Dans les pas
d'Álvaro Siza Vieira

De renommée internationale, l’architecte portugais Álvaro Siza Vieira est une figure incontournable de Porto. Depuis les couloirs de l’école d’architecture jusqu’aux quartiers de Bouça et São Victor, son héritage est à la hauteur du culte qu’on lui voue.

Dans une salle de classe de la Faculdade de Arquitectura do Porto, ordinateurs, dessins, maquettes et crayons se mélangent. « Álvaro Siza ». À l'appel de ce nom, les traits fermés de Luís Viegas se détendent. La magie vient d’opérer. Professeur et architecte, il débute l’entretien : « Álvaro Siza est tellement important pour nous. » L’ancien étudiant et collaborateur de Siza pendant sept ans est encore marqué par les savoirs du Prix Pritzker d'architecture de 1992. « Il est la dimension originelle de l’école de Porto. »

L’ombre d’Álvaro Siza, âgé de 89 ans, plane sur l'institution et ne s’arrête pas qu’à ses portes. Elle imprègne la ville et ses alentours. Son œuvre traverse Porto et laisse une marque, un héritage indélébile. 

Les étudiant·es de la faculté d'architecture s'inspirent de Siza.

Les étudiant·es de la faculté d'architecture s'inspirent de Siza.

Luís Viegas, professeur à la faculté d'architecture de Porto.

Luís Viegas, professeur à la faculté d'architecture de Porto.

Construire en lien avec la nature

C’est son travail pour la Casa de Chà da Boa Nova (1958-1963), pour l’agence de Fernando Távora, qui révèle les caractéristiques du travail d’Álvaro Siza. Le salon de thé, situé sur la rive de la freguesia (banlieue) de Matosinhos, à Leça da Palmeira, s’implante parfaitement dans le paysage. Le bâtiment, comme incrusté dans la roche, semble sortir de terre. « Nature et esprit se mélangent. Avec ce bâtiment, Álvaro Siza réalise une expérience unique », explique Luís Viegas. Tourné vers l’Atlantique, bercé par le chant des oiseaux et le bruit des vagues, l’édifice crée une ambiance intimiste. 

Álvaro Siza intègre son œuvre en respectant l’environnement qui l’entoure, c’est ce qui fait la singularité du travail de l’architecte. Il s'immerge, prend du temps sur les lieux, appréhende le territoire, résume Luís Viegas. « Cela rend son travail unique » insiste Hugo, étudiant franco-portugais en quatrième année d'architecture. 


« La relation entre la nature et la construction est décisive en architecture. Cette relation, ressource permanente de tout projet, est pour moi une obsession. »
Álvaro Siza Vieira

À la Casa de Chà da Boa Nova, l’ensemble des matériaux utilisés sont locaux et traditionnels, là encore une caractéristique singulière de Siza. Pionnier du régionalisme critique, selon les théories de l'architecte et historien britannique Kenneth Frampton, Álvaro Siza utilise les savoir-faire locaux et l’artisanat portugais pour concevoir ses projets. Il les combine à une approche moderne avec des lignes épurées, dont le blanc est la couleur dominante. Son travail s’oppose alors subtilement aux codes architecturaux imposés par la dictature de Salazar (1933-1974).

© Dessins réalisés par Hugo Vitorino

© Dessins réalisés par Hugo Vitorino

Casa da Chà do Boa Nova
1958-1963

Faculté d'architecture de Porto
1986-1996

Piscina das Marés
1961-1966

Musée d'art contemporain Serralves
1991-1999

Sous l’œil du maître

Hugo, étudiant franco-portugais en Erasmus, évoque « un mode de création révolutionnaire très visible à la faculté ». Ici, l'empreinte Siza est omniprésente. Des façades à la librairie, en passant par les jardins et les salles de classe, Álvaro Siza a tout dessiné dans les moindres détails, jusqu'aux cendriers. « Nos professeurs nous disent souvent, regardez votre université, regardez ce qu’il a fait », glisse Joana, étudiante en troisième année.

