Cancers : au cœur de l'intime

Illustration : @jim_artime (instagram)

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Les victimes de cancer font face à une vie intime bouleversée. Quand les parties du corps liées à la sexualité sont touchées, il faut apprendre à accepter certaines transformations et se battre contre des séquelles invisibles. Retrouver une vie sexuelle fait partie de ce cheminement vers la guérison. 

L’histoire d’Eric ressemble à celle de beaucoup d’autres. Père d’une jeune fille issue d’une première union, la trentaine passée il rencontre la deuxième femme de sa vie. Le couple veut des enfants mais quelque chose ne va pas. Plusieurs batteries de tests plus tard le verdict tombe : Eric est atteint d’un cancer des testicules et ne peut pas éviter l’ablation. Pilote de ligne depuis plus de trente ans, l’homme est jovial et chaleureux. Il se dépeint en souriant comme un « gros mec, pilote, bien viril »


« J’ai eu de la chance car je n’ai pas eu à faire de chimiothérapie et  mon cancer a été détecté à temps. Physiquement je n’ai pas de séquelle non plus car j’ai une prothèse qui ne se sent presque pas. Mais certaines blessures sont invisibles.”


Nathalie, elle, n’a pas eu cette chance. A 47 ans, on lui diagnostique un cancer du sein. 4 enfants, un travail d’infirmière et une tumeur de 4 cm dans le sein gauche. Un combat de plus, pour cette femme déjà handicapée. Une hémiplégie lui paralyse une partie du côté droit du corps depuis la naissance. “J’aurais préféré avoir mon cancer à droite” ironise-t-elle. Si Nathalie parle de sa maladie avec beaucoup de recul, la pudeur de Dominique, son mari depuis 33 ans, est saisissante. "Il m'arrivait de m'arrêter au bord de la route et de crier " s'autorise-t-il à dire. Aucun aspect de la vie de couple n’est épargné par la maladie. 

Photo : Anaëlle Larue

Photo : Anaëlle Larue

Voir son corps en face

Eric explique sans détours que sa maladie a eu des effets sur sa sexualité : « Ça n’est pas venu tout de suite. Au bout de quelques mois j’ai commencé à cogiter et je me suis dit que j’avais besoin d’en parler. Je me sentais coupable de quelque chose ». Si la fonction sexuelle n’est pas altérée par la maladie ou par le traitement, il est possible de constater des troubles dans la sexualité à la suite de la chirurgie. Ils sont directement liés à l'angoisse occasionnée par la découverte du cancer. Elle peut être à l'origine d'une perte de confiance en soi et d'une image de soi dégradée. 

“J’ai l’impression que ce sein ne m’appartient pas “ avoue Nathalie.  Le plus difficile a été de faire ses propres pansements, sur demande de son médecin. “Je n’aurais jamais dû dire oui"  regrette-elle. “J’étais d’abord patiente avant d’être infirmière”. Elle ne voyait ni un sein ni une prothèse mais “une plaie béante, moche”.  

Une plaie de 15 cm de long et 2 cm de large. “48heures après la reconstruction, j’ai fait une hémorragie.“ ce qui lui  a valu un nouveau passage au bloc. “Puis deux mois de pansements, avec des hématomes, de la fibrine (jaunissement de la peau), une nécrose et un début de septicémie.” Aujourd’hui encore, quand elle se regarde dans le miroir, elle ne  perçoit pas de sein. Elle le ressent, par les douleurs fantômes. 

Heureusement, son mari Dominique a toujours été présent. “J’ai eu peur qu’il n’y ait plus de désir entre nous." se souvient-elle. "Mais j’ai vite été rassurée. Rien n'a réellement changé dans notre sexualité, je dirais même que le cancer nous a renforcés.”  Et Dominique d’ajouter “il n’y a pas que la poitrine qui compte chez une femme.”   

Photo : Anaëlle Larue

Photo : Anaëlle Larue

Un malade, deux souffrances

Les premiers jours de cicatrisation, Nathalie ne voulait pas que Dominique la regarde. “Avec la cicatrice j’avais peur qu’il n’ait plus cette notion de poitrine”. Cette crainte s’est dissipée quand son mari a commencé à masser lui-même la prothèse. Peur de lui faire mal au départ, confie ce dernier, mais le soulagement de pouvoir toucher sa femme. Le couple s’entend pour dire que les sensations restent les mêmes. Bien sûr, la prothèse n’a pas la mollesse d’un sein. Nathalie évoque une impression de “carton”. Le mamelon est dessiné. Reste l’odeur de la peau et la sensation d’être caressée.  


« Si j’ai tenu c’est parce que je n’ai jamais eu de doutes sur notre relation alors qu’elle aurait pu prendre ses jambes à son cou. Le plus dur pour moi a été d’apprendre que j’étais devenu stérile » (Eric)


Malgré la maladie, le couple souhaite toujours avoir un enfant et prend la décision d’avoir recours à la fécondation in-vitro par don de sperme. La compagne d’Eric se voit alors administrer un lourd traitement hormonal plongeant le couple dans une étrange situation où ce n’est pas le malade mais l’aidant qui subit un traitement. Se suivent pour Eric de longues périodes de doutes et d’appréhension quant au fait de devoir annoncer le jour venu qu’il n’est pas le père génétique de ses enfants. 

Photo : Anaëlle Larue

Photo : Anaëlle Larue

"Mon image de femme, je me la suis ré appropriée seule"

Après des mois de bataille contre la maladie, Nathalie n’a qu’une obsession : se sentir bien dans un décolleté. “Je n’ai jamais voulu montrer que j’étais malade.” Une fois la cicatrisation terminée, l’ex-infirmière arbore une robe très décolleté avec une bretelle en moins au mariage de son frère. “On s’attache aux petits détails” dit-elle en souriant. Quand ses amies vantent leur poitrine généreuse, Nathalie se sent un peu à part. “Etant bien dans ma sexualité, je relativise. Mais je ne cache pas être atteinte par ces discours”.  

Photo : Anaëlle Larue

Photo : Anaëlle Larue


54 064 femmes touchées par le cancer du sein chaque année


Le cancer du sein est le plus répandu des cancers féminins. Chaque année, il touche 54 062 femmes. Près d’une femme sur neuf sera concernée dans sa vie. Si  moins de 10% des cancers surviennent avant 40 ans, les suivis gynécologiques sont préconisés dès 25 ans en cas d’hérédité. La palpation régulière des seins est le premier moyen de détecter la présence d’une tumeur. 

Si Eric est aujourd’hui totalement guéri et qu’il n’a pas de séquelles physiques apparentes, il continue d'y penser tous les jours en regardant ses enfants grandir, avec parfois la larme à l'œil. Comme beaucoup d'hommes, Eric pensait que les cancers masculins se limitent à celui de la prostate après 50 ans.


Souvent tabou chez les hommes, le cancer des testicules touche majoritairement des patients entre 15 et 35 ans. 


Beaucoup de malades sont diagnostiqués trop tard car peu de jeunes hommes souhaitent consulter un médecin pour une simple douleur aux testicules. Ce fut le cas d’Eric qui n’aurait jamais pensé que ces petites douleurs qu’il avait pu avoir plus jeune pouvaient être à l’origine de son cancer. « Si j’avais su à l’époque, j’aurais pensé à conserver mon sperme au cas où dans un laboratoire. Donc petit messages pour vous les gars, ça coûte le prix de quelques bières mais ça vaut le coup ! »