Foyers catholiques
Qui sont ces jeunes qui y vivent ?
À la maison Saint-Louis Beaulieu de Bordeaux, 18 étudiants partagent un quotidien rythmé par les études et la vie religieuse. Depuis plusieurs années, les foyers catholiques se multiplient dans la région bordelaise. Intérêts économiques et pragmatisme immobilier se mêlent aux envies spirituelles.
Une grande porte vitrée automatique accueille le visiteur dans cette maison de Dieu. Moderne, le hall d’entrée et son grand comptoir de renseignements surprend. Un second sas. Le cloître de la maison Saint-Louis Beaulieu dévoile une multitude de voûtes et une fontaine en son centre. La pénombre saisit les lieux. De faibles spots lumineux jaunâtres éclairent les pierres poreuses.
Rénové il y a une dizaine d’années, le bâtiment compte un hôtel, un restaurant, des salles de réunion, une bibliothèque et même une antenne de la radio chrétienne francophone. Style art-déco et design moderne s’y côtoient. Le foyer étudiant se trouve au deuxième étage pour les garçons, au troisième pour les filles. Un interminable escalier y donne accès.
L'escalier de style art-déco amène les étudiants jusqu'à leurs étages
L'escalier de style art-déco amène les étudiants jusqu'à leurs étages
Chez les filles, fajitas, partage et fraternité
Derrière la porte battante, un couloir, presque sans fin. Sur la droite, une porte tous les 5 mètres et en face, par mimétisme, la même chose. Rapidement, une odeur de volaille en cuisson emplit les narines. Des discussions lointaines se font entendre. Il semblerait qu’elles émanent de la cuisine.
Comme tous les mardis à 20h, Alix, Clémence, Zoé, Lucille, Édith, Edwina, Diane et Eugénie se réunissent autour d’un repas. Ce soir, Jean-Marie et Marie-Frédérique, l’un des deux couples encadrant du foyer Saint-Louis Beaulieu, se joignent à elles pour ce moment de convivialité. « Les filles cuisinent le plat et nous, on ramène le fromage et le dessert », détaille Marie-Frédérique en sortant du raisin de son sac de course. Aujourd’hui, c’est au tour de Lucille et Clémence de préparer le repas. Au menu : fajitas. Alors que les poivrons finissent de chanter dans la casserole, le poulet cuit reste au chaud sur la plaque d’à côté. Les assiettes, vides, patientent.
Les filles se rassemblent autour de la table. S'ensuit un moment d’écoute quand Jean-Marie s’adresse à elles. Il récite une courte prière de remerciement et toutes répondent « Amen ». Le bal des couverts peut alors commencer avec comme pièce maîtresse, la valse des plats. Quand l’une s’est servie en emmental, le bol s’évapore rapidement pour rejoindre les mains d’une autre et ainsi de suite jusqu’à obtenir un mélange équilibré, coloré et satisfaisant sur sa galette pour pouvoir la savourer.
Chacune se présente et donne la raison de sa présence ici, parfois prise de court, n’ayant pas fini leurs bouchées. Pour Alix, étudiante à Sciences Po Bordeaux, c'est avant tout le mode de vie qui a motivé sa venue au foyer : « J’avais vraiment envie de retrouver ce côté communautaire », explique-t-elle.
Vivre au foyer Saint-Louis Beaulieu, c’est aussi synonyme d’autonomie et d’indépendance, selon Marie-Frédérique. Chaque étudiante dispose de sa propre chambre avec lit simple, bureau, toilettes et salle de bain aménagée. « Notre indépendance, on l’a aussi », souligne Eugénie. Lorsqu’elles doivent résumer l’atmosphère du foyer en quelques mots, elles s’accordent sur : partage, joie, bienveillance, famille et fraternité.
Les questions s’enchaînent de manière hachée, ponctuées par des silences. Les réponses, quant à elles, sont données avec une certaine retenue. Conséquence probable de la présence de Jean-Marie et Marie-Frédérique, comme le confira l'une des étudiantes.
