Mamie fait du clic

Elles s'appellent Nicole, Magali, Virginie, Sylvie, Annick ... Elles ont plus de 50 ans et elles cassent l'Internet. Reines des réseaux sociaux, animatrices de la Web TV "Breaking Mamie", elles offrent enfin une visibilité numérique aux femmes quinquagénaires. Focus sur un phénomène 5.0

Par Mathilde Loeuille et Mathilde Rezki

Sur YouTube, il y en a pour tous les goûts… et pour tous les âges ! Dans l’émission web Breaking Mamie, une équipe de seniors répond en plateau aux nombreuses questions que se posent les femmes de plus de 50 ans. Beauté, sexe, bien-être, bons plans … tous les sujets sont abordés et décryptés sans tabous.

“L’émission des jeuniors de plus de 50 ans”

Tous les mois, elles se réunissent pour des discussions endiablées d’une heure en moyenne. Comme les lycéennes refont le monde autour de cafés en terrasse, les Breaking Mamies discutent dans leur studio aux murs rose devant les internautes.

L’équipe de chroniqueuses ne varie que peu d’une session à une autre. On retrouve régulièrement autour de la table Sylvie, Nicole, Magali, Virginie, Annick, Caroline ... toutes des blogueuses beauté en vogue chez les quinquas.

Sylvie, une bordelaise à la page

Ses origines girondines, Sylvie les revendique fièrement tant sur son blog que sur sa page Instagram, ou dans ses chroniques de l’émission Breaking Mamie.

Sa communauté Instagram ne compte pas moins de 12800 abonnés qui suivent ses aventures dans le Sud-Ouest. En ville ou en campagne, elle photographie et partage sur sa page les clichés qu’elle réalise de sa région. Elle n’hésite pas à s’y mettre en scène, et véhicule l’image d’une quinquagénaire dans le vent. L’air du Sud-Ouest, nouvel élixir de jeunesse ?  

“Comment vous faire découvrir mon métier ? En animant ce blog, bien sûr !”

Elle a fait d’une passion son métier. Sylvie se définit comme “personal shopper”, professionnelle du conseil en image. Son site n’est pas qu’un blog personnel où sont relatées des tranches de vie. Les internautes parcourent un site professionnel où rien n’est laissé au hasard. Ainsi, les femmes quinquagénaires qui se renseignent sur “Comment bien organiser sa valise en vacances” sont directement redirigées vers la maroquinerie préférée de Sylvie, grâce à un hyperlien. Elle organise également des concours, faisant régulièrement gagner des bijoux, vêtements et produits de beauté. Des cadeaux permis par les nombreux partenariats tissés entre la blogueuse et les marques. Elle laisse d’ailleurs un formulaire à disposition sur son blog, pour permettre aux enseignes de la contacter. Un schéma qui diffère finalement peu de celui adopté par les jeunes influenceuses, rémunérées grâce aux conseils mode ou bien-être délivrés à leur communauté.

Influenceuses mais pas femmes-objets

Qu’une génération de femmes nées dans le féminisme initié dans les années 60 s’affiche de la sorte sur les réseaux sociaux peut prêter à confusion. Utilisent-elles leur image à des fins commerciales, comme certaines starlettes des réseaux ? Les Breaking Mamies refusent d’être assimilées à des femmes-sandwich : “Celles que l’on accuse de véhiculer une telle image de la femme sont jeunes, ce n’est pas moi” rétorque Magali. Même son de cloche chez Nicole Tonnelle, pour laquelle ces critiques n’ont pas lieu d’être : “Les réflexions me passent au dessus ! Des jaloux, il y en a partout.

  

Nicole : "J'ai vu des femmes se laisser aller en prenant leur retraite"

Sur Instagram comme sur YouTube, Nicole prodigue ses conseils mode et beauté. Elle transmet ses astuces maquillage, affiche ses plus beaux looks, partage ses coups de cœur culinaires ou cinématographiques. Parfois, elle teste des gaines et affiche fièrement ses cheveux gris. Nicole a 68 ans et assume pleinement son âge.

