A la recherche du pyrénéisme sauvage

Entourée de montagnes culminant à plus de 3000 mètres d’altitude, l’Ariège offre un terrain de jeu particulier pour les alpinistes. Culture souvent attribuée aux bergers dans les estives, les hauteurs du département attirent les amateurs d’une pratique pyrénéiste, en quête de solitude sauvage. Un état d’esprit qui se transmet à l’écrit comme à l’oral.

©A.Desmaison

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« Ailleurs, vous ne trouvez pas la même ambiance. La montagne, les personnes qui la fréquentent, les refuges. En Ariège, il y a un esprit que je préfère ». A quelques jours de l’ouverture de la saison estivale dans les hébergements d’altitude, Gérard Pouliquen a les yeux qui brillent lorsqu’il regarde les névés qui ornent encore les sommets. Cette figure de l’alpinisme ariégeois se réjouit de retrouver les falaises du Vicdessos, du haut de ses 75 ans. Au cœur des Pyrénées, le département offre une expérience de la montagne différente des autres vallées plus fréquentées. Rencontrer les passionnés de ces cimes amène à se confronter à leurs histoires et celle du territoire. 

« C’est un département un peu atypique en matière d’alpinisme » reconnaît Bruno Colla. Ce guide de haute-montagne de 60 ans y est installé depuis sept ans. Allongé dans l’herbe, le visage brûlé par le soleil, il scrute les parois d’escalade sur les falaises de Niaux. Pour lui, la première image qui lui vient est celle d’un paysage austère. « Il n’y a encore pas longtemps, les Pyrénées ariégeoises étaient encore complètement perdues. Tout était vert, il y avait de l’herbe partout sur les rochers gluants où ruisselait l’eau ». Les vallées ont aussi été fortement marquées par le pastoralisme ou l’industrie.

Sous la tempête

Si cette image a pu dissuader certains amateurs d’exploits sportifs, un alpinisme particulier s'est développé : le pyrénéisme. Le terme renvoie à un courant défini par Henri Beraldi dans un ouvrage de 1898, Cent ans aux Pyrénées. L’homme de lettres d’origine parisienne relate la conquête du massif et la littérature associée. Pour lui, le pyrénéisme consiste à « ascensionner, écrire et sentir ». « Il s’agissait de raconter une histoire, celle de l’ascension mais aussi les sensations vécues, ajoute Patrice Teisseire-Dufour, journaliste à Pyrénées Magazines et auteur de nombreux livres sur ces montagnes. En Ariège, de nombreuses aventures sont rapportées dans des carnets ».

Dès le XIXe siècle, des pionniers de la conquête des Pyrénées comme Henry Russell relatent les ascensions mythiques des deux sommets principaux, le massif du Montcalm (3077 m) et le Mont Valier (2838 m). « Phare du Couserans, le Mont Valier impressionne » détaille Patrice Teisseire-Dufour. « On le voit de très loin avec sa forme en trapèze et la tache blanche du dernier glacier oriental d’Arcouzan ». Ces explorateurs essuient alors tempêtes et pluies de grêle en plein été.

Une solitude recherchée

L’aspect sauvage des massifs se retrouve dans l’état d’esprit que revendiquent les pyrénéistes ariégeois. Aujourd’hui, le mot soulève davantage une opposition à la pratique de l’alpinisme dans les Alpes, massif réputé sur-fréquenté. « Lorsque vous êtes au fond du Vicdessos (Haute-Ariège, massif du Montcalm), que vous montez aux lacs, vers la frontière andorrane, vous pouvez croiser des troupeaux de brebis, des insectes, peut-être l’ours et voir des fleurs superbes mais vous serez seul » s’amuse Patrice Teisseire-Dufour. Olivier Rougean, initiateur en alpinisme et accompagnateur de montagne au Club alpin français de Saint-Girons, se souvient d’un moment fondateur de sa passion ariégeoise quand il avait 18 ans : une traversée à ski et trois jours de solitude hivernale. « Le bonheur d’être en montagne ».

Le contexte géographique participe à la spécificité de l’alpinisme en Haute Ariège ou dans le Couserans. « Ce sont des fonds de vallées étroites orientées sud-nord » explique Patrice Teisseire-Dufour. Encore aujourd’hui, les routes ne montent pas plus haut que 800 mètres d’altitude voire 1000m. « Les sommets culminent à 3000 et il n’y a pas de téléphérique » ajoute Olivier Rougean. La difficulté due au dénivelé est renforcée par la longueur de la marche nécessaire à l’ascension. 

Raconter pour transmettre

Le pyrénéisme évolue mais reste ancré dans les mémoires. « Il y a toujours une tradition de relater son ascension dans des livres d’or aux sommets, gardés dans des boîtes en fer avec un stylo, comme à la Pique d’Estats » se réjouit Patrice Teisseire-Dufour. Moniteur d’escalade à Auzat, Vincent Milhau, les cheveux bouclés grisonnants et les mains enfoncés dans sa doudoune, se sent pyrénéiste ariégeois. « Il y a l’idée d’aller en montagne, gravir des sommets, passer du temps, regarder puis raconter pour pousser les gens à y aller à leur tour ». Avec ses enfants ou ses élèves, il parle de l’histoire et des valeurs de la montagne. « Quand on fait un sommet ici, c’est plus pour l’ambiance que le côté technique » assume Gérard Pouliquen, dit aussi Gégé d’Orlu, du nom d’un célèbre pic ariégeois. « On aime bien aller dans des endroits plus tranquilles ou des vallées qui restent vierges ». Explorer et valoriser ces découvertes sont des motivations partagées par ceux qui se disent pyrénéistes aujourd’hui, comme Cyril Renailler, initiateur de montagne au Club alpin français de Saint-Girons.

L’humilité face au massif revient dans les paroles des alpinistes rencontrés en Ariège. Pour le guide Bruno Colla, être pyrénéiste est un trait de caractère. « Profiter de son ascension nécessite de ne pas communiquer sur son ascension ». Pourtant, cette approche d’une montagne douce à l’abri des regards se perd. Les récits écrits deviennent rares. La transmission orale a pris le dessus. « Le fait de communiquer plus vite atténue le récit, on publie sur les réseaux sociaux, sans faire de tri » regrette le quarantenaire Vincent Milhau. Le pyrénéisme évolue dans les vallées du Couserans ou du Vicdessos. Les vieilles histoires des ascensions deviennent des légendes à préserver, tout comme le paysage sauvage. 

Lucile Bihannic et Armelle Desmaison

Bruno Colla, guide en haute montagne

Gérard Pouliquen et le Montcalm, l’insatiable passion pour la montagne

© A.Desmaison

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Gérard Pouliquen, 75 ans, est une figure emblématique pour les grimpeurs et alpinistes du département. Il a presque tout arpenté et tout gravi en Ariège. Pyrénéiste convaincu, il a été un pionnier dans la vallée. Ses récits inspirent encore les générations suivantes.