Contraception "masculine" : un accès à l'info limité

Près de 9 femmes sur 10 portent seules la charge contraceptive. Pourtant, les hommes sont aussi concernés et ce ne sont pas les solutions qui manquent. Éclairages sur l’accessibilité à la contraception testiculaire*.
* Nous faisons le choix de parler de contraception « testiculaire » et non de contraception « masculine » pour inclure les personnes transgenres. Pour une question de facilité de lecture, nous employons le mot "homme" pour désigner toute personne ayant des testicules, et "femme" pour désigner toute personne ayant un utérus. Les personnes transgenres sont incluses dans nos propos.
Quand elle m'en a parlé la première fois, je n'ai pas vraiment percuté», confie Nico. Le jeune homme de 29 ans est en couple depuis presque trois ans avec Iscia. A 28 ans, elle a toujours assumé seule la charge contraceptive dans ses précédentes relations, sans le conscientiser. C’est en fouillant le réseau social Reddit en juin dernier qu’elle a découvert la contraception testiculaire. Nico, loin d’y être opposé, n’a pour autant pas forcément pensé qu’il pourrait être concerné tout de suite. « J’ai jamais voulu lui imposer. Je veux que l’envie vienne de lui aussi » explique-t-elle. La graine n’a pas mis longtemps à germer puisque le couple se rend au planning familial de Bordeaux trois mois après.

Cela fait 4 mois que Nico et Iscia transitionnent vers une contraception testiculaire. © JC
Cela fait 4 mois que Nico et Iscia transitionnent vers une contraception testiculaire. © JC
L’association Les Contraceptés a ouvert une permanence mensuelle collective d'accueil, d'écoute, d'accompagnement et d'orientation sur les contraceptions testiculaires il y a un an. L’objectif, informer via des témoignages et vécus d’expériences.
« Ce groupe de parole nous a permis d’ancrer dans le concret toutes nos recherches. Il y a un effet communauté qui rend la chose “normale” » explique Iscia, heureuse d’avoir trouvé un lieu ou «échanger avec des gens ». Et si la parole y est autant libre, c’est grâce à la bienveillance de tous les participants. La présence d'un professionnel de santé, ce jour-là le médecin généraliste Frédéric Leal, rassure. Les tabous laissés à l’entrée, les langues se dénouent. Jean-Vincent, membre de l’association et utilisateur de l’Andro-switch depuis plus de deux ans, répond aux questions tous les deuxièmes lundis du mois.
« Est-ce que ta libido en a pris un coup ? », « comment savoir si l’anneau est bien placé ? ». Et si le climat est si “safe”, c'est parce que les permanences se déroulent en petit comité. Ce jour-là, douze personnes étaient présentes dont huit hommes. Un chiffre qui varie : « Le mois dernier, on était tellement nombreux que j'ai du rajouter une deuxième rangée de chaises ! ». Une proximité naturelle naît entre les participants. A tel point que trois hommes s’éclipsent avec Jean-Vincent aux toilettes pour essayer l’anneau et en discuter sans tabou. L’occasion pour eux de pouvoir tester les différentes tailles et d’apprendre à bien le placer. « Plus qu’à choisir la couleur et on est bon ! » s’amuse Iscia.
« On est conscient que notre démarche fait encore figure d'exception »
Selon les chiffres du planning familial de 2020, sur 21 000 consultations autour de la contraception, 200 concernent la contraception testiculaire. Même si c’est trois fois plus qu’en 2018, la charge contraceptive repose encore essentiellement sur les épaules des femmes. La pilule, contraceptif le plus utilisé, est à la fois le symbole d’une libération pour les femmes à partir des années 1967, mais aussi à l’origine de nombreux maux pour celles qui l’adoptent. Problèmes de peau, de poids, impacts sur l’humeur et la libido, les effets secondaires peuvent être très handicapants. Aujourd’hui, ce n’est plus l’utilité de la contraception qui est à prouver mais bien son partage au sein du couple.
« Il y a peu d’options sûres et fiables »
Trois méthodes de contraception masculine sont certifiées par l’Union Européenne : le préservatif externe, la vasectomie et… le retrait lors du rapport sexuel. Les options sont vite limitées. Les méthodes chimiques et hormonales, comme la pilule, sont encore loin d’être opérationnelles et envisageables pour les concernés.
« Si ça avait été une contraception hormonale, je lui aurais même pas suggéré l’idée » confie Iscia, qui rejette toute méthode hormonale quelle qu’elle soit. Reste alors la contraception thermique, aujourd’hui disponible mais pas encore validée par les voies officielles. Le principe est assez simple : augmenter la température des testicules pour rendre les spermatozoïdes inactifs. Idem pour la technique, il suffit de porter un slip chauffant ou de remonter les testicules vers l’entrejambe grâce à un anneau, l’Andro-switch. Nico, pour qui « la chaleur est un frein », s’est tourné vers l’anneau.