Arrive la fin du repas avec le fromage, le pain et le raisin suivis de la cerise sur le gâteau, les fameuses pâtes de coings maison d’Édith.
Au foyer, la vaisselle, c’est collectif. Tout le monde s’y colle hormis Lucille et Clémence, exemptées. À mesure que la pile de vaisselle sale diminue, la cuisine se vide. Retour au travail pour certaines, sortie à la fête foraine pour d’autres. Avec Édith, la discussion continuera autour d’une tisane.
Chez les garçons, pâtes au pesto, spiritualité et convivialité
Un étage plus bas, chez les garçons, du rap raisonne dans le couloir. L'enceinte s’interrompt instantanément une fois la porte ouverte. À gauche, de la lumière se dégage de la cuisine, de l’agitation aussi.
Sur la table, une marmite déborde de pâtes au pesto « façon italienne ! », s’exclame Alfonso. L’étudiant espagnol en Erasmus à Bordeaux est passé par l’Italie l’année dernière. Au-dessus, un crucifix veille sur la pièce. La vierge, elle, est installée au-dessus du micro-ondes.
Autour de la table, les neuf étudiants pensionnaires du foyer attendent derrière leur chaise. Benjamin fête ce soir-là ses 21 ans. Il récite les bénédicités : un signe de croix, quelques phrases pour bénir le repas, un second signe de croix. Tous les mardis, c’est le même rituel. Le dîner est préparé par un binôme de pensionnaires et l’un des deux couples encadrants s’invite à la table. Cette fois-ci, Marie est seule, son mari est empêché..
Une vie en communauté
La vie en communauté, c'est ce qui a poussé ces jeunes à franchir la porte de la maison : « La base du foyer, c’est de vivre avec les autres. Au-delà d’une colocation, c’est un engagement, tout le monde a envie de construire quelque chose ensemble », argumente Aymeric, le seul de l’étage à vivre ici pour la deuxième année consécutive et qui se fait porte-parole naturel des garçons. Un avis partagé par Hugo, 18 ans, étudiant en école d’ingénieur aéronautique : « C’est une très grosse coloc’. Mais il y a beaucoup d’ambiance, c’est bien ! » Benjamin renchérit : « Quand on est ici, on essaie de ne pas s’isoler. On mange chacun notre repas, mais on est ensemble. »
En plus de l’aspect collectif, le partage de la foi est, pour eux, au cœur de leur bonne entente : « Je trouvais ça hyper important de construire des relations dans la foi. C’est un lien qui nous unit », explique Aymeric. Alfonso va plus loin : « L’Erasmus, on connaît tous sa réputation. Et même si c’est génial, qu’il y a parfois des excès et que ça te change, avoir dans ton intimité, dans ta maison, des personnes pour structurer ton expérience, c’est une chance. » Outre le partage religieux, le cadre chrétien est rassurant pour les étudiants et leur famille : « Je ne savais pas si j’allais être autonome tout de suite », confie Benjamin. Pour beaucoup, ce sont d’ailleurs leurs parents qui leur ont soumis l’idée.
Paul a quitté son « cocon familial » au lycée pour rejoindre un établissement supervisé par la communauté religieuse des Dominicains. Cette expérience l’a « beaucoup aidé pour progresser dans [s]a foi », lui dont les parents sont « catholiques de tradition ». Il affirme avec franchise : « Moi, à l’origine, ce n'était pas du tout le social. J’avais mon projet. Mais le foyer m’a beaucoup aidé socialement. »
Un aspect plus pratique et pragmatique ? À ce sujet, les discours sont d’abord timides. Loup reconnaît toutefois : « Ça s’est fait comme ça quoi ! C’est ma mère qui a trouvé ce foyer par ses contacts. C’était le mieux, bien placé et sans semaine de retraite [spirituelle]. » Pour lui, l'aspect religieux n’était « pas une motivation. Ça ne me dérange pas, je suis catholique aussi, c’était un plus. » D’autres, admettent aussi que cette facilité dans la recherche d’appartement a pesé dans la balance
Après avoir soufflé les bougies et chanté un joyeux anniversaire à Benjamin au rythme de la guitare, comme chez les filles, c'est autour de l’évier et de la pile d’assiettes que la soirée se termine.
