Bordeaux, capitale française du skate-urbanisme
Un an après la mise en place de l’expérimentation Skate(z) zen, la mairie bordelaise prépare des projets de skate-urbanisme, inédits en France. Une véritable révolution de l'espace urbain.

Les skateurs/euses de Bordeaux sont en passe de réussir leur meilleure figure, un saut à 180 degrés.
Après avoir réussi à démocratiser la pratique du skate à Bordeaux, les amateurs/rices de la planche à roulettes ont à cœur de pousser leur collaboration avec la mairie plus loin. Nouvel objectif : aménager des espaces où l'on peut aussi bien « rider » que lire son livre du moment sur un banc. Repenser la ville pour mieux l'exploiter, un objectif de taille pour celles et ceux qui étaient encore indésirables sur les places bordelaises, il y a de ça quelques années.
Une intégration difficile du skate en ville
Léo Valls, skateur star made in Bordeaux, rappelle qu’avant les premières médiations avec la mairie, « la police distribuait des amendes à longueur de journée aux skateurs », qui devaient s’acquitter de la somme très dissuasive de 70 euros. Des panneaux disséminés sur les places les plus fréquentées annonçaient la couleur : le skate n’était pas accepté n’importe où en ville.
Une pratique mal intégrée alors même que la ville de Bordeaux a bonne réputation dans le petit monde du skate. Nael, étudiant de 21 ans arrivé à Bordeaux il y a deux ans, confie que « Bordeaux est vue comme un paradis du skate, parce qu’il y a des super places et revêtements pour rouler ». Face à un engouement grandissant des skateurs/euses français.e.s et étranger.e.s pour la ville aquitaine, la mairie bordelaise décide finalement d'ouvrir un espace de discussion avec les principaux/ales intéressé.e.s, début 2017.
Skate(z) zen, l'expérience d'un second souffle
Depuis février 2017, une médiation entre la mairie de Bordeaux, l’association Board’O et les skateurs/euses de la ville a débouché sur l’ouverture des grandes places bordelaises à la pratique du skate, à horaires fixes. Les mercredi et samedi, de 11h à 20h, ces lieux de passage deviennent les terrains de jeu « zen » des skateurs/euses. Le mot d’ordre de l’expérimentation : le dialogue. Une plateforme en ligne sur le site de la mairie permet à quiconque le souhaite de donner son avis sur le projet.
En mai 2017, la ville va plus loin et recrute deux jeunes en service civique pour faire la passerelle entre riverain.e.s et skateurs/euses sur les lieux de l’expérimentation.
Parvis des Droits de l'Homme
Mercredi, 17h54
Riverain.e.s et skateurs/euses investissent un même lieu, grâce à Skate(z) zen

Un an plus tard, le bilan est plus que positif, à tel point que le magazine de la ville fait sa couverture d'octobre sur la figure du projet, Léo Valls. Ce skateur de 32 ans n’hésite pas à mettre en avant les apports « humains » de cette expérimentation qui a « permis de sensibiliser les plus vieux à la pratique et de créer un vrai esprit de communauté, avec le respect qui l’accompagne ».
Lorsqu’on se balade sur les places bordelaises aux horaires de Skate(z) zen, on croise des skateurs/euses de tous âges, de tous horizons. La pratique du skate « reprend son sens originel » selon Naël, « on investit la rue et on crée des groupes, on s’apprend, on se filme, on partage ». En clair, le skate permet de créer du lien social en ville.
Tom Dick, skateur de 24 ans, et médiateur du projet, explique en quoi ces espaces sont plus importants que les skateparks, pourtant très appréciés à Bordeaux. Selon lui, « le skatepark c’est un lieu où tu t’entraînes simplement, mais c’est un espace clos. Dans la ville, tu te sens libre et tu fais tes figures avec tes copains, sous les yeux de tout le monde, tu te fonds dans la ville ».
Originellement une pratique de rue qui s’approprie l’espace urbain, le skateboard a su trouver un compromis dans la ville de Bordeaux en investissant des spots urbains, à horaires fixes pour les grandes places.



Le skate-urbanisme comme politique socio-urbaine
Depuis Skate(z) zen, les mentalités ont changé, les envies aussi. La mairie, toujours en collaboration avec Léo Valls, souhaite intégrer du skate-urbanisme dans ses plans urbains. Il est question de rénover certaines places comme la place de la République d’ici 2019 pour y créer des « espaces de partage » selon Léo Valls, « un peu comme il y a déjà à Malmö, où chaque élément peut être utilisé par un passant, un skateur, un cycliste, tout le monde ».
La ville de Malmö, en Suède, a déjà intégré des projets de skate-urbanisme, en créant de véritables terrains de jeu pour les skateurs.euses, mais pas que.
La ville de Malmö, en Suède, a déjà intégré des projets de skate-urbanisme, en créant de véritables terrains de jeu pour les skateurs.euses, mais pas que.
La prochaine étape est donc celle d’une véritable république urbaine, où chacun.e, skateur/se ou non, pourra se mouvoir dans un espace conçu pour avoir de multiples usages. Et ça, aucune ville française n'y a encore pensé.
Si la mairie de Bordeaux s’investit autant dans les projets de skate-urbanisme, c’est avant tout, selon Léo Valls, « pour donner une image de dynamisme à la ville ». Cette collaboration, il la voit « bénéfique pour les deux parties : on apporte de la cohésion sociale et en même temps le skate c’est une école de la vie qui inculque des principes, des valeurs ». Fini le temps des skateparks, le skateboard veut reprendre ses droits sur le pavé bordelais, dans les limites autorisées.
C’est justement cette notion de limite qui peut tout de même rendre frileux.ses certain.e.s skateurs/euses. Nael rappelle les différentes visions du skate : la pratique « skate and destroy » qui cherche d’avantage à conquérir l’espace urbain non-autorisé et la pratique « zen » instaurée par l’expérimentation bordelaise. S’il se sent un peu nostalgique de la première, il assure toutefois que la deuxième est indispensable pour « mettre en avant la pratique du skate comme intégratrice et sociale ».
Pour l’instant, la plupart des skateurs/euses bordelais.e.s attendent avec impatience les projets de skate-urbanisme, mais restent vigileant.e.s quant à leur utilisation en tant qu’outil de communication politique. Nael rappelle par exemple qu’un skatepark a été installé à Lormont mais qu’il « est impratiqué, parce que personne n’est sur place pour intégrer les jeunes de ces quartiers à la pratique ».
Il dénonce alors une « politique vitrine » et compte sur « acteurs de terrain » pour faire de Bordeaux la première ville de France à marier skate et urbanisme. La communauté bordelaise du skate, elle, continue à inonder les réseaux sociaux d'images pour faire parler de sa ville, la ville la plus « skate-friendly » de France.