Fermeture du canal déférent, ou vasectomie. Illustration © Korpo Real, créateurs d'outils éducatifs en santé
Fermeture du canal déférent, ou vasectomie. Illustration © Korpo Real, créateurs d'outils éducatifs en santé
L'Andro-switch : quesako ?
Maxime Labri, infirmier, fait partie de ceux qui ouvrent la voie à davantage de parité dans la contraception. En 2021, il crée l’Andro-switch : un anneau en silicone qui se glisse autour du pénis. Son résonnement est assez simple. Pour bloquer les spermatozoïdes, il faut les réchauffer. Son anneau permet de maintenir en position haute les testicules, au niveau de l’aine, et d’ainsi augmenter leur température d’environ 2°C. Ceux qui l’utilisent doivent le porter plus de 15 heures par jour. Jean-Vincent, qui l’a adopté depuis deux ans, explique que porter l’anneau « c’est quelque chose que [qu'il a] rentré dans [sa] routine. [Il] l’enfile tous les matins machinalement, c'est comme le brossage de dent ». Le seul hic : l’Agence nationale de sécurité du médicament l’a interdit à la vente fin 2021. L’Andro-switch devrait être certifié d’ici 2028.

Anneau de contraception masculine. Illustration © Jüne PLÃ – Jouissance Club
Anneau de contraception masculine. Illustration © Jüne PLÃ – Jouissance Club
Il existe cinq tailles différences d'Andro-switch. © JC
Il existe cinq tailles différences d'Andro-switch. © JC
« Très souvent, le rapport patient / médecin est inversé »
D’après le site internet Thoreme, véritable Bible de la contraception testiculaire, il existe deux freins principaux au développement de la contraception testiculaire, qui sont eux-mêmes très liés : l'absence d’information de la population et la méconnaissance au sein du corps médical. « La médecine française est paternaliste et très hiérarchisée, explique Frédéric Leal, le médecin de la permanence. De même pour l’industrie pharmaceutique : les patrons sont encore des mâles dominants ». Très souvent, le rapport patient/médecin est inversé : quand un patient vient parler de contraception testiculaire à son médecin traitant, celui-ci, dans la plupart des cas, n’en a jamais entendu parler. C’était notamment le cas de Jean-Vincent : son médecin ne connaissait pas l’Andro-switch.
Nico était dans le même cas. Sa compagne lui avait recommandé un généraliste avec lequel elle s’était sentie en confiance. « J’avais tout de même peur qu’il se fasse recaler, avoue la jeune femme. C’est dur de se faire juger, et il y a encore tellement de préjugés » . Nico, lui, était plus serein : « S’il n'avait pas été chaud, je serai simplement allé chez un autre médecin ! » Heureusement pour le couple, le médecin bordelais était ouvert à la demande de son patient, bien qu’il ne connaissait pas l’anneau contraceptif. Il a donc décidé de s’informer sur la méthode et sur son rôle, notamment via Thoreme ou encore les travaux réalisés au CHU de Toulouse. L’andrologue Roger Mieusset y est spécialiste de la contraception masculine. Il y a quelques années, il a lancé la mode du slip chauffant et était alors le seul médecin français à prescrire cette méthode.
« Il existe une liste de professionnels qui sont ok avec la méthode, raconte Iscia. Mais le médecin à la permanence nous a conseillé d’en parler à notre généraliste. Ça permet aussi de participer à l’information du corps médical ! » Évoquer à son médecin l’intention de passer à l’Andro-switch ne suffira cependant pas à ce qu’il accompagne le patient. « Ils ont tout à fait le droit de refuser, précise Frédéric Leal. Mais s’ils sont jeunes, en général, il n’y a aucun problème. Il suffit juste de les rassurer ! » Aujourd’hui, il propose constamment la contraception testiculaire à ses patients. « J’en parle à tout le monde au cabinet, y compris aux jeunes femmes seules ! ».
Le travail de sensibilisation des Contraceptés porte ses fruits : ceux qui assistent à la permanence sont de plus en plus nombreux à prendre rendez-vous après la séance. Pour ce professionnel de santé, la pédagogie reste l’outil le plus efficace pour lutter contre cette “non-information” dans la médecine. Il existe pour le moment deux formations à ce sujet pour le corps médical. Mais même lorsque les médecins sont informés, ils sont parfois en incapacité de répondre totalement à la demande de leur patient, en raison du manque de recherches sur ces types de contraception.
« Quand davantage d’études seront publiées, il y aura moins de contre-indications ». Si les recherches sur la contraception testiculaires sont encore minimes par rapport à d’autres sujets de santé, c’est « parce qu’économiquement, ce n’est pas intéressant pour l’industrie pharmaceutique » , explique Frederic Leal. Quant aux contre-indications, celles-ci relèveraient davantage du principe de précaution que de véritables risques.
Les risques, en revanche, se situent au niveau des fausses croyances. Ces rumeurs, plusieurs personnes présentes à la permanence les ont déjà entendues. Notamment celle-ci : « La contraception thermique, ça donne le cancer des testicules ! » Des informations accessibles et fiables permettraient de ne pas laisser circuler ces informations non fondées.
Concernant les autres moyens de contraceptions testiculaires, le cheminement n'est pas plus évident. Pour faire une vasectomie à Bordeaux par exemple, il faut noter que l’hôpital public Pellegrin ne la pratique pas aux personnes de moins de quarante ans. Les plus jeunes devront alors se tourner, après un délai de réflexion fixé à quatre mois, vers des cliniques privées, plus onéreuses. Quant aux solutions hormonales, « il faut se motiver, encourage Frederic Leal. C’est un sacré parcours. Ce n’est pas évident de trouver un médecin. »
« Les personnes à testicules sont actuellement sous médicalisées et les personnes à ovaires sur-médicalisées dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive » , peut-on lire sur Thoreme. Chez Iscia et Nico, cela se confirme. Avant, le jeune homme assurait n’aller jamais chez le médecin. Quant à Iscia, qui a déjà utilisé différentes contraceptions, elle a multiplié les rendez-vous gynécologiques depuis qu’elle est sexuellement active.

