La longue reprise du cinéma français

Comme le reste de l'industrie culturelle, le cinéma français a dû couper la caméra pendant le confinement. Mais producteurs, scénaristes et acteurs n'ont pas cessé de travailler pour autant. Grâce aux subventions, les effets de la crise sanitaire ne se font pas encore ressentir pour tous les professionnels du 7e art. Mais, dans cette reprise à tâtons, le pire semble à venir.

Le confinement a forcé l'arrêt des tournages de cinéma. Mais il existe beaucoup d'autres tâches qui ont pu être réalisées par les acteurs du milieu. Philippe Braunstein, producteur pour Les Films d'Avalon témoigne depuis Paris : « Une société de production a toujours plein de choses à gérer en urgence, à commencer par les tournages ou la promotion. Et là, pendant deux mois, on ne pouvait s'occuper que du développement et de l'écriture, donc on a beaucoup appelé les auteurs pour penser de nouveaux projets. Que ce soit pour la recherche de financements ou pour des scénarios en attente, on a rattrapé tout notre retard, c'est du jamais vu ». Même son de cloche pour le scénariste et réalisateur, Louis Aubert : « On a toujours plein d'idées mais on est limité par des dates de rendu. Dans cette parenthèse, tout le milieu était suspendu et j'ai eu le temps d'exploiter ces esquisses mises de côté ». Par chance, Avalon ne perd pas trop de plumes dans ce confinement ; hasard du calendrier : « On se développait à ce moment-là, on n'avait pas de tournage prévu. Sinon, ça aurait été une catastrophe », assure le producteur. « Entre le télétravail, le chômage partiel, l'attitude de la Sécu, les conseils régionaux et le fonds de solidarité du CNC, on s'en sort ». De son côté, Louis Aubert a pu terminer et sortir sa série Askip pendant le confinement en supervisant le montage à distance. En équipe, il a même commencé à écrire le début de la seconde saison.

Pour autant, la reprise ne s'annonce pas si rose que ça. Côté distribution, les producteurs font face à l'inconnu et à la crainte de ne pas trouver de public. « On devait sortir un film fin juin. Si les salles sont toujours fermées, on le reportera en août. Sauf que tous les films qui étaient programmés à la diffusion depuis mi-mars seront reportés également. D'ailleurs est-ce que le public va se précipiter pour retourner au cinéma ? », questionne Philippe Braunstein. Les tournages seraient à éviter tant que le virus circule toujours. Louis Aubert poursuit l'écriture de ses films. Initialement, il devait tourner un long-métrage à Pâques. Après un premier report du tournage en juillet, il pourrait bien le décaler une nouvelle fois, à une date inconnue. « Je ne veux pas tourner dans ces conditions » , s'explique-t-il. « Le cinéma est difficilement compatible avec les gestes barrières. Si on enlève toutes les scènes de bagarre ou même de baiser, on s'interdit une très large palette d'émotions ». Il redoute que ce climat s'installe dans la durée : « Le cinéma va souffrir terriblement si on doit s'en occuper à long terme ». Pour Avalon, seul le tournage de Vestiaires (une série de brèves avec des handi-nageurs à l’entraînement de natation, diffusée sur France 2) pourra reprendre mi-juin avec une équipe réduite. Mais Philippe Braunstein craint une potentielle deuxième vague et un nouveau confinement : « On fait ce pari parce que ce sont de courts épisodes, donc si on doit s'interrompre, ce ne sera pas dramatique. Il y aura au moins de la matière à envoyer à la chaîne. On est contraint de faire des contrats d'une semaine avec les techniciens. Et surtout, c'est réalisable parce qu'on filme en studio, pas en extérieur. Tous nos techniciens sont masqués, on ajoute du personnel pour la désinfection et on fera venir les autorités sanitaires pour valider notre protocole ». Comme les mesures s'appliquent aussi aux acteurs, le script a dû être repensé, en réduisant le nombre de figurants par exemple. « Un épisode de la saison portait sur les contacts physiques, évidemment on le reporte à plus tard. On s'est posé la question de faire un volet spécial Covid, mais on s'est dit que c'était la dernière chose dont avait envie le public. On sort d'une situation suffisamment anxiogène pour ça ».

L'équipe d'acteurs de la série Vestiaires, produite par Les Films Avalon. © France Télévisions / Astharté / Avalon

L'équipe d'acteurs de la série Vestiaires, produite par Les Films Avalon. © France Télévisions / Astharté / Avalon

Brice Ormain est comédien, et, comme sa femme, il est intermittent du spectacle. Ils ont accueilli leur premier enfant le premier jour du confinement. Brice Ormain avait prévu son congé de paternité, en effectuant presque toutes ses heures d'intermittence pour se libérer jusqu'en septembre. Le confinement n'a donc pas modifié ses plans. Pour lui aussi, c'est la suite qui l'inquiète un peu : « Les intermittents, on a l'habitude de n'avoir aucune visibilité sur notre planning. Sauf que là, on y ajoute un petit sentiment d'anxiété. Pour reprendre les tournages, les assureurs pressent pour mettre en place des conditions quasi-impossibles à appliquer, donc la reprise n'est pas pour demain... » L'année blanche annoncée par le Président pour les intermittents semble indispensable. Sinon, « on est tous dans la merde » , lâche Brice Ormain. « Mais ça ne veut rien dire dans l'absolu, on attend d'avoir plus de détails, au-delà du simple effet d'annonce. » Il reste méfiant quant à l'application concrète de ces mesures. « Par habitude, on sait que quand le gouvernement nous aide, il nous reprendra bien de l'argent ailleurs. En nous demandant de nous ré-inventer, il sous-entend déjà l'idée d'une contrepartie du comédien. Alors qu'on le fait déjà : on est artiste en permanence, quand on ne travaille pas, on est toujours en train de créer. »

Court-métrage réalisé par Brice Ormain pour la naissance de son fils, dans le cadre du projet Par ma fenêtre, lancé par le Festival international de Valence - scénaristes et compositeurs

Court-métrage réalisé par Brice Ormain pour la naissance de son fils, dans le cadre du projet Par ma fenêtre, lancé par le Festival international de Valence - scénaristes et compositeurs

Pour ses futurs projets, Louis Aubert espère tourner la page et ne compte pas s'inspirer directement des deux derniers mois : « Pour écrire un film, il faut arriver à sentir l'air du temps au moment de la sortie en salle, c'est-à-dire dans 3 ans minimum. Plus que d'habitude, il faudra prendre le temps de se poser ces questions-là. ». En tout cas, le confinement lui a permis de se rassurer sur la nécessité du 7e art : « Je me suis rendu compte que mon métier a une utilité sociale, chose dont je doutais auparavant. Beaucoup de gens confinés n'avaient rien d'autres à faire que de regarder Netflix et vivaient ainsi le confinement de façon moins violente. »

Mathieu MICHEL