Bars associatifs,
la messe est dite


Depuis le 24 mai 2023, l’existence des bars associatifs de nuit est menacée. En cause : un arrêté préfectoral qui interdit la vente d'alcool après 2h du matin. Depuis, la plupart de ces lieux alternatifs ont fermé. Les derniers ouverts cherchent à se réinventer
Pour cette dernière soirée de l'Église, bar associatif emblématique du quartier Saint-Michel, Betty et Connor ont déjà rangé leur décoration de néons roses et verts. Au milieu d’une foule dense et noire, les plus fidèles adhérents se remémorent l’âge d’or des bars associatifs. Tous sont venus saluer l’équipe de barmans pour leur souhaiter bonne chance pour le futur.
Ces deux passionnés du monde de la nuit se sont rencontrés au One Percent, un autre bar associatif de Bordeaux. Elle était bénévole et lui simple adhérent. Quelques années plus tard, ils fondent leur propre bar associatif : l’Église. Un lieu pour faire la fête jusqu’à 4h du matin, même le jour du Seigneur d’où son nom « Église ». Durant ses trois années d’ouverture, l’adresse de l'Église est restée secrète. Selon Connor, ce non référencement sur internet, permettait de filtrer sa clientèle et d'en faire un lieu safe.
« On a beaucoup de filles qui venaient ici parce qu’elles n'étaient pas embêtées, il y a un auto-filtrage des mecs relous »

Les dimanches, on y trouvait une majorité de travailleurs de nuit : barman, restaurateurs, hôteliers. Connor défend un modèle se voulant plus sécurisant que les boîtes de nuit, «en plein centre-ville, on est accessible à pied, personne ne conduit» ajoute-t-il. Malgré une localisation attractive, cette nouvelle réglementation a eu des conséquences immédiates sur les revenus du couple «la plus grosse partie de notre chiffre d'affaires, c'était entre 2h et 3h du matin.» s’insurge-t-il.
Entre deux cigarettes au coin fumeur, certains célèbrent la fin d’une époque avec une certaine amertume. « Ils ont évacué tous les lieux alternatifs du centre-ville, la jeunesse, elle va aller où maintenant ? » s’inquiète Jérémy, 32 ans.
Cet arrêté préfectoral, qui ne concerne que la Gironde, prive ces établissements atypiques d’une grosse part de leurs revenus. Malgré plusieurs interpellations de l’opposition, la municipalité écologiste n'a pas pris contact avec les bars associatifs. «Je suis intervenue au conseil municipal mais ça n'a pas été repris» explique Myriam Ecker, conseillère municipale du collectif Bordeaux en Luttes. Pour cette élue de l'opposition, également musicienne, la disparition des bars associatifs impactera également les artistes émergeants.

Durant les premiers mois de la mise en application de l’arrêté, le One Percent, autre bar associatif situé près de la place de Victoire, a subi de nombreux contrôles. Un soir, un agent de la brigade des débits de boissons a observé un non-respect de la nouvelle réglementation. Deux clients buvaient une bière dans un coin du bar, après 2h du matin. Quelques jours plus tard, George, le président de l’association était convoqué au tribunal en comparution immédiate. Depuis, il respecte avec la plus grande assiduité la mesure préfectorale et collabore avec la brigade.

