A Pessac, le festival du film d'Histoire compte sur ses fidèles

Du 18 au 25 novembre 2019, la ville de Pessac a accueilli la 30ème édition du Festival International du Film d’Histoire (FIFH). L'évènement a su créer un engouement local mais cherche encore à rassembler davantage.
Après la clôture de sa 30ème édition, au soir du 25 novembre, le Festival International du film d'Histoire s’est félicité d’avoir réalisé 39 000 entrées en 2019. Des chiffres positifs pour le festival pessacais, désormais loin des 5000 entrées de ses débuts, en 1989. Comme d’habitude, l’événement a sélectionné aussi bien des fictions que des documentaires autour d’un thème central - cette année, l’Amérique latine - et de compétitions parallèles. “Les avant-premières fonctionnent mieux que le cinéma de patrimoine”, admet François Aymé, directeur du Cinéma Jean Eustache qui accueille le FIFH, et commissaire général du festival depuis 2004. “Cela s’explique par le fait que le public a déjà vu beaucoup de films”. Mais la spécificité du festival reste de mêler cinéma et histoire. En témoigne le nombre important de conférences, débats et rencontres qui s'y déroulent : 50 en 2019.
Les différents acteurs mobilisés
À mesure de sa longévité, le FIFH s’est imposé comme un rendez-vous clé pour l’ensemble de la ville de Pessac. Sur la place, juste à côté du Jean Eustache, la librairie Encre Blanche participe aussi à l’évènement. Elle présente une sélection thématique d’ouvrages universitaires et de romans. Une thèse sur les conquistadors vient ainsi côtoyer Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Marquez. Un pari risqué. “En 2015 quand le festival a été annulé, en raison des attentats de Paris, on a dû renvoyer tout le stock”, se rappelle Bertrand Frouin. Depuis deux ans, la librairie accueille également le temps du festival un Coup de Coeur quotidien avec un universitaire présentant un de ses livres fétiches sur la thématique du festival. “Trop souvent les conférenciers restent trop près de leur sujet”, regrette le libraire.
L'événement fait également appel au tissu associatif des alentours. Focale sur l’Amérique Latine oblige, les associations Bordeaux Chili, Allende Mémoire et Héritages et l’association des Amis de la Fresque murale de Pessac ont été conviées cette année. Ce partenariat ne date pas d’hier : “On est très attachés au festival du film d’histoire de Pessac”, affirme Enzo Villanueva, président de Bordeaux Chili, qui a participé à l’évènement à plusieurs reprises depuis sa création. "Cette année on a pu rencontrer des réalisateurs chiliens et revoir notre amie, la réalisatrice Carmen Castillo".
Ce qui est primordial pour le festival pessacais, c’est donc cette continuité depuis 1989 : “c’est parce qu’il existe depuis trente ans que le public répond présent”, explique François Aymé. Une longévité qui lui a permis de se faire un nom non seulement dans la métropole girondine mais aussi dans la multitude de festivals. Le FIFH ne permet pas nécessairement à des documentaristes de trouver des distributeurs ou des diffuseurs, “dans la compétition documentaire, seul un film roumain, L'Homme rouge, n’a pas trouvé de diffuseur pour le moment”. Mais il peut être un tremplin pour la carrière des réalisateurs. “Aujourd’hui des auteurs qui viennent voir un producteur auréolé du prix du documentaire à Pessac, cela leur donne de la crédibilité”, assure François Aymé. Au même titre qu'un prix à Cannes ou à Biarritz au Fipadoc. Cette légitimité s'est construite grâce à un public “politisé et hyper pointu”, pointe Marie-Eve de Grave, réalisatrice d’un documentaire sur Dora Maar présenté lors du festival. Un public aussi diversifié que sa programmation ?

Cours délocalisé des première année de Sciences Po Bordeaux.
Cours délocalisé des première année de Sciences Po Bordeaux.
Un public étudiant et retraité
Le 21 novembre au matin, la grande salle Fellini s’est remplie pour... une conférence d’histoire sur la géopolitique en Amérique latine au XXe siècle, organisée par Sciences-Po Bordeaux. Beaucoup d’étudiants sont venus par groupes, dans le cadre d’un cours de première année. Les 330 sièges ne suffisant pas à tous les accueillir, des retardataires s’assoient sur les marches, entre les rangées. L'affluence et la qualité du public relèveraient-ils d’une contrainte ? Pas pour les retraités qui sont aussi venus en nombre. Si le festival constitue une occasion de délocaliser le savoir hors des amphis, force est de constater que la rencontre prêche un public converti. Le conférencier Bernard Labatut, bien que satisfait de quitter pour une heure son "cénacle universitaire", n’est pas dupe : "Nous sommes jeudi matin, les jeunes sont captifs et les actifs travaillent !".
Les nombreux partenariats avec Sciences-Po ou avec l’institut de journalisme de Bordeaux constituent, de l’aveu même de François Aymé, une tentative de diversifier l’audience. Si un DJ-set organisé par des étudiants assure la contrepartie des travaux obligatoires, la plupart des jeunes désertent les lieux du festival en dehors du cadre scolaire et universitaire. De même que la tranche d’âge des 25-64 ans, aux abonnés absents. Les habitués du festival en sont conscients : “Ma mère n’attend qu’une chose, c’est d’être à la retraite pour passer la semaine au Jean Eustache !”, s’amuse Claire, une jeune pessacaise. Même son de cloche du côté des conférenciers. “Mon intention était de rester un peu, de rencontrer des personnes qui viennent de milieux différents, mais malheureusement j’ai des obligations professionnelles et je dois repartir”, regrette Bertrand Labatut. Le festival se déroule en grande partie en semaine, c’est la raison majeure du manque de diversité. Même quand vient le temps du week end, si les conférences font toujours salle comble, le public reste très majoritairement retraité.
Quel effet festival ?
Pourtant l'effet festival se ressent à chaque édition. “Depuis 15 ans, on ne fait pas forcément plus de tables, mais plus de cafés et de limonades, parce que les gens viennent entre les séances ou les conférences”, constate Laurent, restaurateur à la brasserie de l’Hôtel de Ville. Le secret de cette dynamique ? La constance de l’offre, pour François Aymé : “attirer un large public, c’est construire une bonne relation avec lui, en gardant toujours la même ligne.”
Pour autant, les avis divergent quant à savoir si la semaine du FIFH permet de fidéliser après la cérémonie de clôture. “Ceux qui vont voir des films pendant le festival peuvent ensuite revenir une fois, deux fois, dix fois, et créer une dynamique”, se félicite le directeur du cinéma. Autre son de cloche du côté de la librairie, l’effet est moindre et Bertrand Frouin observe surtout un retour à la normale de sa clientèle.
Mais comme le défend François Aymé, la raison d'être du FIFH est d'abord "culturelle et éducative", condition essentielle pour continuer de se développer à Pessac et ailleurs. À ce titre, 5200 scolaires ont pu assister cette année à des séances décentralisées dans 28 cinémas de Nouvelle-Aquitaine. Le FIFH entend transmettre le savoir. Reste à le transmettre à tous.