De gauche à droite : Marie, Jean-Marie et Marie-Frédérique Perrier, les encadrants du foyer
De gauche à droite : Marie, Jean-Marie et Marie-Frédérique Perrier, les encadrants du foyer
Sur la métropole bordelaise, cinq foyers catholiques proposent de loger des étudiants en formation. Dans ces établissements, les places sont limitées. Entre 7 et 18 chambres individuelles sont disponibles à la location mensuelle.
Ce dispositif est proposé par le diocèse de Gironde et place la spiritualité au centre du quotidien des jeunes. Des établissements qui questionnent la volonté de l'institution : est-ce là l'opportunité pour l'Église de maintenir ces jeunes adultes dans le giron catholique ? Marie-Frédérique est formelle : « Ce n’est pas avec des foyers de 18 ou 20 personnes que l’Église catholique va perdurer. Les foyers sont des pastilles qui forment la communauté catholique et les jeunes en font partie. »
Mais la réalité est là, « on voit des foyers dans Bordeaux qui se développent », constate Jean-Marie Perrier. « La paroisse prend conscience qu’il y a une difficulté de logement et elle se dit : "on a un patrimoine, on voit ses jeunes qui ont du mal à se loger, est-ce qu’on ne peut pas faire quelque chose ?" ». En mars dernier, l'Église bordelaise a inauguré un méga-campus catholique dans le quartier de Belcier, à proximité de la gare Saint-Jean. Il compte 1300 étudiants, une école d'ingénieur, le siège du diocèse et un foyer de 80 lits.
Une offre grandissante de logement à prix modéré, ici le loyer est fixé à 490 euros pour une chambre entre 15 et 22 m², qui peut s’avérer attractive pour de nombreux étudiants souhaitant se loger sur Bordeaux ou en périphérie. En contrepartie, les étudiants doivent s'investir dans la vie de l'Église, en plus de leur participation aux dîners du mardi soir et aux laudes du jeudi matin.
Conséquence, les candidatures augmentent, « [Cette année] on a reçu une cinquantaine de demandes. Par rapport à l’an dernier, c’est un petit peu plus », informe Marie-Frédérique. Pour des raisons économiques ? Elle ne pense pas. « Ce n’est jamais mentionné dans leurs lettres de motivation parce qu’au démarrage, souvent, ils ne connaissent pas le prix », explique-t-elle. « Et franchement, quand on voit les profils, ce ne sont pas des familles dans le besoin. »
La sélection reste pourtant exigeante. Lettre de motivation, puis entretien avec le couple encadrant sont nécessaires pour tenter de décrocher une place au foyer Saint-Louis Beaulieu. « Avec celles et ceux qui ont le profil “catho” et scout, on ne prend pas beaucoup de risques, et encore... Avec une ou deux questions en plus, on arrive quand même à savoir la mentalité pour ne pas avoir de gens trop intégristes, trop fermés », précise Marie-Frédérique. Ces questions, elle refuse de les rendre public.
La spiritualité reste une condition sine qua non, comme l’explique Jean-Marie-Perrier : « Le diocèse demande que l'étudiant soit baptisé et qu’il y ait une volonté de foi, de questionnement. »
Édith
« Pour moi, c’était absolument fondamental de pouvoir aller à la messe, de pouvoir prier facilement et de pouvoir aller voir mon Dieu régulièrement »
La quête spirituelle
Pour Édith, 21 ans, et étudiante au pôle supérieur de musique de Bordeaux, la priorité était avant tout spirituelle : « Pour moi, c’était absolument fondamental de pouvoir aller à la messe, de pouvoir prier facilement et de pouvoir aller voir mon Dieu régulièrement », confie-t-elle. Un attachement à la spiritualité héritée de sa famille : « on a reçu une éducation religieuse. Ma mère était et est toujours très attachée à sa foi et j'ai plus tard, rencontré le Christ. » L’étudiante a rapidement trouvé chaussure à son pied puisque le foyer Saint-Louis-Beaulieu dispose, sur site, d’une chapelle.