Ancienne esthéticienne, elle a souvent entendu des discours défaitistes de la part de ses clientes : “Dans mon métier, j’ai vu beaucoup de femmes qui se laissaient aller en prenant leur retraite. Comme si, ça y est, c’était la fin de vie. Non ! D’une part ce n’est pas la fin de vie et d’autre part je pense que c’est important de rester belle et bien jusqu’au bout, pour son entourage et surtout pour soi. Plus l’on est tonique, plus l’on a envie de faire des choses et plus l’on va bien.

En 2012, Nicole prend sa retraite. Très vite, elle devient nostalgique des conversations avec ses clientes. Elle avait l’habitude de leur prodiguer des conseils ... Une discussion avec une amie journaliste la convainc de créer un blog : “Je me suis rendu compte qu’il n’y avait rien sur Internet, à l’époque, pour les femmes de plus de 50 ans.” Elle lance son site “Belles et bien” et le public commence rapidement à affluer. Sur sa lancée, la sexagénaire s’inscrit sur YouTube et Instagram, complétant ainsi sa panoplie numérique. 

En conseillant les seniors, Nicole essaie de combler un vide. Certains sujets comme la ménopause et la rééducation du périnée ne sont quasiment jamais abordés sur les réseaux sociaux. Il est difficile de parler ne serait-ce que des cheveux gris :

Les vidéos de Nicole sont visionnées plus d’un million de fois. Pourtant, elle n’a que 51 700 abonnés au compteur. Beaucoup de clics pour peu d’abonnements, un phénomène que Nicole explique :

BeautyTUBE, une école pour youtubeuses

A l’inverse des “digital native”, les seniors n’ont pas grandi avec les écrans. Avouons le, nous sommes nombreux à avoir raillé nos parents et grands-parents pour leur pratique hasardeuse des outils numériques. Pour Nicole, ce n’était pas gagné d’avance. “Au départ, je n’avais jamais touché un ordinateur, ce n’était pas évident du tout”, confie-t-elle en riant. En 2012, c’est en se débrouillant artisanalement qu’elle lance sa chaîne. Et puis un jour, une proposition tombe du ciel : YouTube et L’Oréal lui proposent d’intégrer une école pas comme les autres, le BeautyTUBE. Ecoutez-la raconter son expérience :

Le BeautyTUBE a évidemment une dimension commerciale puisque les apprenties YouTubeuses s’entraînent sur des produits L’Oréal. Nicole en a bien conscience mais elle préfère insister sur les compétences acquises durant la formation. Une fois le diplôme en poche, l’équipe du BeautyTube lui propose de repérer, à son tour, les talents de demain. Elle sélectionne quelques comptes... et c’est Magali The Mouse, quinquagénaire marseillaise, qui rejoint la nouvelle promotion. 

Magali, la souris re-belle

« Mon surnom c’est la souris, parce que la souris est ma troisième main ! ». Lorsqu’elle lance son blog en 2014, Magali détonne dans le milieu. À presque 50 ans, cette mère de famille prend le pari de se faire une place dans le monde des influenceuses beautés jusqu’alors associé aux générations X et Y. Elle a trouvé son public.

Magali est pharmacienne de métier. Pourtant, elle a toujours souhaité intégrer l’informatique et le web à ses activités quotidiennes. En 2014, elle franchit le cap et ouvre un blog sur lequel elle poste ses idées look et beauté, déco, mais aussi des photos d’évènements ou simplement de vacances. Une page qu’elle appelle « la casa des re-belles ».  

Immédiatement le succès est au rendez-vous, à sa plus grande surprise : « Au début du blog, je me suis dit qu’il n’y aurait que ma famille et mes amis dessus… que nenni ! Ni famille ni amis. J’ai commencé à avoir des abonnés que je ne suivais même pas, je n’avais pas du tout la notion de tout cela ! »

À peine six mois après son lancement, la souris est repérée par une équipe de journalistes de France Bleu. Initialement contactée pour une interview de 2 minutes dans laquelle elle doit présenter son blog, elle finit par animer une chronique matinale pendant 3 ans dans laquelle elle délivre ses « bons plans » aux auditrices de plus de 50 ans.

