Après l'effondrement,
l'impossible relogement

Le jeudi 27 avril 2023, un immeuble du centre-ville de Porto s’effondre au n°55 de la rue 31 de Janeiro. Derrière les murs, seize personnes immigrées du Bangladesh vivaient illégalement, dans des conditions insalubres. Retour sur les dernières semaines d’incertitude de Khalied Binsoleiman, l’une des victimes en quête d’un nouveau logement.

© Izia Rouviller

© Izia Rouviller

À la table du café du supermarché Continente, la voix grave de Khalied Binsoleiman se mêle au tintement de la caisse enregistreuse. Sous ses sourcils broussailleux, son regard se perd dans les rayons du magasin d’en face. L’arrivée du serveur le sort de sa torpeur. Avalant son expresso d’une traite, il reprend le cours de l’entretien. Il se tord nerveusement les mains au fur et à mesure de son récit.

Mars 2023 : l’arrivée à Porto 

Après avoir fui son Bangladesh natal en 2020, Khalied Binsoleiman arrive à Porto en mars dernier. En difficulté pour trouver un logement, il rencontre Muhammad Mafiqul Islam, un compatriote aisé à la tête de plusieurs boutiques de souvenirs au Portugal et en Angleterre. Celui-ci lui propose un matelas dans un immeuble au centre de Porto.

Arrivé au n°55 de la rue 31 de Janeiro, Khalied déchante. « Il y avait plusieurs personnes par chambre, dont une famille avec un bébé. Sans fenêtre, sans cuisine et avec une salle d’eau partagée. Tout ça pour 150 euros par mois, sans bail, c'est pas donné », se remémore le Bangladais. Pour Mafiqul, il s’agit d’abord « d’entraide entre amis ». « Ils payaient peu cher pour avoir un lit pour dormir. C’est très compliqué de se loger à Porto », se défend-il.

Sans emploi, Khalied n’a pas pu trouver d’autre solution de logement. Il construit son quotidien sur ce matelas insalubre.

27 avril 2023 : l’effondrement

Un retentissement sourd et l’intérieur s’effondre. Il est aux alentours de 18 h lorsqu’une vague de décombres et de poussière déferle de l’immeuble n°55 de la rue 31 de Janeiro. Police, secours et médias affluent sur les lieux du drame. Le maire, Rui Moreira, est également présent.

L'immeuble à côté du n°55 de la rue 31 de Janeiro était en travaux. Un mur mitoyen au dernier étage aurait cédé, provoquant l'effondrement. © Muhammad Mafiqul Islam

L'immeuble à côté du n°55 de la rue 31 de Janeiro était en travaux. Un mur mitoyen au dernier étage aurait cédé, provoquant l'effondrement. © Muhammad Mafiqul Islam

Khalied, lui, n’est pas sur place au moment des faits. « Mollik, mon voisin de chambre, m’a raconté que tout l’étage supérieur lui est tombé dessus. Les secours l’ont amené à l’hôpital. Ils l’ont relâché à 1 h du matin, sans logement pour passer la nuit. Quelle honte ! », s’insurge Khalied. Il rejoint son ami et passe la nuit à ses côtés dans un supermarché. « Je n’oublierai jamais cette nuit. » Ce jour-là, ils ont perdu l’unique toit qu’ils avaient trouvé à Porto.

La boutique de souvenirs de Muhammad Mafiqul Islam a été dévastée suite à l'effondrement de l'immeuble. © Muhammad Mafiqul Islam

La boutique de souvenirs de Muhammad Mafiqul Islam a été dévastée suite à l'effondrement de l'immeuble.

28 avril 2023 : l’urgence 

Passé le choc de l’effondrement, Khalied cherche en urgence un toit pour passer la deuxième nuit. Malgré l’emballement médiatique de la veille, personne ne le contacte pour trouver une solution. Jusqu’au moment où Romain, un bénévole de l'association Habitação Hoje, l’appelle. Soulagé, il apprend que l’organisme défend les droits du logement et des sans-abris à Porto. « Mollik était en contact avec Romain depuis plusieurs mois pour lui parler de nos conditions de vie. Il est venu et a commencé à nous aider dans nos recherches », détaille Khalied. « Nous avons rapidement découvert que ces personnes étaient en réalité totalement abandonnées », témoigne Romain.

Avec dix autres Bangladais, ils contactent la ligne nationale d’urgence sociale qui débloque leur situation. Ce soir-là, ils dorment à l’auberge de jeunesse du quartier de Bonfim. 

Romain, bénévole de l'association Habitação Hoje, soutient Khalied Binsoleiman dans sa recherche d'un nouveau logement permanent. © Izia Rouviller

Romain, bénévole de l'association Habitação Hoje, soutient Khalied Binsoleiman dans sa recherche d'un nouveau logement permanent. © Izia Rouviller

29 avril 2023 : l’incertitude 

Le lendemain, l’incertitude règne. Toujours pas de logement permanent à l’horizon. Après plusieurs heures de recherches, Khalied contacte de nouveau Romain, qui l’oriente vers le Service d’assistance et de suivi social (SAAS), une branche du Centre national d'appui à l'intégration des migrants (CNAIM). En vain. Khalied se tourne alors vers la Sécurité sociale. Il patiente toute la journée et obtient finalement une réponse positive. Il dormira au chaud pour cette troisième nuit.

1er mai 2023 : le silence

La solution proposée par la Sécurité sociale n’était que temporaire. « Tout était fermé pour le week-end du 1er mai, explique Romain. Il a été impossible d’obtenir une réponse de la Sécurité sociale ou de la municipalité. » Commence alors un imbroglio administratif durant lequel Khalied a dû se débrouiller par lui-même. Il reste évasif sur ces quelques nuits.

