"Je paye pour assurer ma sécurité" :
les dessous de Sexemodel.com, un site
de prostitution en ligne

Sexemodel.com est, avec Ladyxena, le principal site d'escorting en France. Il se présente comme une plateforme de rencontres libertines, son onglet d'accueil prend même soin de préciser que la vente de services sexuels y est « strictement interdite ». Pourtant, une fois passées les formalités d’usage (il faut assurer qu’on est bien majeur), le site apparaît exclusivement dédié à la prostitution.

Plus de 15 000 femmes, hommes, transgenres et couples, répertoriés par catégories, proposent des prestations sexuelles contre 100, 200, ou 300 « roses », d'une durée de 15 minutes jusqu'à une journée entière. D'autres affichent leurs tarifs directement en euros, moins soucieux des apparences.

Sur le site, les indépendantes côtoient les victimes de la traite. « Moi j'ai choisi ce métier, car j'aime bien faire des rencontres. Je m'amuse et en même temps je gagne de l'argent. Ce n'est pas le cas de toutes les filles. Celles qui font partie d'un réseau sont souvent forcées de le faire, explique Donna, escort présente sur la toile depuis 2011. Aujourd'hui tout le monde utilise internet, donc forcément je m'en sers aussi. C'est plus facile pour entrer en contact avec les clients. »

Un site qui s'inspire des réseaux sociaux pour connecter escorts et clients

La page de recherche de la plateforme est très développée. De nombreux filtres sont proposés pour que le client trouve le ou la travailleuse du sexe qu'il souhaite : ville, genre, âge, ethnie, nationalité, langues parlées, orientation sexuelle... On peut savoir, par exemple, si la prostituée accepte les couples. « Personnellement, les couples, j'ai arrêté, explique Sophie*, escort inscrite sur le site, que nous avons rencontrée début février. À chaque fois, c'est la même chose. Au téléphone, le type affirme que sa femme est d'accord, mais une fois la passe commencée... La fille est rigide comme une planche à pain, elle est hyper mal à l'aise et là je comprends qu'il l'a forcée à venir. Donc, maintenant, les couples,
c'est fini. »

On peut également faire son choix à partir des critères physiques : la taille, le poids, la couleur des yeux et des cheveux, le bonnet ou encore le « maillot » (rasée ou non). Chacun de ces détails est fourni par l'escort, au moment de son inscription. Le client a la possibilité de sauvegarder l’ensemble de ses critères grâce à l'option « Matchmaker », et de recevoir une « alerte » dès qu'une prostituée correspondant à sa demande est connectée.

L'utilisateur sélectionne la femme de son choix en cliquant sur sa photo et accède à la page de son profil, qu'il peut « suivre » en étant averti par mail dès que celui-ci est mis à jour. Il peut y voir les tarifs de l'escort, ses horaires et jours de travail, ses pratiques, ses tabous, ou encore les commentaires laissés par d'autres clients qui ont déjà requis ses services.

Le client potentiel a également accès à la liste « d'amis » de la prostituée. Comprendre, d'autres travailleurs ou travailleuses du sexe avec qui elle peut faire des duos ou des trios. Une demande qu'a déjà reçue Sophie. « Parfois, ce sont des groupes d'hommes assez riches qui veulent assister à une "démonstration". Ils veulent voir un couple faire l'amour sur une scène pendant qu'ils regardent. En général, on leur fait croire que les deux sont vraiment amants et pas collègues de travail. Ça les excite plus. Personnellement, je suis occasionnelle. J'ai déjà du mal à booker mes clients réguliers, donc je ne fais pas ça. »

Certaines prostituées renseignent également l'adresse de leur site internet personnel, ou de leur compte Instagram. D'autres, plus rares, proposent un abonnement payant à leur compte Snapchat, pour des photos et des vidéos explicites. Sur Sexemodel.com (comme sur Ladyxena qui a un fonctionnement similaire), toutes les images fournies sont dénudées, érotiques, mais très rarement à caractère pornographique. Le client contacte une escort grâce à son numéro de téléphone, affiché sur son profil, par SMS ou par appel, en fonction de la procédure souhaitée.

« En plus de l'appel, je demande toujours des photos des clients. Ça me permet de vérifier si c'est bien la bonne personne qui est présente au rendez-vous et d'éviter les hommes mal intentionnés », explique Donna. Malgré ces précautions, la quadragénaire a déjà été agressée plusieurs fois à son domicile, où elle reçoit. « J'ai subi une tentative de viol et trois tentatives de vol. » Les escorts sans souteneur (proxénète), isolées chez elle ou dans un Airbnb, sont régulièrement prises pour cible par des braqueurs, qui veulent leur soutirer l'argent gagné durant leur journée de travail.

