Coronavirus : manuel de survie pour les maisons d’édition indépendantes
Maillons faibles de la chaîne du livre, les petites maisons d'édition peinent pour surmonter la crise après la fermeture des librairies à cause de la pandémie. Le report des publications, le pari numérique et le renforcement de la communication font partie des mesures pour pallier l'effondrement du secteur.

« Notre estimation de baisse du chiffre d’affaires pour cette année est de 70% », explique Charles Dujour Bosquet de la maison d’édition bordelaise de poésie, Abordo. La crise sanitaire du coronavirus a eu des conséquences dramatiques sur le monde littéraire, et particulièrement sur les petites structures, qui publient moins d’une dizaine de livres par an.
Leurs pertes sont surtout liées aux activités promotionnelles : « Le Printemps des poètes est un temps fort pour un éditeur de poésie. Nous avions prévu la promotion de nos derniers titres et notamment d’un ouvrage phare publié en 2019 à l’occasion de nos 10 ans d’existence ». Alors, l’enjeu pour ces maisons d’éditions, n’est pas la tant attendue rentrée littéraire de septembre, comme pour les grands groupes, mais bien les festivals, salons et marchés, qui cette année, n’auront pas lieu. « On ne dépend pas vraiment des rentrées littéraires. Dans la mesure où nous avons des sujets très pointus et choisis, ça nous permet d’être plus indépendants des rythmes éditoriaux et économiques. Je pense aux périodes de fêtes, au printemps », explique Louis de Gouyon Matignon, fondateur de LGM éditions, qui publie des œuvres engagées.
À l’inverse, d’autres maisons, bien installées sur les plateformes en ligne, ont su éviter le problème des pertes : « On a eu une ou deux commandes en librairie pendant la période de confinement, ce qui nous a un peu surpris. Et beaucoup plus en revanche sur internet, à chaque fois c’était plusieurs ouvrages qui étaient commandés à la fois », affirme le président de LGM éditions.

Charles Dujour Bosquet, cofondateur des éditions Abordo. Photo : Abordo
Charles Dujour Bosquet, cofondateur des éditions Abordo.

La maison d'édtion Abordo a décidé de reporter ses parutions. Photo : Abordo
La maison d'édtion Abordo a décidé de reporter ses parutions. Photo : Abordo
Des reports à la pelle
Selon une enquête menée par l’association L’autre livre auprès de 178 petits éditeurs indépendants, face à la crise sanitaire, 53% des répondants ont décidé de reporter à fin 2020, voire début 2021, la publication de leurs œuvres.
« Tout a été décalé », confirme Louis de Gouyon Matignon. Les éditions Abordo ont, elles aussi, décidé de « reporter trois ouvrages qui devaient voir le jour en juin et septembre 2020 ». Mis à part ces changements de calendrier, ces petites maisons d’édition ont du se réinventer. « Confinés ou pas, la réflexion sur notre activité se poursuit en permanence » explique Charles Dujour Bosquet. « Nous avons profité de ce temps pour mettre en ligne une série de vidéos en relation à notre dernière parution (Du Feu que nous sommes. Anthologie poétique, 2019), dans lesquelles des auteurs lisent leurs propres textes ».
Quelques aides, néanmoins, ont été mises en place, notamment par le Centre national du livre, qui a créé un plan d’urgence dont l’enveloppe s’élève à cinq millions d’euros, dont 500 000 consacrés spécifiquement aux maisons d’édition les plus fragiles. Les éditions Abordo ont déposé un dossier pour profiter de ces subventions et sont dans l’attente d’une réponse. Selon un sondage réalisé par le Syndicat National des Éditeurs (SNE) auprès des représentants de 250 maisons d’éditions, un quart déclare n’avoir sollicité aucun dispositif mis en place par le gouvernement, et une maison sur cinq a demandé à solliciter du fonds de solidarité national de l’État, une aide de 1500 euros réservée aux très petites entreprises (TPE).
Le choix d’un public fidèle
Le fondateur de LGM éditions nous raconte les spécificités de sa maison.
Dans ces maisons d’édition, le nombre de parutions est déjà très réduit. Il ne s’agit pas de réduire encore plus cet effectif, mais bien de le maintenir. La question du choix éditorial reste primordiale. Pour le futur, la maison d’édition Abordo constate que « la spécificité de ce type de littérature attire un public peu nombreux, certes, mais fidèle, en quête de quelque chose d’inédit, de rare. C’est cette dynamique-là que nous essayons de faire perdurer et d’amplifier dans la mesure du possible ». Dans le même sens, Louis de Gouyon Matignon observe que « la voie qui est choisie est celle d’avoir une spécialisation forte et beaucoup de communication ». Et bonne nouvelle, depuis la levée du confinement, les ventes en librairie ont augmenté pour LGM éditions.