L’Opéra rajeunit à Bordeaux

La Légende du Roi Dragon bouscule les codes du classique avec 206 enfants en scène

©Eric Bouloumié

©Eric Bouloumié

Pendant plus d’un an et demi, l’Opéra National de Bordeaux (ONB) a construit un spectacle participatif, composé par Arthur Lavandier. Un projet ambitieux pour un résultat rocambolesque. Un reportage de Thérèse Thibon et Léna Trichet.

Mercredi 20 novembre 2019, Opéra National de Bordeaux. L’exaltation est à son comble pour les 206 enfants venus d'établissements scolaires de zones prioritaires (REP), prêts à monter sur scène. Un dernier au revoir aux parents restés dans le hall et les écoliers rejoignent les coulisses pour les derniers préparatifs. L’ambiance s’apaise, les vocalises se font entendre et les costumes bariolés sont enfilés. 

Ce soir, c’est la deuxième et dernière représentation de La Légende du Roi Dragon au Grand-Théâtre de l’Opéra, plein pour l’occasion. Dans la salle du XVIIIe siècle, une majorité de familles, venues avec les frères et sœurs des jeunes acteurs. A chaque changement d'acte, des timides « Et là, c’est fini ? » chuchotés se font entendre.  

Sur scène, bâillements et sourires complices viennent ponctuer les paroles dûment apprises. La voix principale, celle du Roi malade, est portée par quelque 80 enfants. A leurs côtés, cinq solistes professionnels étayent la représentation. Leurs voix lyriques contrastent avec celles plus fluettes des enfants, offrant un opéra unique en son genre.

Un public à conquérir

©Vincent Bengold

©Vincent Bengold

Pour assister à la représentation, les parents ont dû débourser 25€. Une formalité justifiée par Anne Quimbre, attachée de presse. Elle estime que les portes de l’Opéra doivent rester ouvertes à un public extérieur, qui n’est pas limité à celui de la « kermesse ». C’est un aspect essentiel pour que les jeunes artistes se sentent « pris au sérieux ». Isabelle Ducom, chargée de l’action culturelle et de la médiation de l’ONB, relève qu’il n’y a pas eu beaucoup de plaintes, « Un ou deux courriers maximum. » Les répétitions générales ont été réservées aux parents. 

« Grâce à ma fille je suis à l’opéra. C’est la première fois. »
confie la maman de Lisa

La maman et la sœur de Geoffrey, 12 ans, sont venues voir le spectacle pour la troisième fois. « Je le connais par cœur », sourit la mère, amusée. A la sortie de la salle, c’est une grande première pour la plupart des parents. La maman de Lisa confie fièrement « Grâce à ma fille je suis à l’opéra. C’est la première fois. » Chargée de diversifier le public de l’ONB, Isabelle Ducom reste lucide. « On ne s’attend pas forcément à ce que les familles reviennent dans le futur. Ce serait du bonus. » Si l’enthousiasme est de mise à la sortie de la représentation, beaucoup de parents se sont montrés sceptiques, voire réticents, lors de la présentation du projet.

Infographie réalisée avec Infogram

Infographie réalisée avec Infogram

La concrétisation d’un projet ambitieux

©Vincent Bengold

©Vincent Bengold

« L’Opéra National de Bordeaux a un projet fou et vous embarque avec lui ». C’est en ces termes qu’Isabelle Ducom a invité les 206 enfants à monter à bord de La Légende du Roi Dragon. Septembre 2018, l’aventure est lancée.

L’Opéra a ainsi voulu « ouvrir ses portes à ces enfants pour qu’ils aient le sentiment de s’y sentir comme chez eux ».  Au fil de ces 18 mois, l’ONB a eu à cœur de créer une relation de confiance réciproque. Pour cela de nombreuses activités ont été mises en place : visites des locaux, présentation de l’art lyrique, des différents corps de métier de l’institution…

© Vincent Bengold

Si le résultat traduit une grande implication des enfants, ça n’a pas toujours été le cas, souligne Florent Baffoigne, professeur d’éducation musicale au collège Jacques Ellul. « C’est un projet de classe, on ne leur laisse pas le choix alors, forcément, il y a eu quelques élèves réticents au début. » Isabelle Ducom acquiesce, « l’une des difficultés principale a été de garder le groupe motivé, notamment avec les vacances d’été. »

Répétitions de groupe, séquences pédagogiques, essais des costumes ou travail de la voix, tous les intervenants ont redoublé d’efforts pour passionner les enfants. La maman de Lisa, 10 ans, le reconnaît, « Au début, c’était un peu abstrait mais l’apprentissage de la chorégraphie et les répétitions lui ont beaucoup plu. »

Pour Isabelle Ducom, cette occasion « extraordinaire » leur permet de se sentir investis d’une mission qui dépasse le cadre scolaire. Aux côtés des cinq solistes professionnels, les enfants ont collaboré avec 32 musiciens issus de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, la metteuse en scène Johanne Saunier, ainsi que Marc Leroy Calatayud, chargé de la direction musicale. Sur scène, le dynamisme de cette équipe insolite offre au spectateur une expérience haute en couleur. 

Quant à l’avenir du projet, Isabelle Ducom le reconnaît, il est « assez peu transposable dans une autre ville. Il faut les décors, les équipes et les infrastructures nécessaires, et on est conscient que tout le monde ne les a pas. »

L'ONB, le soir de la dernière représentation ©Thérèse Thibon

L'ONB, le soir de la dernière représentation ©Thérèse Thibon