Des options payantes pour sortir du lot

« Je paye le site pour assurer ma sécurité, précise Donna. 329 euros par mois, sous la forme d'un abonnement, afin d'avoir accès à la blakclist. » Un répertoire de numéros de téléphone de clients dangereux renseignés par les escorts elles-mêmes. C'est pourquoi aucune d’entre elles ne répond à un appel masqué.

Une règle à laquelle Sophie a dérogé une fois. « Au téléphone, le monsieur m'a super bien parlé :"J'ai très envie de vous voir. Je sais que vous ne prenez pas de numéro caché, mais je n'ai pas le choix." Je ne sais pas pourquoi j'ai accepté, il m'a embrouillée. Une fois devant moi, sans dire un mot, il m'a collé une gifle magistrale avant de partir en courant. Je suis restée tétanisée. Il ne m'a même pas insultée. Juste il m'a cognée et il s'est barré. »

Sur Sexemodel.com, trois abonnements sont proposés à l'escort : le Basic, le Plus et le VIP. La durée d'abonnement peut aller de 5 jours à 2 mois, de 46 à 574 euros.

En plus de la « blacklist », ce « service » permet à une prostituée qui paye les administrateurs d'apparaître avant les non-abonnées dans la liste de recherche, d'augmenter sa visibilité et d'avoir plus de clients. Parce qu'il n'y a pas de hiérarchie d'apparition entre les VIP (l'abonnement le plus cher) et les Basic (le moins cher), un supplément nommé
« Top girl », de 49 euros euros par jour, est proposé pour réserver les premières places du répertoire.

Toutes ces dépenses sont nécessaires si l'escort souhaite entrer dans le Top 50 du site. Chaque fois qu'un client classe dans son top personnel une prostituée, son vote est comptabilisé. Le nombre total d'apparition d'une escort dans le top 50 de ses clients est affiché sur son profil. Si un utilisateur la classe sur son podium, elle obtient alors une médaille (bronze, argent ou or). Plus elle est
« médaillée », plus elle a de chance d'apparaître dans le Top 50 général et ainsi acquérir une visibilité beaucoup plus importante. Donna préfère un autre système pour se distinguer.
« S'il a aimé, je demande une seule chose au client. C'est qu'il laisse un commentaire. D'ailleurs, j'y réponds presque toujours. »

Par ce système de notation, le site cherche à mettre en concurrence les escorts pour les inciter à s'abonner, à payer. Un autre concours, appelé « Girl of the month », récompense la travailleuse du sexe qui a obtenu le plus de médailles en l'espace d'un mois. « Comme il y a beaucoup de filles je ne pense pas que cela vaille le coup, estime pour sa part Donna. Cependant, le profil de l'élue va apparaître gratuitement pendant 30 jours sur chaque colonne de droite, de chaque page du site. Elle va être beaucoup plus visible, c'est sûr.»

Pour gagner ce concours, la notoriété et les rentrées d'argent qui vont avec, certaines usent de promotions. Elles proposent par exemple des rendez-vous gratuits tous les cinquante votes, ou baissent leurs tarifs pour chaque client qui les classe dans son top personnel.

Au fil des mois, les sommes des abonnements cumulées permettent d'obtenir une couronne (bronze, argent, or, ou platine, en fonction du montant). Celle-ci certifie aux clients que la travailleuse du sexe a bel et bien investi de l'argent dans le site et, par conséquent, qu'elle n'est pas un « fake ».

Des pièges tendus aux clients

Sur le chat réservé aux clients, « Smalltalk », une conversation sur deux a comme sujet l'arnaque aux faux profils. Le risque est de payer en avance ou de se faire piéger sur le lieu de rendez-vous. « Plusieurs hommes que j'ai rencontrés m'ont en effet raconté s'être fait arnaquer, confirme Sophie*. En général, ça se passe de la manière suivante. Le client entre dans l'appartement avec l'argent en liquide et se rend compte que la fille n'est pas du tout la même que sur les photos. Ensuite, un ou plusieurs types, planqués derrière une porte, se découvrent et laissent le choix au futur arnaqué. Soit ils prennent sa thune, soit ils le cognent et ensuite ils prennent sa thune. C'est pour ça que beaucoup de mecs nous demandent si c'est bien nous sur les photos. »

