Derrière une augmentation des IVG dans le pays, un accès difficile en Gironde

Au Planning familial bordelais, les militantes comme Colette informent les femmes sur leur accès à l'IVG

Au Planning familial bordelais, les militantes comme Colette informent les femmes sur leur accès à l'IVG

Le rapport sur la sexualité des Français, paru à la mi-novembre, indiquait une augmentation du nombre d’interruptions volontaires de grossesses : au niveau local, ces chiffres cachent un droit encore entravé pour les femmes.

Cachées par la vitrine opaque du planning familial girondin, une poignée de silhouettes de tout âge s’affairent dans le bureau : elles préparent la manifestation du 25 novembre 2024 contre les violences faites aux femmes, écrivent des slogans, dessinent des pancartes et cherchent le mégaphone. Une jeune fille hésitante passe la porte et répond à la militante rodée qui l’accueille : « Comment puis-je vous aider ? » « C’est pour faire un test de grossesse ».

Annie Carrarretto, co-présidente du Planning Familial Girondin, se détache du groupe pour expliquer sa vision de l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans le département. Le 13 novembre, l’enquête sur la sexualité des Français réalisée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a défrayé la chronique. Mais derrière la baisse de la pratique sexuelle qui fait frémir notre Président, un autre chiffre se cache : celui de l’augmentation des grossesses non désirées, et donc du nombre d’IVG.

Parmi les dizaines de pages de l’exhaustif rapport, on peut donc lire ceci : 37,4% des grossesses survenues dans les cinq dernières années sont non désirées, contre 28,9% en 2016. En découle ainsi une augmentation des IVG de 13,9% en 2016 à 16,8% en 2023.

« En Gironde, la grosse question est la concentration des moyens sur Bordeaux et la métropole, explique Annie Carrarretto, quand on s’éloigne dans le territoire rural, les femmes se retrouvent en grande difficulté, elles doivent se déplacer et ce n’est pas toujours évident. » L’accès aux IVG dans le département est un sujet délicat pour les associations : selon l’enquête de l’ARS en 2017 sur le sujet, seulement onze centres sont disposés à réaliser la méthode par aspiration sur le territoire girondin. « Pour les femmes, ce manque d’accès provoque un coût psychologique et financier », ajoute la fervente militante.

Un accès contrasté dans le département

Depuis le 2 mars 2022, le délai pour réaliser une procédure d’interruption est passé à quatorze semaines pour une pratique par aspiration, contre neuf pour la médicamenteuse. « Il y a, en Gironde, des médecins qui refusent de pratiquer l’IVG » décrypte la co-présidente du Planning, « quand les patientes viennent se renseigner, il y a beaucoup d’écueil et de perte d’informations, des médecins qui font écouter le bruit du cœur, de la désinformation, de la culpabilisation… » Les professionnels de santé peuvent selon l’ARS pratiquer l’IVG médicamenteuse en médecine de ville « après signature d’une convention » : en 2017, ils sont plus d’une soixantaine à l’avoir fait.

Pourtant, l’accès aux procédures reste disparate sur le territoire : « il y a quelques mois, il n’y avait que trois gynécologues dans le Médoc » indique Marie-Pierre Ribéra, « seulement un pratiquait l’IVG médicamenteuse. » La vice-présidente de l’association ACV2F, qui lutte contre les violences faites aux femmes depuis quinze ans, complète : « il faudrait se mettre plus au service des femmes, qui sont victimes à la fois de précarité et d’un manque de mobilité. Nous avons dû accompagner une jeune femme jusqu’à Bordeaux, lui payer une nuit d’hôtel pour qu’elle puisse se rendre seule au centre. »

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Dans le rapport de l’ARS, écrit en toutes lettres : « le manque de médecin pratiquant les IVG instrumentales, et le délai de programmation en bloc opératoire sont deux freins essentiels à l’offre de soins d’IVG instrumentales en Nouvelle-Aquitaine. » Le tout, complété par de nombreux établissements qui refusent de prendre en charge les femmes enceintes de 12 à 14 semaines, « fixant leur propre limite de terme », réduisant encore le délai possible de recours à la procédure.

A ce sujet, la co-présidente du Planning à des revendications à émettre : « on a un président qui s’affiche ouvertement européen, mais qui n’a pas aligné les délais d’IVG sur les pays les plus progressistes, qui sont à 22 ou 24 semaines. » C’est le cas des Pays-Bas, qui ont fait passer le délai légal de recours à 24 semaines. On y trouve des cliniques qui accueillent les femmes étrangères « sans jamais les juger, et en toute discrétion », comme on peut le lire sur leur site internet. « Ça pousse des femmes à devoir aller à l’étranger pour le faire, pour nous, c’est un vrai sujet, car ça engendre une dépense financière et humaine. »

Des statistiques qui touchent surtout les moins de trente ans

« Au niveau local, je n’ai pas vraiment ressenti cette augmentation du nombre d’IVG », confie Annie Carrarreto. « Ça reste des chiffres normaux, dans le sens où la plupart des femmes qui ont recours à l’IVG aujourd’hui ont une contraception ». Pourtant, la Nouvelle-Aquitaine cumule 7.4% des IVG réalisées au niveau national, et une majorité de ces grossesses non désirées surviennent sur une population jeune. Selon l’enquête de l’ARS réalisée en 2017 à l’échelle de la région, les femmes entre 20 et 29 ans sont les plus concernées par le recours à l’IVG.

Source : rapport de l'ARS sur l'accès à l'IVG en Nouvelle-Aquitaine, 2017.

Source : rapport de l'ARS sur l'accès à l'IVG en Nouvelle-Aquitaine, 2017.

Derrière cette fourchette, entre autres, un changement de mentalité autour des contraceptifs : « il y a de la méfiance chez les jeunes envers les contraceptifs aujourd’hui, et la pilule du lendemain est disponible partout, elle est très facile d’accès et utilisée » explique Colette, militante depuis une dizaine d’années au Planning de Bordeaux.

Une évolution qui devra aller de pair avec un développement sur le territoire de l’accès à l’IVG et un maintien des centres d’orientation comme le planning familial bordelais, encore menacé cette année par un retrait de subventions.

Alix Villeroy