposé. Si le phénomène n'a aucun lien direct avec le changement climatique, il forme, cumulé aux évènements météorologiques extrêmes, un cocktail dangereux pour les monuments athéniens.

Onze sismographes, placés du toit du Parthénon au pied des colonnes, mesurent le moindre mouvement de terrain.
© Repro Dr. Nikolaos Melis
C'est précisément ce qu'étudie Nikolaos Melis, directeur de recherche à l'Institut de géodynamique de l'observatoire d'Athènes. Son bureau donne directement sur l'Acropole, où il opère régulièrement une série de mesures vouées à améliorer la compréhension du phénomène. Une batterie de sismographes, dissimulés du regard des touristes par des plaques de marbre, bardent le monument.
"La manière la plus évidente pour comprendre l'impact du changement climatique, c'est de parler du soleil, de l'aridité, des pluies extrêmes, explique Nikolaos Melis. Mais il faut aussi prendre en considération les secousses et les tremblements de terre." Ils viennent se calquer sur les phénomènes climatiques amplifiés. "Nous constatons de nombreuses situations qui requièrent une vigilance particulière. Même face à de petits évènements sismiques."
Des données à l'inaction
Par la force des choses, les scientifiques finissent par s'agiter, alarmés par l'ombre qui pèse sur l'Histoire d'Athènes. Christos Zerefos est l'un des premier·es à s'être exprimé publiquement sur la question. Il peut se le permettre : climatologue de renom, il est le secrétaire général de l'Académie d'Athènes, plus grande instance scientifique du pays.

Christos Zerefos travaille depuis une dizaine d'années sur le lien entre changement climatique et patrimoine historique. Malgré un emploi du temps surchargé, il prend le temps d'alarmer sur l'urgence climatique et sur le risque qu'encourt l'héritage de l'Humanité.
Dans son bureau présidentiel, il prend deux minutes pour asséner quelques mots. "C'est particulièrement inquiétant. Les monuments ne peuvent pas se défendre eux-mêmes ! La seule manière d'endiguer ce phénomène est de prendre des mesures sérieuses ; or, on ne fait pratiquement rien."
On collecte énormément de données mais on n'agit pas.
John Kapsomenakis lui, reste optimiste. "Notre étude a évalué l'impact du changement climatique sur le patrimoine historique selon deux scénarios." Une habitude en climatologie, où les prédictions sur le long-terme varient selon la manière dont l'humanité tente de remédier au problème. "Actuellement, on suit la trajectoire pessimiste, reprend John Kapsomenakis. Il est encore temps d'agir et de retomber sur le scénario moyen. L’Acropole est là depuis 2 000 ans, et le changement climatique pourrait complètement la transformer."
Les études émergent, et Nikolaos Melis partage les soucis de ses confrères et consœurs . Selon lui, il a même fallu convaincre les archéologues que le changement climatique concerne également leur champs de recherche. Une situation aujourd'hui globalement admise dans ce monde d'initié·es. "On collecte énormément de données, mais on n'agit pas, et on attend de voir des effets toujours plus importants. Comme s'il fallait attendre que l'impact du changement climatique soit plus brutal avant de prendre le problème à bras-le-corps."

Cet article a été produit dans le cadre du @atheneskulturlab
Article & photos Quentin Saison
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