Le coronavirus
a mis les tapas au tapis

Les bars à tapas de Saint-Sébastien sont les emblèmes de la culture culinaire et festive de l'Espagne. Aux antipodes des normes sanitaires du "monde d'après", les traditions espagnoles devront pourtant s'y adapter pour subsister.

« Tapear », les Espagnols ont un verbe pour ça. Comprenez : aller de bar en bar pour déguster tapas et pintxos. Des amuse-bouches et petites rations à déguster du bout des doigts, entre amis, au fond de bars pleins à craquer. « C'est une culture » résume Carmen Sobron, figure des bars à tapas de Saint-Sébastien. Son accent espagnol ne masque pas son pessimisme. Ce qui est menacé, c'est sa vie sociale: "Je me passe un coup de peigne, un peu de parfum, je mets mes talons, un peu de rouge à lèvres et tac ! Je file ! J'arrive dans n'importe quel bar, je trouve des amis, des connaissances. Et quand on change de bar, on en retrouve toujours d'autres. Je ne me retrouve jamais seule. » Deux fois grande-tante mais vivant seule dans son appartement en centre-ville, Carmen retrouve ses amis dans les bars deux fois par semaine, au minimum.

Sergio Puertas est correspondant à Saint-Sébastien pour France Bleu Pays basque. Ici, le déconfinement se fait avec prudence : « L'été approche et on sort d'une période difficile. On a envie de faire des choses, mais pour profiter de nos libertés, il faut accepter les contraintes ». Pour le moment, seuls les établissements disposant de terrasses ont été autorisés à rouvrir, à condition d’espacer les tables au maximum. Sur dérogations, la mairie de Saint-Sébastien a permis aux commerçants d'étendre leurs terrasses.

Carmen est catégorique: « Notre vie sociale, se toucher, s'embrasser, pour l'instant, c'est fini. Il faut être responsable. » Mais la vie reprend. Tout doucement.

Un serveur désinfecte régulièrement sa terrasse à Saint-Sébastien Photo: Sergio Puertas

Un serveur désinfecte régulièrement sa terrasse à Saint-Sébastien Photo: Sergio Puertas

Les salles intérieures des bars rouvriront lundi 25 mai. Mais rien ne sera comme avant. Ils seront autorisés à profiter de seulement 50% de leur capacité d'accueil. « On ne pourra pas se lever, on devra rester assis et attendre que vienne le serveur » explique Sergio. Les groupes de clients devront respecter une distance d'un mètre entre eux. Carmen, amère mais compréhensive, relate que certains bars minutent leur clientèle. Trois quarts d'heure en terrasse maximum, le temps de boire un verre et manger un bout.

Frustration des deux côtés du comptoir

Ces perspectives sont aux antipodes de la coutume ibérique. Tapas et pintxos sont d'habitude exposés sous le nez d'une clientèle pressée au comptoir qui pointe du doigt ce qui la fait saliver. Pour protéger les tapas des postillons de cette clientèle gourmande, l'association régionale d'hôtellerie recommande aux établissements l'installation de vitres de protection.

Chez Antonio, institution locale qui a soufflé ses 25 bougies sans ses clients le 16 mai 2020, le respect de la distance sociale risque d'être compliqué. Ce bar exigu où on aime s'entasser ne possède pas plus de trois tables et n'a que peu d'espace pour installer une terrasse. À La Espiga où Carmen connaît tout le monde, l'équation est la suivante : comment faire durablement bosser trente salariés dans un établissement privé de la moitié de ses clients ? Les périodes de crises accouchent souvent de questions sans réponses immédiates.

La culture du tapas est prise en tenaille, entre incertitude économique et frilosité sociale. Faire « la ruta de los elefantes », le marathon des bars, en respectant les gestes barrières relève de l'utopie. Y parvenir se fera au prix d'une grande frustration.