Pendant la permanence, des contraceptifs et des ressources documentaires sont à disposition des participants. © JC
Pendant la permanence, des contraceptifs et des ressources documentaires sont à disposition des participants. © JC
Pour les membres de la permanence, la résistance culturelle joue également un rôle majeur dans les difficultés d'accessibilité à la contraception testiculaire.
« Notamment chez les plus âgés, précise le médecin, alors qu’ils sont parfois davantage concernés. J’ai la cinquantaine, et je le vois au cabinet lorsqu’on évoque la vasectomie : les hommes de mon âge ont du mal à faire le deuil de leur fertilité, de leur paternité. »
Nico, lui non plus, n’est pas enchanté par la vasectomie. « A cause du côté irréversible, argumente-il, même si je ne veux pas d’enfants.»
Malgré les réticences sur cette opération, elle est de plus en plus courante : selon les derniers chiffres transmis par l’Assurance-maladie en 2022, le nombre de vasectomies remboursées en France a été multiplié par douze sur la dernière décennie.
Mais le tabou continue de persister, et avec lui, la méconnaissance sur ces modes de contraceptions. « Je me souviens de la première fois que j’ai fait un test IST, raconte Iscia. Au laboratoire, il y avait une grande affiche sur la contraception. Il n'y en avait que pour les femmes.» Finalement, c’est via internet et les réseaux sociaux que la parole autour de la contraception se libère.
Le couple n’a pas beaucoup eu l’occasion de parler de leur choix, mais la mère d’Iscia a tout de même été mise au courant. « C’est trop bien qu’un homme accepte ça ! » , s’était-elle étonné.
« C’est presque un acte militant » d’après Jean-Vincent, qui explique que les personnes qui viennent à la permanence ont plutôt des idées « pro-féministes ». Si Iscia se considère en effet comme féministe, ce n’est pas le cas de son compagnon. « Je le fais avant tout pour nous, explique-t-il en regardant Iscia. Après, si ça peut aider d’autres personnes, tant mieux. »
Cette volonté de vouloir faire 50 / 50 dans la charge contraceptive est un réel engagement. Et parfois, cela se traduit par une certaine appréhension pour les femmes. « Elles peuvent se sentir dépossédées et être obligées de faire confiance à leur partenaire, explique Jean-Vincent. Une solution, ça peut être le fait que les deux personnes se "contraceptent", au moins durant la période de transition ! Tout est fait pour faire porter cette charge à la femme » , poursuit-il. Mais à la permanence du planning familial, beaucoup d’hommes viennent seuls, parfois accompagnés par leur partenaire. « C’est déjà bien, ajoute-il. Ce serait embêtant s’il y avait des femmes seules ! » Pour Iscia et Nico, « c’était logique de venir ensemble. » Pour ce couple, le cheminement vers la contraception testiculaire est un travail d’équipe. C’est d’ailleurs Iscia qui connait la date du prochain rendez-vous de Nico chez le médecin : « Le 3 novembre ! »
Jean-Vincent raconte qu’en février dernier, le groupuscule d’extrême droite "Action Directe Identitaire” a tagué le mur du local : « Aujourd’hui stérilisés, demain pucés ? » . Les actions et prises de position en pro contraception du planning familial dérangent mais ces réactions sont loin de décourager les usagers et ceux en devenir. « Je ne vois pas pourquoi ça ne prendrait pas, surtout si les méthodes sont certifiées. Moi j’y crois! » optimise Nico.

Le planning familial de la Gironde est le premier a proposé une permanence mensuelle sur la contraception dite "masculine". La demande est grandissante. © JC
Le planning familial de la Gironde est le premier a proposé une permanence mensuelle sur la contraception dite "masculine". La demande est grandissante. © JC
Ressources et documentations

Livres et BD
- Les contraceptés, bande dessinée des journalistes Guillaume Daudin et Stéphane Jourdain.
- Le cœur des Zobs, bande dessinée et jeu de société de l'artiste Bobika.


Sites Internet
- Thoreme : site de référence sur les contraceptions testiculaires et notamment de l’Andro-switch.
- L'association GARCON : groupe d'action et de recherche pour la contraception.
- ARDECOM : association pour la recherche et le développement de la contraception masculine.

Permanences
- Spermanence : avec Maxime Labrit en visio
- Permanence contraceptions dites masculines : avec l'association les Contraceptés au planning familial