En 2016, Magali se lance sur Youtube. Elle suit déjà Nicole Tonnelle lorsque celle-ci annonce être à la recherche de 10 personnes capables de prendre son relais au BeautyTUBE. Elle est choisie, ce qui lui permet d’apprendre des techniques d’image, mais aussi des techniques beauté.

« Je connaissais déjà très bien la peau grâce à ma formation en pharmacie. J’étais moins à l’aise avec les techniques vidéo, j’ai beaucoup appris grâce à cette formation ».

Aujourd’hui, sa page YouTube alimentée de vidéos qu’elle tourne et monte seule compte plus de 4 000 abonnés. Sa communauté de fans est encore plus imposante sur Instagram, où près de 13 000 personnes la suivent au quotidien dans sa vie “d’happy quinqua”.

Derrière les "coups de cœur", des partenariats

Dans Breaking Mamie, Sylvie et Nicole T présentent régulièrement leurs produits “coups de coeur”. Nicole Jordi, dernière recrue de l'équipe, évoque les nombreuses demandes de partenariats que reçoivent les deux seniors : “Elles sont à fond ! C’est grâce à leurs grandes communautés, elles sont très suivies donc elle sont intéressantes pour les marques.

Dans la course aux partenariats, ne risquent-elles pas de perdre leur intégrité, assurant la promotion de tout et n’importe quoi ? 

Lorsque j’accepte un partenariat, il faut que la marque corresponde à mon éthique, c’est indispensable, le B.A.BA !” affirme Magali, qui collabore avec Garnier, Yves Rocher ou encore Victoria Secret. Elle se refuse également à faire la promotion de produits miracles anti-âge, et dissuade ses abonnées d’y recourir : « Les miracles pour effacer les rides, c’est à Lourdes ! ». 


Elle explique ne pas être rémunérée pour ces partenariats, refusant ainsi de céder aux sirènes du business d’influence.

“Est-ce qu’il existe une seule femme qui s’aime complètement ?”

Les retouches pour paraître plus mince, plus bronzée, plus jeune...Magali s’y oppose : « Ce que je ne supporte pas, ce sont celles qui trichent – avec des logiciels – et qui ne le disent pas ». Sur les réseaux, elle défend l’idée du “No filter” et prône l’acceptation de soi.

De leur côté, l’équipe des Breaking Mamies vantait il y a quelques mois l’usage de la chirurgie esthétique. S’aimer presque au naturel donc, avec l’aide d’un petit coup de bistouri ?

Nicole Jordi, dernière recrue de l’équipe, explique qu’il n’est pas toujours facile d’accepter son corps et ses changements : “Je n’aime pas mes rides, mon corps qui n’est plus aussi ferme qu’avant. Mais est-ce qu’il existe une seule femme qui s’aime pleinement ? Vous en connaissez, vous ? Moi, je fais comme je peux. J’ai la chance d’être aimée comme je suis, c’est l’essentiel” 

Ce manque de confiance en soi n’est pas inhérent aux seniors : “A 20 ans je ne m’aimais pas du tout. Je me trouvais grosse alors que j’étais maigre comme un clou. On n’est jamais vraiment satisfaite.” 

Nicole Jordi, l’égérie des seniors

Sur le plateau, elle vient partager ses coups de cœur et conseils mode : “On est venu me chercher pour participer à l’émission. Et puis j’avais bien sympathisé avec Nicole Tonnelle lors d’un salon senior.”

Chevelure blanche au brushing impeccable, grand sourire et silhouette longiligne, Nicole est mannequin senior. Une activité commencée il y a douze ans. “À l’époque, je tombe sur le magazine Notre Temps qui propose un concours de mannequin senior. Ma fille débute comme photographe, elle prend deux photos de moi et je les envoie. Je suis lauréate, et cela me permet d’intégrer l’agence Masters Model, alors précurseuse comme agence senior.

