A Bordeaux,
le froid squatte

Ils sont une cinquantaine de migrants à vivre rue Causserouge. Le froid, l'insalubrité, l'attente permanente rythment leur vie. Pour s'en sortir, ils maintiennent l'espoir d'accéder enfin au statut de mineur.

Il est 15h30 rue Causserouge, à Bordeaux. C’est une des rares journées d’automne où il ne pleut pas. Sous le numéro 15 bis, se trouve une immense porte de trois mètres de haut. Comme l’indique une pancarte verte quelques mètres plus loin, ici c’est le Fort Life, un des squats du « Squid », un centre social autogéré. Il accueille uniquement des migrants mineurs. « Ici, on héberge, on récupère, on donne, on vie, on échange ! on discute ! Venez nous rencontrer ».

Les jeunes jouent aux dames pour contrer l'ennui et le froid.

Les jeunes jouent aux dames pour contrer l'ennui et le froid.

Pour discuter, les jeunes se regroupent autour de l'unique chauffage du grand salon.

Pour discuter, les jeunes se regroupent autour de l'unique chauffage du grand salon.

Au Fort Life, les repas du soir sont préparés par les migrants et collectifs.

Au Fort Life, les repas du soir sont préparés par les migrants et collectifs.

Les jeunes jouent aux dames pour contrer l'ennui et le froid.

Les jeunes jouent aux dames pour contrer l'ennui et le froid.

Pour discuter, les jeunes se regroupent autour de l'unique chauffage du grand salon.

Pour discuter, les jeunes se regroupent autour de l'unique chauffage du grand salon.

Au Fort Life, les repas du soir sont préparés par les migrants et collectifs.

Au Fort Life, les repas du soir sont préparés par les migrants et collectifs.

Dans l'entrée, de jeunes garçons noirs sont emmitouflés dans des sweatshirts et scrutent leur téléphone. Certains scrollent sur les réseaux sociaux, d’autres dialoguent sur haut-parleur via Whatsapp en bambala, la langue vernaculaire parlée dans plusieurs pays du Sahel. D’un peu plus loin monte le flow lourd de Booba. Un de ses premiers sons : Boulbi, « On est venus tiser, claquer du biff ». Cela vient de la cuisine. Dans des sièges élimés, d’autres jeunes jouent aux dames ou au 151, un jeu de cartes similaire au Uno, appris dans leurs pays. La Guinée, la Côte d’Ivoire et le Mali pour la plupart.

Derrière eux, trois jeunes s’affairent dans la cuisine.« Ce sont eux les chefs ! ». Le riz trempe dans une grande marmite remplie d’eau au sol. Les mains décortiquent machinalement les centaines de crevettes qui, une fois cuites en sauce, constitueront le repas de ce soir. Des assiettes sales traînent. Déric, le responsable du lieu, râle : « Les gars, vous vous plaignez qu’il y a des rats mais rangez vos assiettes ! »

Déric, alias "le vieux père" s'occupe du squat depuis avril 2018.

Déric, alias "le vieux père" s'occupe du squat depuis avril 2018.

Déric, alias "le vieux père" s'occupe du squat depuis avril 2018.

Déric n’est pas un éducateur. Il ne fait pas non plus partie d’une association. S’occuper des jeunes migrants au sein du « Squid » est son choix depuis avril dernier. Cela fait quatre mois qu’il n’est pas retourné dans son appartement. Les mauvaises conditions de vie, il les subit aussi.

Le squat n'est pas officiel, seulement toléré par la métropole de Bordeaux jusqu'en avril. Il est "sauvage". Pour autant, Déric maintient un système d’horaires qui était déjà en place à son arrivée : les jeunes doivent quitter le squat de 9h à 14h chaque jour. Il imite le fonctionnement des foyers qu’il a bien connu dans sa jeunesse. Ces règles créent parfois de la frustration chez les jeunes car ils se retrouvent sous la pluie, dans le froid, sans comprendre vraiment pourquoi.

A Bordeaux, ils sont plusieurs à se porter volontaires pour essayer de créer des lieux d’accueil comme celui-ci. Déric insiste sur le fait que seul, il n’arriverait à rien. Une quinzaine de migrants majeurs qu’il appelle les «responsables » l’aident à gérer ce lieu. Bien sûr, des associations comme Médecins sans frontières et l’Asti, apportent leur aide. Mais ce n’est pas suffisant.