Si elle le souhaite, elle peut aussi profiter d’un lieu consacré à la prière, l’oratoire, situé non loin de sa chambre.
Malgré tout, Édith n’occulte pas complètement l’avantage économique du foyer catholique. « Ce sont encore mes parents qui payent le loyer, donc je visais quelque chose de pas trop cher. […] Il y avait aussi très vite les enjeux de devoir visiter les appartements. Donc le foyer, c’était aussi la fiabilité »
Lorsqu’on la questionne sur sa journée type, l’étudiante prévient : « Tout le monde à des habitudes différentes, donc je ne suis pas forcément représentative du foyer ». Puis, elle poursuit « Ma journée idéale, c’est de me lever vers 5 h 45, d’avoir le temps de prier, et après je prends un temps d’étude, pour faire mes fiches, des mails administratifs. J’aime bien les faire le soir et les relire le matin avant mon petit-déjeuner. Ensuite, je pars en cours. »
Dernière d’une fratrie de quatre enfants, c’est la première fois qu’Édith quitte le foyer familial lyonnais pour les études. Alors, lorsqu’il a fallu se mettre en chasse d’un logement, s’est posée la question : logement individuel ou collectif ? Difficile de choisir pour Édith : « Ça faisait longtemps que j’habitais avec mes parents donc la solitude m’aurait plu. Ce n'était pas le côté vivre en communauté qui m’attirait le plus au foyer, c’était un plus. Mais au quotidien, je réalise que le côté fraternel est hyper important. Rentrer et savoir qu’il y a quelqu’un, c’est chouette ! »
Benjamin
“Aujourd’hui, je laisse ma croix apparente, maintenant je n'ai aucun souci à montrer que je suis croyant, là où il y a un an, je l’étais beaucoup moins”
Le retour à la foi
Benjamin a retrouvé le chemin de la foi l’année dernière : « Là où ça a pris une autre dimension c’est quand je suis parti vivre en Bretagne chez ma grand-mère. C’était différent, j’ai eu une autre approche de la religion avec elle. J’ai compris tous les non-dits que j’avais ».
Pour vivre pleinement sa spiritualité, l’étudiant de 21 ans exprime le besoin de la comprendre. C’est d’ailleurs aux côtés de ses camarades et des prêtres rencontrés entre les murs de maison Saint-Louis Beaulieu qu’il poursuit cette quête.
Celui qui se rêve architecte a grandi dans une famille catholique avec la messe dominicale comme rendez-vous hebdomadaire. Il confie toutefois : « J’y allais parce que c’était obligatoire, sans me poser plus de questions que ça. »
Puis, au collège, il s’est éloigné de l’Église et a délaissé progressivement sa pratique religieuse.
Au foyer, Benjamin retrouve « ce côté familial comme quand je rentrais chez mes parents. » Une famille à l’écoute et unie par la religion. « Je n'ai plus l’impression d’être un alien et d’être le seul jeune qui va à l’église », poursuit-il. Avec ses colocataires, ils se sont même installé une salle de musculation dans le salon.
Avant de fréquenter le foyer, il n’avait qu’un seul ami avec qui il allait à la messe et parlait religion. « Aujourd’hui, je laisse ma croix apparente, maintenant je n’ai aucun souci à montrer que je suis croyant, là où il y a un an, je l’étais beaucoup moins. »
Au-delà de la dimension spirituelle, Benjamin s’émancipe et se découvre d’autres passions : « Certaines filles m’ont appris à danser, d’autres me font développer ma culture musicale. »
Il résume avec franchise : « Non, il n’y a pas que du Jésus, j’ai appris beaucoup de choses grâce à la diversité apportée par chacun au foyer. »
Pour toute demande d'information concernant cet article, veuillez joindre les deux rédacteurs, Noa Darcel et Damian Cornette