Des vols si récurrents que certains clients, souvent reconnaissables à leurs noms « Saint Barthélémy des fakes », « Fake hunter » ou « Darry Fake », se sont spécialisés dans la recherche de faux comptes. Grâce au logiciel « Tineye », ils cherchent les photos volées généralement à des comptes Instagram d'influenceuses, parfois d'actrices porno. Une fois l'arnaque découverte, le « chasseur de fake » poste alors un commentaire sur le faux profil, avec un lien vers les photos d'origine, pour prévenir les autres utilisateurs. Il avertit ensuite l'administrateur pour qu'il le supprime, ce qui n'est pas toujours le cas.

« Ce soi-disant coronavirus est un canular complet. Ne tombez pas pour ça. C'est tellement ridicule et même effrayant combien de personnes prennent ce mensonge au sérieux. Ne croyez jamais les médias principaux. »
Message de l'administrateur de Sexemodel.com 08.03.2020

Si les escorts sont poussées à payer la plateforme, les clients sont encouragés à proposer des passes au détriment de leur santé et de celle des prostituées. Depuis l'arrivée du coronavirus en France, fin janvier, l'administrateur du site poste régulièrement des messages complotistes sur le chat. Il y accuse les médias et les élites politiques de mentir à la population en vue d'instaurer « un nouvel ordre mondial » et suggère aux clients de ne pas changer leurs habitudes. Un discours qui a reçu un accueil mitigé chez les utilisateurs comme chez les escort girls. Même s'ils restent une minorité, nombre d'entre eux ont décidé de désactiver leur compte jusqu'à la fin de la pandémie.

Les propriétaires de Sexemodel.com ont pris soin de cacher leur identité. Si le site est réservé à l'escorting en France, les sociétés qui le gèrent sont étrangères. L'adresse IP appartient à l'entreprise suisse « Solar Communications GMBH » (1) et les serveurs à la société canadienne « EasyDNS » (2). Le nom de domaine est géré par la multinationale d'origine américaine « Godaddy » (3) et sa filiale, « Domains By Proxy », garantit l'anonymat aux gestionnaires du site, en leur fournissant une boîte mail de transfert sécurisée (4). La société de webmastering, « Anjushi LTD. », est quant à elle domiciliée sur l'île de Chypre.

Des pratiques à risque en augmentation

« Au début des années 2010, sur Sexemodel, on était peut-être 300 ou 400 escorts connectées en temps réel. Aujourd'hui, on est au minimum 1300. » En 10 ans, Donna a vu les attentes des clients évoluer. « Avant, on n’avait pas des filles qui faisaient des prestations de 15 minutes, aujourd'hui c'est monnaie courante. Chaque jour un client me demande de payer uniquement pour un quart d'heure. Ça veut dire 70, 80 euros. Je n'accepte pas, je ne perds pas mon temps à faire ça. Tu vas être plus fatiguée, plus stressée, parce que les clients qui prennent le moins sont les plus exigeants, donc non. »

Une explosion de la concurrence qui pousse les escort girls à faire des « tournées » en France, avec des étapes de plusieurs jours chacune dans différentes villes du pays. « Ce sont souvent des filles qui ne veulent pas durer dans le métier, car le seul moyen pour y parvenir est d'avoir des clients réguliers. Ce qui est mon cas, ils composent environ 60 % de ma clientèle. Mais avoir des réguliers quand tu ne passes que quelque jours à un même endroit, c'est impossible.» Les étrangères faisant partie d'un réseau sont également très présentes sur ces tournées.

Autre effet du nombre grandissant d'escorts en ligne, les pratiques à risques se sont multipliées. Les fellations naturelles sont pratiquées par une majorité de prostituée et le nombre de demandes hardcore est en augmentation. « Des clients me disent qu'ils veulent saigner, manger du caca, ou boire du pipi. Avant, il n'y avait pas tellement de demandes comme ça, mais aujourd'hui il y en a beaucoup plus. Moi, tout ce qui est un danger pour ma santé, je ne le pratique pas. »

La baisse de clientèle a décidé Donna à retourner poster des petites annonces dans des magasins. « Une copine a essayé récemment et ça marche. Avant, je gagnais bien ma vie, aujourd'hui ce n'est plus le cas. Le marché est cassé. »

* Le prénom a été modifié

Jean-Baptiste Arcuset