Une identité forte et assumée, qui fait aussi la renommée de l'école. « On ne parle presque que de lui ! », s’exclame Rita, étudiante en troisième année, à l’évocation du maître. « Comment est-ce qu’on fait une fenêtre, un escalier… À chaque fois, il y a au moins un exemple Siza. »

Un apprentissage presque monosourcé, comme le souligne Hugo : « Ici, ils l’adulent, aussi parce qu’ils ne connaissent pas autre chose. » Un véritable culte.

Visite guidée de l'école d'architecture de Porto

Une relation particulière au dessin

Dans les couloirs de l’institution portuane, des dessins d’étudiant·es tapissent les murs. Accrochés sur de grands panneaux blancs, une multitude de visages esquissés au crayon noir se répondent. Une culture du dessin au trait héritée de Siza.

De ses années beausardiennes, Álvaro Siza – dont le génie dépasse pour tous celui de son gendre, Souto de Moura –, conserve une forte attache au crayon. Luís Viegas, chargé de projet à l’école d’architecture, insiste, admiratif de cette méthode de création : « Ce qu’il introduit d’une forme spectaculaire, c’est la relation qu’il entretient avec son dessin, et sa manière d’imaginer le monde à travers lui. »

À São Bento, l'importance du dessin au trait, caractéristique d'Álvaro Siza :
il a conçu la station de métro du centre-ville de Porto en 1996.

Depuis ses cahiers A4, griffonnés de toutes ses idées, « il ne dessine pas seulement ce qu’il pense, il transforme en permanence », explique Luís. Ce processus de mutation le pousse à se challenger. Quitte à renoncer. Invité à rénover la Casa de Chá da Boa Nova le long de l’Atlantique, l’architecte portugais s’est finalement ravisé. Son ancien étudiant et collègue raconte : « Il a senti qu’un changement en entraînerait un autre, puis un autre et encore un autre. » La transformation était impossible.

L’architecture, il la pense comme une poésie : « Pour lui, substituer une seule parole à un poème revient à le faire s’effondrer. C’est pareil pour l’architecture. » Homme de peu de paroles, Álvaro Siza affectionne la rigueur des mots des poètes.

Et leur rend hommage à travers certaines de ses créations moins connues à Porto. En face de la Casa de Chá da Boa Nova, sous le soleil de Matosinhos, une pierre est incrustée dans l’herbe en mémoire au poète portugais António Nobre. Épurée et monochrome. À l’image des travaux du maître.

Siza a dessiné une plaque en hommage à António Nobre.

Siza a dessiné une plaque en hommage à António Nobre.

Quartier de Bouça
1973-1977

Une chambre est située en haut de chaque logement. Une autre au sous-sol. Les escaliers donnent sur la cuisine et la salle à manger.

La plateforme en béton au fond du quartier est pensée pour que les enfants puissent jouer et se retrouver après l'école.

Dans les rues du quartier de Bouça, l’empreinte de l’architecte continue. Tous les habitant.es le connaissent. Au cœur de ces logements sociaux, se trouve une cour en béton. Celle-ci permet le partage d'activités entre voisin.es. Par cette construction, Siza souhaite avant tout créer du lien.

Un mur a été construit a posteriori, pour créer une coupure avec le métro Lapa, passant juste derrière le quartier. Là encore, les espaces sont clairement définis.

Un héritage revendiqué

À Matosinhos, sa ville natale, Joana est architecte depuis 2015 au cabinet Barbosa & Guimarães dans le centre-ville. Passée par l’école d’architecture de Porto, la jeune femme se revendique made in Siza. « Quand nous avons un problème à résoudre sur une conception, on se demande tout le temps comment Álvaro Siza aurait fait dans cette situation. » 

Même son de cloche du côté de Luís, qui a évolué à ses côtés pendant 7 ans : « Travailler dans cette proximité avec lui a déterminé beaucoup de mes décisions et de mon cadre de travail. » Preuve éclatante de l'empreinte de Siza.

À Porto, Álvaro Siza n’est plus un simple architecte. Luís se risque même à dire qu’il est davantage un artiste, « qui pense avec la singularité d’un poète, d’un humaniste, d’un philosophe. » Une figure inspirante, que l’on ne souhaite surtout pas dépasser. Et dont on veut seulement suivre les pas.