Dans le même temps, le manque de soutien de la communauté bangladaise de Porto lui pèse. « Mafiqul, le gérant de la boutique de souvenirs du rez-de-chaussée, est aussi Bangladais, mais c’est un homme aisé. Sachant qu’il nous louait les chambres, cela a rendu la situation compliquée au sein de la communauté. » Une idée que ne partage pas Shah Alam Kazol, président de la Communauté des Bangladais de Porto. « Je n'ai jamais eu écho de ces tensions. Ce que je sais, c’est que Mafiqul a conclu un accord avec le propriétaire portugais de l’immeuble pour le louer. C’est illégal car il n’y avait pas de contrat. Mafiqul m’avait pourtant affirmé le contraire », révèle-t-il, rentrant tout juste de la mosquée.

Après l'effondrement de l'immeuble, Muhammad Mafiqul Islam a retrouvé une nouvelle boutique de souvenirs, rue São João. © Izia Rouviller

Après l'effondrement de l'immeuble, Muhammad Mafiqul Islam a retrouvé une nouvelle boutique de souvenirs, rue São João. © Izia Rouviller

2 mai 2023 : la déception

Désespérés, Khalied et ses compatriotes se rendent à une séance publique du conseil municipal de Porto pour évoquer leur situation et espérer un véritable soutien de leur part.  « J'ai peur, je suis malade, j'ai perdu mon travail et je n'ai pas d'argent pour payer mes médicaments. S'il vous plaît, trouvez-nous une solution d'hébergement permanente », supplie Khalied aux conseillers municipaux. Il affirme souffrir d’épilepsie.

Sur place, les Bangladais reçoivent le soutien de Susana Constante Pereira, leader du groupe d’opposition Bloco de Esquerda (BE) au conseil municipal de Porto. « La mairie n’a pas été assez proactive pour venir en aide aux victimes. Ce n’est pas en phase avec la dignité humaine auxquels ces immigrés ont droit », s’insurge la conseillère. L’année dernière, son groupe a proposé la création d’un plan municipal pour l’intégration des migrants, qui a été retoqué.

Khalied tente de comprendre les débats houleux en portugais. Pour lui, l’action de la mairie est insuffisante. Il n’a toujours pas de solution de logement permanente. La municipalité se défend tant bien que mal. Elle considère que « dans l’ensemble, leur réponse a été adéquate, en ce qui concerne la rapidité de l'aide et de l'assistance aux victimes ».

10 mai 2023 : le soulagement

Après des semaines de débrouille, Khalied a trouvé refuge à Ermesinde, à douze kilomètres au nord-est de Porto. Au séminaire Bom Pastor du diocèse de Porto, la végétation environnante et la décoration standing lui offrent des conditions de vie plus décentes. « Là où je suis actuellement ce n’est pas si mal, j’y suis bien. Le problème c’est que je suis malade et l’hôpital est assez loin d’ici », confie Khalied. Ses crises d’épilepsie sont de plus en plus fréquentes depuis l’effondrement de l’immeuble.

« Depuis le début, j’ai demandé une solution permanente de logement parce que je suis malade. Il y a quelques jours, j’ai perdu connaissance et je suis tombé suite à une crise. Maintenant, j’ai mal au niveau du dos », grimace-t-il en se contorsionnant pour montrer son omoplate gauche du doigt. « Heureusement, Cristina est là pour me soutenir. C’est vraiment une bonne personne », souligne Khalied. Directrice du diocèse, Cristina Figueiredo arrive dans les locaux les bras chargés d’hortensias. Elle rappelle à Khalied que cette solution n’est que temporaire. « Dans ta situation, nous t’autorisons à venir exceptionnellement ici pour avoir un endroit où rester. » Les locaux du diocèse sont prêtés à l’Organisme diocésain de promotion sociale (ODPS). Depuis mars 2022, il accueille en priorité les réfugiés ukrainiens.

Cinq autres Bangladais de la rue 31 de Janeiro ont dû refuser l’offre d’accueil du séminaire Bom Pastor. « Mollik est à Vila do Conde. Emon finissait son travail trop tard pour arriver avant la fermeture. Et Monna a très vite trouvé un moyen de s’en sortir avec l’aide de ses proches », détaille Khalied.

14 mai 2023 : le dilemme 

Quelques jours plus tôt, l’Organisme diocésain a proposé à Khalied de partir vivre cinq mois sur l’île de Madère, à 1 191 kilomètres de Porto. Après de longues nuits de réflexions, Khalied ne se rend finalement pas à l’aéroport. « Qu’est-ce que je ferai aussi loin ? Comment je vais survivre ? Le 21 octobre, ils me mettront dehors. Au moins à Porto, Romain et Habitação Hoje me soutiennent. »

Une décision que déplore Cristina, qui évoque une « bonne opportunité ». Romain précise que « l’ODPS fait souvent pression pour que les immigrés acceptent une solution de logement sous prétexte qu’il s’agit d’une bonne opportunité. »

15 mai 2023 : l’espoir  

Au n°55 de la rue 31 de Janeiro, le commerce de Mafiqul est définitivement fermé, l’immeuble inhabité. Seuls les commerçants alentours et quelques passants ont encore en tête l’effondrement. Neuf Bangladais sur seize restent toujours sans solution. Toujours en attente d’une proposition de logement permanent, Khalied garde espoir. Son processus d’octroi d’un permis de séjour est en cours.