Incendies en Gironde, quand la fumée consume la santé

De juillet à septembre, les feux de forêt ont ravagé toute la Gironde. Plus de 32 000 hectares sont partis en fumée, engendrant l’évacuation de dizaines de milliers d’habitants.
Outre le traumatisme et les pertes matériels, sous-estimer la dangerosité du phénomène pour la santé serait une erreur.
Les méga-feux inquiètent, notamment chez les pompiers et les habitants, les premiers concernés. Le risque qu'ils encourent face à une telle exposition aux fumées est indéniable.

C'est un sujet qui préoccupe dans les rangs des pompiers. L'inhalation répétée chaque année peut causer des dommages irréversibles sur leur santé. Témoignage de Christophe*, pompier adjudant.
Mobilisé sur les feux de la Teste-de-Buch et de Saumos, qui ont vu respectivement partir en fumée 7000 et 3600 hectares de forêt, Christophe s'en remet à peine.
D'abord pompier de Paris puis à Bordeaux, ce sportif de 49 ans sert dans une caserne forestière du Médoc depuis plus de dix ans.
Des feux de forêt, il en a vu, mais jamais d'une telle ampleur: «On est habitué à maîtriser des incendies de superficie mesurée, la fumée ne nous a jamais inquiétés. Avec les méga-feux c'est une tout autre affaire».
En cumulé, Christophe a été mobilisé près d'une semaine. Interrogé mi-octobre, il en garde encore des séquelles: «De nombreux cas d'intoxications graves ont été relevés chez des collègues, moi-même je sens que j'ai encore du mal à récupérer. À mon âge, ça devient une source d'inquiétude».
L'intoxication qu'évoque Christophe, c'est celle au monoxyde de carbone, le CO.
Un poison pour l'organisme
«C'est la première fois que je fais des tests d'effort aussi faibles»
À l'hôpital Pellegrin de Bordeaux, le docteur Régis Bédry, toxicologue, décrit la composition de la fumée. «Elle est constituée de cendres, de matières chimiques et de monoxyde de carbone. C'est ce dernier qui attaque les poumons des pompiers. En cas de saturation de l'air par la fumée, ce gaz mortel vient se fixer sur les globules rouges et remplace l'oxygène, entraînant une asphyxie des cellules».
Indolore, incolore et sans saveur, c'est un poison pour l'organisme qui «encrasse les voies aériennes, à l'image d'un évier qui se bouche à force d'utilisation», ajoute le spécialiste.
Asthme, insuffisance respiratoire, les séquelles sont multiples. Christophe en a conscience, un mois après son dernier feu - celui de Saumos - il tousse encore, se sent vite essoufflé. Pratiquant l'apnée en club, il a vu ses performances chuter. «Mon médecin du sport m'a alerté, c'est la première fois que je fais des tests d'effort aussi faibles».
Des méga-feux voués à se multiplier
Plus inquiétant encore, selon un rapport de la Caisse nationale des agents des collectivités locales (CNRACL) relatif à l'impact de la fumée sur la santé des soldats du feu, un quart des cancers chez ces derniers sont pulmonaires. Une proportion qui tend à augmenter. De plus, les méga-feux qu'a connu la Gironde cet été sont voués à se multiplier dans les années à venir.
«C'est clair qu'on doit dorénavant prendre en compte le réchauffement climatique, les températures caniculaires et la sécheresse sont un terreau fertile pour les incendies», s'inquiète Christophe.
Le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) alerte sur ce point. Ils seront de plus en plus fréquents, et si rien n'est fait d’ici 2050, le nombre d'incendies incontrôlés pourrait augmenter de 30%.
«Je ne suis pas médecin, mais si on y est confronté tous les ans, je ne sais pas si on va faire de vieux os à la retraite».
«Les voies aériennes, c'est le talon d'Achille de notre équipement»
Quid de l'équipement des pompiers, censé les protéger ? Concrètement, il est composé d'une tenue de feu qui les protège des brûlures, d'une cagoule et d'un masque FFP3. «Mais il est vite saturé à cause de la chaleur, de l'humidité et des particules», explique le pompier.
Sur des incendies urbains, ils sont équipés d'un appareil respiratoire isolant (ARI) qui protège leurs voies aériennes sur une durée limitée, quinze minutes maximum. Approprié sur des feux ponctuels, «il ne sert à rien en forêt vu le temps de mobilisation donc on ne l'utilise pas. Les voies aériennes, c'est le talon d'Achille de notre équipement».
Une protection insuffisante alors que le danger guette, même après l'incendie. Il faut s'assurer qu'il ne reprenne pas, couper les arbres calcinés, déblayer, surveiller les terrains. Autant de missions pendant lesquelles «il y a encore des émanations de fumée venues du sol, et donc de monoxyde. Des malaises peuvent survenir à cause des vapeurs», précise le toxicologue.
Un suivi médical est toutefois organisé par le commandement nous assure l'adjudant, une large consultation est en cours auprès des pompiers engagés cet été.
Selon Christophe, «on doit tout réapprendre, retravailler nos techniques, réévaluer le dispositif, l’améliorer. On n'est pas décideurs, mais on espère qu’il y aura des évolutions pour mieux nous protéger».
Quand on l'interroge sur sa motivation, elle demeure intacte. Même s'il s'inquiète pour sa santé sur le long terme, sa réponse est catégorique: «Ça ne fait que renforcer ma vocation, je tiens à rester forestier».
«Sauver ou Périr» : la devise des sapeurs-pompiers n'a jamais autant pris sens que maintenant. Surtout quand il s'agit de porter assistance aux habitants sinistrés, dont la santé inquiète également les spécialistes.