Malgré tout, Déric s’efforce de créer de la vie dans ce squat. Son prochain objectif  : faire venir le rappeur engagé Kerry James pour Noël, comme un message d’espoir.

Quel statut pour ces jeunes ?

Les habitants du Fort Life ont été reconnus majeurs à leur arrivée en France. Ils ne peuvent avoir le statut de Mineur non accompagné (MNA) et être pris en charge par l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE). Ils n'ont pas de place en foyer et se retrouvent à la rue ou dans des squats comme celui du "Squid". Pourtant, la plupart d'entre eux possèdent des papiers prouvant qu'ils ont moins de 18 ans. La Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés précise qu'un migrant reconnu mineur ne peut être expulsé et doit être pris en charge par le pays d'accueil. Cette promesse d'intégration pousse les jeunes de Fort Life à faire un recours afin d'être reconnu mineur. Officiellement, cette démarche peut aller jusqu'à deux mois, mais en réalité, ce délai peut doubler.

"Ça fait mal"

Les horaires de sortie obligatoires sont compliqués à gérer pour les jeunes migrants à l'approche de l'hiver. Il faut trouver de quoi s'occuper. Certains ont la chance de pouvoir suivre des cours de niveau primaire ou collège grâce à l'association Tremplin. Trois fois par semaine, de 9h à 12h, ils sont accueillis dans des locaux avec des bénévoles. On leur offre le petit-déjeuner et un endroit chauffé pour apprendre convenablement. L'après-midi, certains se rendent à la bibliothèque Mériadeck. D'autres passent l'après-midi au squat, à écouter de la musique ou à attendre, simplement. Mais lorsqu'il n'y a pas école, il faut quand même sortir, qu'importe la météo. Les mineurs expriment la souffrance qu'ils ressentent lorsqu'ils se retrouvent dans la rue à vagabonder sans but. "Ca fait mal" raconte Deen, qui rêve de devenir juriste.

A l'intérieur du squat aussi parfois, c'est compliqué. L'humidité imprègne les murs des escaliers qui mènent aux chambres et laisse flotter dans l'atmosphère une odeur désagréable. Les matelas s'enchaînent au fil des pièces sombres. Malgré la mort aux rats, les rongeurs continuent de se faufiler entre les couchages.

Certains craquent. Diafarou se remémore ce jeune garçon qui, dans un accès de folie, a quitté le squat il y a quelques jours. "Il n'est jamais revenu, on ne sait pas où il est" murmure-t-il devant quelques uns de ses camarades silencieux.

Diafarou, 16 ans, 5000 kilomètres dans les pieds.


Diafarou ne se souvient pas exactement de la date à laquelle il a quitté le Mali. Il est arrivé à Bordeaux il y a 3 mois depuis l'Espagne. « Le premier jour, je suis arrivé avec un monsieur. On s’est rencontré dans un train. Il m’a accompagné jusqu’à la police. Je leur ai dit que je suis venu pour quitter l’Espagne. Je leur ai dit que j’avais faim, mais ils m’ont répondu qu’ils n’avaient pas de nourriture». Après une nuit passée dehors entre quelques gouttes de pluie, il est emmené au SAEMNA, Service d’accueil et d’évaluation des mineurs non accompagnés. Diafarou a été reconnu majeur malgré l’appui de son extrait de naissance qui indique qu’il est né en 2003. Il a trouvé refuge au squat rue Causserouge. Il raconte que les conditions de vie sont difficiles à l’approche de l’hiver. Il tremble en disant ça. Il doit faire moins de 10 degrés dans la pièce.


Selon le Conseil départemental de la Gironde, chargé de réguler les arrivées sur le territoire, tous les migrants reconnus comme MNA ont été pris en charge par l'ASE. Les jeunes du squat, officiellement majeurs mais en recours, ne sont techniquement pas sous leur responsabilité. Pour aller plus loin, les chiffres du Conseil Départemental, communiqués au collectif MIE (Mineurs Isolés Etrangers), une structure d'aide locale, sont à retrouver ici.