Une culture alternative dans le viseur des autorités depuis plusieurs années
Dès l’ouverture de son premier local en 2014, près de la place de la Bourse, le One Percent a connu des démêlés avec la police : «j'ai pris une amende de 1000 euros, parce que les boissons n'étaient pas affichées au-dessus du bar» témoigne George, président de l’association. Au bout de trois ans, le lieu dérange et le voisinage réclame sa fermeture . Un soir, la police débarque et conditionne l’ouverture du One Percent à la réalisation de 30 000 euros de travaux. Faute de revenus suffisants pour effectuer ces rénovations, George et son équipe ont dû louer un nouveau local près de la place de la Victoire. Mais quelques années plus tard, les problèmes continuent. La Mairie de Bordeaux réclame une étude acoustique ainsi que des travaux d’insonorisation. Coût des travaux : 10 000 euros. Cette fois-ci, l’association One Percent, qui n'emploie que des bénévoles, a accepté la sentence et réalisé les rénovations demandées.
Répondre à ce genre de demande de travaux n’est pas simple pour tous les bars associatifs, ne suivant pas une logique de profit. Le modèle économique de ces lieux alternatifs repose sur une adhésion à 5 ou 10 euros l’année ainsi que sur des prix de consommation accessibles. De plus, un certain nombre d’entre eux ont également une vocation sociale. Le One Percent produit des artistes émergeants, le Grand Popo effectuait quant à lui des maraudes chaque semaine.
Puis le COVID est arrivé. Les bars associatifs, n’ont pas été intégrés dans les aides prévues par le gouvernement pour les restaurants et les bars; causant la fermeture de lieux mythiques comme le Cercle des poètes Disparates.
«Depuis le Covid, on est mort, on ne fait que de la survie, pour la culture»
Junior, ancien gérant du Grand Popo, fermé en 2023, relate une succession de contrôles excessifs. 2021, « en 22 jours d’ouverture, on a été contrôlé 19 fois. Pour moi, cet arrêté, c’était le dernier clou du cercueil» témoigne Junior. Faute de revenus suffisants, ce Béglais de naissance a préféré fermer.
Une soirée dans la cave du Grand Popo
A la suite de l’arrêté, Franck Chaumès, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie en Gironde (Umih 33), se disait «satisfait de la décision préfectorale» dans un article de Sud-Ouest datant du 1 juin 2023. Selon lui, les bars associatifs constituent une forme de concurrence déloyale. Il souhaiterait également que «l’ouverture des bars associatifs soit limitée à un nombre de jours précis dans l’année».
Cette idée de concurrence déloyale est largement réfutée par bon nombre de gérants de bars associatifs «Les bars classiques ferment avant l’heure d’arrivée de notre clientèle, quand on commence à vraiment faire de l’argent, ces bars sont déjà fermés, ça n'a aucun sens !» s’indigne un gérant qui préfère rester anonyme.

Toutes les portes ne sont pas encore fermées
Accablé financièrement, le One avait décidé de fermer en septembre 2024. Sa réouverture le 23 novembre, en a surpris plus d’un. La vente du fond de commerce par le propriétaire des lieux n’ayant finalement pas abouti, George et son association sont donc toujours locataires. Ils ont décidé de rester ouverts jusqu’au bout.
«Il y a des teufs illégales regroupant 10 000 personnes. C’est qu’il y a une demande de musique techno. Ces gamins, on ne peut pas les ignorer.»
L’annonce a eu lieu sur leur post Instagram avec un post au titre railleur «on n’en sait rien alors on en profite». La suite du post éclaire davantage sur l'état d’esprit de l’équipe : «Nous ne savons pas pour combien de temps, ni pourquoi nous avons la chance de continuer encore cette expérience, mais nous comptons bien saisir l’occasion».
Au sous-sol, dans la cave surnommée « station scandale », Yohan et ses amis, canette de 8.6 à la main, jubilent. Dans ce lieu de tous les possibles, de jeunes talents, parfois presque débutants, viennent s’essayer à différents styles musicaux: de la hard techno à la Dub, en passant par la Frapcore. « Ici c’est une salle d'entraînement, comme on a des salles de boxe, c'est un vrai labo » analyse George.
L'équipe de bénévoles, elle, n’est pas débutante et ne laisse passer aucun écart par rapport aux nouvelles règles en vigueur. Une affiche accrochée derrière le bar, rappelle aux clients que la vente d'alcool s'arrête à 2h. Cette soirée est également l’occasion de tester le nouveau filtre sonore installé dans la cave pour le contrôle du son. Fort de son succès retrouvé, l’équipe de bénévoles a décidé d’avancer son ouverture à 22h, attirant un nouveau public. Comme d’autres bars associatifs préférant rester discret, le One percent a choisi de se réinventer, pour continuer de faire vivre le plus longtemps possible, l’underground bordelais.
