Rijeka, capitale européenne de la culture 2020

Récit d’une crise culturelle

Crédit photo : ©Rijeka 2020, Borko Vukosav

Crédit photo : ©Rijeka 2020, Borko Vukosav

Rijeka ne verra pas les milliers de touristes attendus cette année. Avec la crise du coronavirus, la Capitale européenne de la culture 2020 a dû faire des concessions. Pour le moment, tout est reporté avec les conséquences économiques et la perte d'un rayonnement culturel que cela implique. Histoire d’un rendez-vous manqué.

La fête n’aura pas lieu. Ou du moins, pas dans les mêmes conditions. Le 1er février 2020, Rijeka inaugurait officiellement son titre de Capitale européenne de la culture 2020, aux côtés de Galway en Irlande, sous le slogan « Rijeka, port de la diversité ». C’est la première fois qu’une ville croate est nommée capitale européenne de la culture. Un mois plus tard, la crise sanitaire vient ébranler la tenue des 600 événements prévus : « Pour le moment tout est reporté. Nous sommes impliqués dans les négociations avec la ville et l'agence Rijeka 2020, mais cela ne va nulle part tant que nous n'avons pas défini de cadre financier et organisationnel », déplore Davor Mišković, professeur à la faculté de philosophie de Rijeka et coordonnateur de Dopolavoro. Ce projet phare de Rijeka 2020 traite des nouvelles formes du travail à travers des représentations artistiques diverses.

Des habitants de Rijeka, le 1er février 2020 lors de la cérémonie d'ouverture. Crédit photo: Rijeka 2020

Des habitants de Rijeka, le 1er février 2020 lors de la cérémonie d'ouverture. Crédit photo: Rijeka 2020

Promenade virtuelle

Comment faire face à la crise et adapter la programmation ? Pour Davor Mišković, le temps n’est pas à l’abandon : « Nous sommes en contact permanent avec des artistes et la plupart d'entre eux sont très flexibles, ils modifient déjà leurs projets ». Une résistance face à l’incertitude, dont font preuve les acteurs du projet.

L’Office de tourisme de Rijeka a revu ses offres : « Une nouvelle campagne numérique a été lancée avec le hashtag #FromRijekaWithLove. L'accent est mis sur les principaux atouts touristiques de Rijeka, et invite tous les touristes à une promenade virtuelle dans les plus belles parties de la ville », affirme Iva Balen, chargée de communication de Rijeka 2020. Le virtuel est perçu comme une invitation au voyage : « La campagne numérique cherche à éveiller les émotions de ceux qui ont visité Rijeka, et à encourager tous ceux qui n'ont pas encore eu l'occasion de le faire à venir lorsque ça sera possible ».

Ouverture des festivités par le lancement d'un feu d'artifice. 600 événements étaient programmés. Crédit photo: Rijkeka 2020

Ouverture des festivités par le lancement d'un feu d'artifice. 600 événements étaient programmés. Crédit photo: Rijkeka 2020

Spectacle pour enfants, sur la place centrale de la ville. Crédit photo: Rijeka 2020

Spectacle pour enfants, sur la place centrale de la ville. Crédit photo: Rijeka 2020

Un report incertain

Pour l’instant, la Commission européenne assure n’avoir « reçu aucune demande officielle de la Croatie pour un report ». En revanche, la piste « d’avoir non pas deux, mais quatre capitales européennes en 2021 » est à l'étude. Rijeka et Galway, sélectionnées cette année, pourraient donc rejoindre Timișoara et Elefsina, porteuses du label l’année prochaine.

« Dans tous les cas, nous essayons de réaliser le plus possible programme initialement prévu, en respectant, par tous les moyens, toutes les recommandations des épidémiologistes», explique Iva Balen. « Nous en avons également parlé avec la ville de Galway  et avec les villes qui détiendront ce titre en 2021, et leur opinion est similaire. Mais finalement, c'est une décision qui doit être prise par les institutions européennes ».

La ville bénéficie d’un fonds européen de 18,80 millions d’euros. Cette subvention devait être utilisée pour la construction d’un musée (qui a pu ouvrir), d’une bibliothèque municipale, de trois bâtiments culturels, et d’une maison des enfants dédiée à l’art. Tous les projets se poursuivent, même si les travaux sont ralentis par la fermeture des frontières. « Ce sont des fonds dédiés qui ne peuvent pas être dépensés à d'autres fins », détaille Iva Balen.

Inquiétudes sur l'avenir

La soixantaine d’employés de Rijeka 2020 soulignent un risque d’effondrement du système culturel. Si la suspension des événements tend à se prolonger, beaucoup craignent que le retard entraîne des pertes d’emploi, et des fermetures permanentes de lieux culturels. Les artistes indépendants sont dans une situation précaire, mais les institutions publiques sont également menacées par le prolongement de la crise. Les théâtres nationaux et les opéras ne dépendent pas que de l’argent public, mais aussi de la vente de billets. Sans ce revenu, des lieux culturels sont sur la sellette.

Des projets culturels adaptés

Lors d’une conférence de presse organisée à Rijeka le 6 mai dernier réunissant le maire, Vojko Obersnel, et les différents acteurs culturels, un ajustement des projets a été présenté. La distanciation sociale et les mesures sanitaires obligent la ville à revoir la logistique, mais aussi à repenser les projets culturels. Ainsi l'événement Art Cinema a bien eu lieu le 9 mai dernier, mais sous forme d’un drive in movie sur un parking de la ville. À l’affiche : Les Vitelloni, le drame comique de Federico Fellini, ou encore A bout de souffle du réalisateur de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard.

Le Centre culturel croate de Sušak dédie lui, une exposition sur la crise actuelle : « The Uncertain Exhibition ». Artistes et créateurs sont invités à proposer des œuvres issues de leurs regards sur la pandémie. Le Musée d'Art Moderne et Contemporain de la ville a modifié sa programmation en proposant une exposition spéciale Covid-19, tandis que la bibliothèque municipale utilise Zoom pour réaliser des conférences avec des experts autour des nouvelles technologies créatives.

Une créativité bousculée par un nouveau monde

Face à une crise existentielle dans tous les arts du spectacle, le projet Rijeka 2020 questionne l’avenir de la culture. Dans une interview donnée au site croate Tportal.hr, Ivan Šarar, chef de la Culture de Rijeka, craint pour la pérennité des projets et des lieux culturels : « Le changement que nous vivons actuellement est radical et choquant. Il réexamine la culture et sa signification. La vie et l’expérience de l’art dans l’espace physique ne peuvent pas être remplacées par un substitut en ligne instantané ». Selon lui, les institutions culturelles n’ont pas suffisamment anticipé l’ère du numérique, qui devient une nouvelle norme : « Le moment que nous vivons a montré à quel point les institutions traditionnelles telles que les théâtres et les musées ont négligé le virage numérique. C'est certainement une tâche difficile, mais aussi le plus grand défi que nous avons maintenant ».

Un défi de taille, donc, pour Rijeka 2020. Le projet subi la crise qui frappe de plein fouet le secteur de la culture en Europe. Entre adaptation et bouleversement de la représentation artistique, Rijeka fait figure de proue dans la résilience.