La vaisselle des restaurants bordelais entame une nouvelle vie chez les particuliers
Du luxe à petit prix. Le week-end du 30 septembre, l'Hôtel de ville accueille la vente de vaisselles des chefs cuistots. En plus d’offrir une seconde vie à l’argenterie, une partie des profits engendrés par les ventes est reversée au club service Kiwanis, une organisation internationale qui œuvre pour venir en aide aux enfants malades.
Il est neuf heures moins dix. Le soleil est au beau fixe. Corinne et Martine patientent dans la file d'attente devant l’Hôtel de ville, longue d’une trentaine de mètres. Corinne, 65 ans, aide-soignante à la retraite, charrie son amie Martine. “C’est la spécialiste de la vaisselle, elle en a plein ses placards !” Visiblement, ils ne sont pas encore pleins. L’enseignante âgée de 64 ans, fraîchement retraitée, rétorque : “oui mais c’est pour la bonne cause ! En plus, c’est dans l’ère du temps de recycler, de donner une seconde vie aux objets.” La file d’attente finit par s'engouffrer à l’intérieur de l’Hôtel de ville.
Des centaines de personnes ont franchi la porte du palais Rohan. Le plancher grince sous leurs pas. En tout, 2700 visiteurs ont fait le déplacement lors de cette seconde édition de la vaisselle des Chefs. Quinze cuistots bordelais ont accepté d’y participer. Les visiteurs sont remuants et quelques enfants curieux manipulent les objets fragiles. Le brouhaha des discussions animées résonne à travers les sept pièces du bâtiment, et s’additionnent au cliquetis de l’argenterie. Les impatients ne perdent pas une seconde pour arpenter les stands, afin d’observer avec attention les vaisselles exposées. Un objectif en tête : acheter des services utilisés par des grands chefs à petits prix. “On est ravi de ce qu’on a trouvé sur place !” entonnent en chœur Vincent et Hélène, respectivement âgés de 56 et 58 ans. Les deux fonctionnaires sont repartis avec une sonnette de table. “Si on est venus, c’est avant tout avec le plaisir de cuisiner. Alors pourquoi ne pas le faire dans de la belle vaisselle ?” Jean et Michèle, retraités depuis quelques années, ne sont pas passés à côté des services en faïence asiatique. Mais il n’y a pas que devant les stands où tous s’agitent.
Soutenir une cause
Derrière l’événement se trouve Kiwanis. L’organisation internationale à but non lucratif est fondée en 1915 aux États-Unis. Elle encourage la création de clubs services dont les membres communs partagent les mêmes valeurs sociales. Kiwanis débarque à Bordeaux dans les années 1980. L’année dernière, elle organisait la première édition de vente de vaisselle en collaboration avec les chefs bordelais. Le Port de la Lune s’ajoute à la ville de Lyon et de Gerstheim, en Alsace, ou l'organisation de la vaisselle des Chefs existe depuis déjà quelques années. “Nous venons en aide uniquement aux enfants malades.” Sous la houlette de la présidente Marie-Joëlle Arlot, une quarantaine de bénévoles s’activent pour faire tourner la boutique. “C’est l’ADN de Kiwanis. L’idée qui réunit les gens ici aujourd’hui”, explique la présidente. De la réception de la vaisselle jusqu’à sa vente, Kiwanis est à la fois au four et au moulin.
La foule s'attroupe devant un stand.
La foule s'attroupe devant un stand.
Les assiettes des chefs coûtent entre six et quinze euros.
Les assiettes des chefs coûtent entre six et quinze euros.
Salomé déniche porte-huître pour une vingtaine d'euros.
Salomé déniche porte-huître pour une vingtaine d'euros.
“Trouver des pièces rares”
“C’est l’opportunité de faire une bonne action, tout en écoulant les stocks en trop.” Pour cette raison, le chef de cuisine de l’hôtel cinq étoiles Burdigala, Grégory Vingadassalon, a participé pour la première fois à l’opération. Le Guadeloupéen sait que les particuliers admirent la vaisselle des grands restaurants. “Mais ils n’ont pas toujours les moyens de se l’offrir. Moi le premier, je serais content de trouver des pièces rares de tel ou tel établissement.” Le trentenaire, notamment passé par la cuisine d’Alain Ducasse, admet que la vaisselle aurait fini aux enchères s’il n’avait pas entendu parler de l’événement.
Au 15 rue des Frères Bosnie, le chef cuistot Roman Winicki passe la majorité de son temps derrière les fourneaux. Mais le patron de l’Atelier des Faures a accepté l’invitation de Kiwanis sans hésitation : “C’est une très bonne initiative. En plus, je devais me débarrasser de la vaisselle que je n’utilisais plus.” L’occasion fait le larron. “La seconde main, c’est dans l’air du temps. Ça prend de plus en plus de place dans notre société et c’est une bonne chose.” Particularité du quarantenaire ? Il a transporté toute sa vaisselle à vélo. Quatre allers-retours depuis son établissement, qu’il a ouvert cinq ans auparavant sans avoir suivi de formation culinaire préalable. “Je me trouve à deux pas de l’Hôtel de ville, c’était plus cohérent de transporter la vaisselle à vélo plutôt que de prendre la voiture.” Écologiquement, le deal est respecté de son côté. L’est-il économiquement ?
Un pourcentage sur les ventes
“Ils pourraient faire un effort !” Nicolas, ingénieur en informatique, et sa compagne Florence, responsable en marketing, sont venus chiner deux appareils à fondue. Malgré leur trouvaille, ils ne peuvent s’empêcher d’exprimer leur mécontentement sur la communication de l’événement, dont ils ont connu l’existence sur les réseaux sociaux. Ils ont découvert que certains chefs récupéraient un pourcentage sur la vente de leur vaisselle. Au point même d’avoir “quelques regrets”, même s’ils “étaient prêts à acheter” pour la bonne cause. Les trentenaires ne sont pas les seuls à avoir un regard mitigé à la sortie des courses. Alexis et Salomé, 25 et 24 ans, s’en sortent avec un porte huître et deux assiettes. Pour quarante euros tout ronds. “La qualité est présente oui, mais pour les jeunes c’est un peu cher…” Peut-être trop pour une vente à petits prix.
Effectivement, les chefs cuistots peuvent décider de récupérer, ou non, une commission sur la vente de leur vaisselle. Un montant pouvant atteindre jusqu'à 40% des bénéfices. Certains visiteurs repartent déçus, sachant qu'une partie de leur argent ne finira pas dans la poche de Kiwanis pour aider la cause qu'ils souhaitaient soutenir. Danielle Neveu-Daviaud, co-responsable de l'événement, précise que l'édition 2023 a rapporté plus de 4 000 euros à Kiwanis. La totalité sera reversée à la Fondation Maladies rares, qui se concentre sur la recherche de traitements pour offrir une nouvelle vie aux enfants malades.
Crédit photos : Lili Pateman