Le docteur Régis Bédry, toxicologue à l'Hôpital Pellegrin de Bordeaux, a lui-même été évacué. © RP/MS
Le docteur Régis Bédry, toxicologue à l'Hôpital Pellegrin de Bordeaux, a lui-même été évacué. © RP/MS
Vivants à proximité des feux, les populations locales sont tout autant concernées par les fumées. Mais elles, n'ont pas de protection.
Landiras, 6700 hectares
Pourtant évacuée rapidement, Camille Fauvel, boulangère à Landiras s'est retrouvée sous Qvar. Utilisé en temps normal pour soulager l'asthme, ce médicament contient un corticoïde anti-inflammatoire qui agit sur les muqueuses, notamment celles des bronches. «Suite au passage de la fumée, j'ai eu des maux de gorge et de la toux. Je suis allée voir mon médecin et il m'a immédiatement prescrit ce traitement. Ça fait une dizaine de jours que j'en prends, ça va mieux mais n'étant pas du tout asthmatique, ça m'inquiète pour l'avenir». Si ses symptômes persistent, le docteur Bédry précise «qu'il est possible de faire de la kinésithérapie respiratoire afin d'aider les gens à bien cracher pour éliminer les résidus de cendres inhalés».
La Teste-de-Buch, 7000 hectares
En tant qu'habitant de Noaillan, Régis Bédry lui-même a été évacué une semaine lors du feu de la Teste-de-Buch. «Le premier soir je me suis rendu chez un ami à Bordeaux. Je ne suis pas fumeur mais j'ai toussé comme un malade toute la nuit. Les personnes vulnérables ont dû souffrir».
Hostens, 7400 hectares
Les fumées peuvent rester plusieurs semaines sur les murs des habitations, tout comme les odeurs de brûlé. Florence Fortuna, habitante d'Hostens, en a fait l'amère expérience. «J'ai l'impression d'avoir un nuage de fumée en permanence chez moi». La trentenaire n'a jamais fait d'asthme de sa vie et n'est pas fumeuse. «J'ai eu une bronchite aiguë et j'ai encore la gorge très sèche. Je dois revoir mon médecin prochainement, il m'a confié une très forte hausse des visites liées à des gênes respiratoires».
Dans le scénario climatique le plus pessimiste, les experts du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) prévoient une augmentation mondiale des méga-feux pouvant atteindre 50 % d’ici la fin du siècle.
Selon les mêmes experts, nos gouvernements ne sont pas préparés. Fait rare, le nord de la France a également connu son lot d'incendies cet été.
Les paysages ruinés par les flammes deviendront alors ordinaires, à l'instar des complications pulmonaires chez les premiers concernés : habitants et pompiers.
*prénom changé, le pompier souhaitant rester anonyme