C’est l’élément déclencheur de sa carrière. L’infatigable jeune senior tourne dans des clips (en février 2019, elle valse dans le clip Evidemment du groupe Trois cafés gourmands), figure dans des courts et longs métrages, et enchaîne les contrats publicitaires. “Je fais tout de même attention à ne pas trop multiplier les publicités. Contrairement au cinéma, ce n’est pas bon pour une actrice de pub d’être trop présente. Les clients potentiels ne peuvent pas s’identifier à tous les produits à la fois”. 

Ancienne chef de cabine Air France, elle a découvert un tout autre domaine une fois à la retraite : “Tout m’amuse ! Même s’il y a évidemment quelques désagréments. La semaine prochaine, je tourne dans un long-métrage censé se dérouler en été et la météo annonce deux degrés. Je sais que je vais souffrir dans mes habits estivaux ! C’est parfois un peu fatigant physiquement.” Elle évoque aussi les nombreux castings et les refus qu’il faut savoir encaisser. 

À 72 ans, Nicole est une femme épanouie. Elle est fréquemment rappelée par les marques avec qui elle collabore et compte bien poursuivre ses activités. Quitte à viser un rôle au cinéma ? “Si à 72 ans je n’ai pas encore eu de grand rôle, ce n’est pas maintenant que ça va arriver ! Il faut l’admettre.

“Certaines me racontent qu’elles vont à Damart”

Les Breaking Mamies évoquent un lien constant avec leurs communautés respectives. Nicole passe du temps, chaque jour, à répondre aux sollicitations. De même pour Magali : “Toute la journée, ça n’arrête pas ! Je réponds entre midi et deux, j’aime bien mettre des smileys. Le soir aussi je réponds, j’ai un peu plus de temps. Et je n’ai pas qu’Instagram, il faut aussi répondre sur le blog et sur la chaîne YouTube ! Certaines me disent que je suis la plus belle, que je suis merveilleuse... d’autres ont des questions techniques, veulent des conseils sur leur peau. Sinon c’est du blabla, parfois je dis “Hello” le matin et les gens me partagent ce qu’ils font de leur journée. Certaines me racontent qu’elles vont faire un tour à Damart.

On n’est pas là pour jouer les cougars !”

Nicole Jordi, de son côté, reçoit beaucoup de questions sur son métier. De nombreuses sexagénaires, fraîchement à la retraite, se rêvent sur les podiums. “Beaucoup sont à côté de la plaque. Elles sont dans la séduction, m’envoient des photos dans des postures lascives, avec de grands décolletés... mais ce n’est pas ça le métier de mannequin senior ! Il est hors de question de jouer la cougar ! À la limite on est dans l’élégance... j’ai posé une fois pour une marque de lingerie mais j’étais habillée, la lingerie était seulement suggérée.”  

Si Nicole travaille pour des marques de parfum ou de vêtements, elle admet aussi poser fréquemment pour des produits pharmaceutiques et des mutuelles. Au pays des seniors, tout n’est pas fait de strass et paillettes...

Des “super mamies” qui partent à l’assaut du web, le phénomène peut prêter à sourire. Il révèle pourtant un véritable manque. Il y a encore quelques années, il n’existait aucun compte dédié aux seniors. Le cap de la cinquantaine est pourtant difficile à passer pour de nombreuses femmes, qui sont alors à la recherche de conseils. 

Aujourd’hui, la tendance tend à s’inverser. Les seniors gagnent en visibilité et deviennent même à la mode. “La plupart des agences de mannequinat ont maintenant un département dédié”, explique Nicole Jordi. “Mais la cible principale, ce n’est plus le baby-boomeur, trop vu et revu. Aujourd’hui, le marketing se concentre davantage sur les personnes âgées dépendantes”.

De quoi encourager des influenceuses “seniors +” à se lancer sur le web ?